https fr wikisource org wiki les feuilles d%e2%80%99automne texte entier les feuilles d’automne le moment politique est grave personne ne le conteste et l’auteur de ce livre moins que personne au dedans toutes les solutions sociales remises en question toutes les membrures du corps politique tordues refondues ou reforgées dans la fournaise d’une révolution sur l’enclume sonore des journaux le vieux mot pairie jadis presque aussi reluisant que le mot royauté qui se transforme et change de sens le retentissement perpétuel de la tribune sur la presse et de la presse sur la tribune l’émeute qui fait la morte au dehors çà et là sur la face de l’europe des peuples tout entiers qu’on assassine qu’on déporte en masse ou qu’on met aux fers l’irlande dont on fait un cimetière l’italie dont on fait un bagne la sibérie qu’on peuple avec la pologne partout d’ailleurs dans les états même les plus paisibles quelque chose de vermoulu qui se disloque et pour les oreilles attentives le bruit sourd que font les révolutions encore enfouies dans la sape en poussant sous tous les royaumes de l’europe leurs galeries souterraines ramifications de la grande révolution centrale dont le cratère est paris enfin au dehors comme au dedans les croyances en lutte les consciences en travail de nouvelles religions chose sérieuse qui bégayent des formules mauvaises d’un côté bonnes de l’autre les vieilles religions qui font peau neuve rome la cité de la foi qui va se redresser peut être à la hauteur de paris la cité de l’intelligence les théories les imaginations et les systèmes aux prises de toutes parts avec le vrai la question de l’avenir déjà explorée et sondée comme celle du passé voilà où nous en sommes au mois de novembre 1831 sans doute en un pareil moment au milieu d’un si orageux conflit de toutes les choses et de tous les hommes en présence de ce concile tumultueux de toutes les idées de toutes les croyances de toutes les erreurs occupées à rédiger et à débattre en discussion publique la formule de l’humanité au dix neuvième siècle c’est folie de publier un volume de pauvres vers désintéressés folie pourquoi l’art et l’auteur de ce livre n’a jamais varié dans cette pensée l’art a sa loi qu’il suit comme le reste a la sienne parce que la terre tremble est ce une raison pour qu’il ne marche pas voyez le seizième siècle c’est une immense époque pour la société humaine mais c’est une immense époque pour l’art c’est le passage de l’unité religieuse et politique à la liberté de conscience et de cité de l’orthodoxie au schisme de la discipline à l’examen de la grande synthèse sacerdotale qui a fait le moyen âge à l’analyse philosophique qui va le dissoudre c’est tout cela et c’est aussi le tournant magnifique et éblouissant de perspectives sans nombre de l’art gothique à l’art classique ce n’est partout sur le sol de la vieille europe que guerres religieuses guerres civiles guerres pour un dogme guerres pour un sacrement guerres pour une idée de peuple à peuple de roi à roi d’homme à homme que cliquetis d’épées toujours tirées et de docteurs toujours irrités que commotions politiques que chutes et écroulements des choses anciennes que bruyant et sonore avènement des nouveautés en même temps ce n’est dans l’art que chefs d’œuvre on convoque la diète de worms mais on peint la chapelle sixtine il y a luther mais il y a michel ange ce n’est donc pas une raison parce que aujourd’hui d’autres vieilleries croulent à leur tour autour de nous et remarquons en passant que luther est dans les vieilleries et que michel ange n’y est pas ce n’est pas une raison parce qu’à leur tour aussi d’autres nouveautés surgissent dans ces décombres pour que l’art cette chose éternelle ne continue pas de verdoyer et de florir entre la ruine d’une société qui n’est plus et l’ébauche d’une société qui n’est pas encore parce que la tribune aux harangues regorge de démosthènes parce que les rostres sont encombrés de cicérons parce que nous avons trop de mirabeaux ce n’est pas une raison pour que nous n’ayons pas dans quelque coin obscur un poëte il est donc tout simple quel que soit le tumulte de la place publique que l’art persiste que l’art s’entête que l’art se reste fidèle à lui même tenax propositi car la poésie ne s’adresse pas seulement au sujet de telle monarchie au sénateur de telle oligarchie au citoyen de telle république au natif de telle nation elle s’adresse à l’homme à l’homme tout entier à l’adolescent elle parle de l’amour au père de la famille au vieillard du passé et quoi qu’on fasse quelles que soient les révolutions futures soit qu’elles prennent les sociétés caduques aux entrailles soit qu’elles leur écorchent seulement l’épiderme à travers tous les changements politiques possibles il y aura toujours des enfants des mères des jeunes filles des vieillards des hommes enfin qui aimeront qui se réjouiront qui souffriront c’est à eux que va la poésie les révolutions ces glorieux changements d’âge de l’humanité les révolutions transforment tout excepté le cœur humain le cœur humain est comme la terre on peut semer on peut planter on peut bâtir ce qu’on veut à sa surface mais il n’en continuera pas moins à produire ses verdures ses fleurs ses fruits naturels mais jamais pioches ni sondes ne le troubleront à de certaines profondeurs mais de même qu’elle sera toujours la terre il sera toujours le cœur humain la base de l’art comme elle de la nature pour que l’art fût détruit il faudrait donc commencer par détruire le cœur humain ici se présente une objection d’une autre espèce — sans contredit dans le moment même le plus critique d’une crise politique un pur ouvrage d’art peut apparaître à l’horizon mais toutes les passions toutes les attentions toutes les intelligences ne seront elles pas trop absorbées par l’œuvre sociale qu’elles élaborent en commun pour que le lever de cette sereine étoile de poésie fasse tourner les yeux à la foule — ceci n’est plus qu’une question de second ordre la question de succès la question du libraire et non du poëte le fait répond d’ordinaire oui ou non aux questions de ce genre et au fond il importe peu sans doute il y a des moments où les affaires matérielles de la société vont mal où le courant ne les porte pas où accrochées à tous les accidents politiques qui se rencontrent chemin faisant elles se gênent s’engorgent se barrent et s’embarrassent les unes dans les autres mais qu’est ce que cela fait d’ailleurs parce que le vent comme on dit n’est pas à la poésie ce n’est pas un motif pour que la poésie ne prenne pas son vol tout au contraire des vaisseaux les oiseaux ne volent bien que contre le vent or la poésie tient de l’oiseau musa ales dit un ancien et c’est pour cela même qu’elle est plus belle et plus forte risquée au milieu des orages politiques quand on sent la poésie d’une certaine façon on l’aime mieux habitant la montagne et la ruine planant sur l’avalanche bâtissant son aire dans la tempête qu’en fuite vers un perpétuel printemps on l’aime mieux aigle qu’hirondelle hâtons nous de déclarer ici car il en est peut être temps que dans tout ce que l’auteur de ce livre vient de dire pour expliquer l’opportunité d’un volume de véritable poésie qui apparaîtrait dans un moment où il y a tant de prose dans les esprits et à cause de cette prose même il est très loin d’avoir voulu faire la moindre allusion à son propre ouvrage il en sent l’insuffisance et l’indigence tout le premier l’artiste comme l’auteur le comprend qui prouve la vitalité de l’art au milieu d’une révolution le poëte qui fait acte de poésie entre deux émeutes est un grand homme un génie un œil ὀφθαλμός comme dit admirablement la métaphore grecque l’auteur n’a jamais prétendu à la splendeur de ces titres au dessus desquels il n’y a rien non s’il publie en ce mois de novembre 1831 les feuilles d’automne c’est que le contraste entre la tranquillité de ces vers et l’agitation fébrile des esprits lui a paru curieux à voir au grand jour il ressent en abandonnant ce livre inutile au flot populaire qui emporte tant d’autres choses meilleures un peu de ce mélancolique plaisir qu’on éprouve à jeter une fleur dans un torrent et à voir ce qu’elle devient qu’on lui passe une image un peu ambitieuse le volcan d’une révolution était ouvert devant ses yeux le volcan l’a tenté il s’y précipite il sait fort bien du reste qu’empédocle n’est pas un grand homme et qu’il n’est resté de lui que sa chaussure il laisse donc aller ce livre à sa destinée quelle qu’elle soit liber ibis in urbem et demain il se tournera d’un autre côté qu’est ce d’ailleurs que ces pages qu’il livre ainsi au hasard au premier vent qui en voudra des feuilles tombées des feuilles mortes comme toutes feuilles d’automne ce n’est point là de la poésie de tumulte et de bruit ce sont des vers sereins et paisibles des vers comme tout le monde en fait ou en rêve des vers de la famille du foyer domestique de la vie privée des vers de l’intérieur de l’âme c’est un regard mélancolique et résigné jeté çà et là sur ce qui est surtout sur ce qui a été c’est l’écho de ces pensées souvent inexprimables qu’éveillent confusément dans notre esprit les mille objets de la création qui souffrent ou qui languissent autour de nous une fleur qui s’en va une étoile qui tombe un soleil qui se couche une église sans toit une rue pleine d’herbe ou l’arrivée imprévue d’un ami de collège presque oublié quoique toujours aimé dans un repli obscur du cœur ou la contemplation de ces hommes à volonté forte qui brisent le destin ou se font briser par lui ou le passage d’un de ces êtres faibles qui ignorent l’avenir tantôt un enfant tantôt un roi ce sont enfin sur la vanité des projets et des espérances sur l’amour à vingt ans sur l’amour à trente ans sur ce qu’il y a de triste dans le bonheur sur cette infinité de choses douloureuses dont se composent nos années ce sont de ces élégies comme le cœur du poëte en laisse sans cesse écouler par toutes les fêlures que lui font les secousses de la vie il y a deux mille ans que térence disait plenus rimarum sum hac atque illac perfluo c’est maintenant le lieu de répondre à la question des personnes qui ont bien voulu demander à l’auteur si les deux ou trois odes inspirées par les évènements contemporains qu’il a publiées à différentes époques depuis dix huit mois seraient comprises dans les feuilles d’automne non il n’y a point ici place pour cette poésie qu’on appelle politique et qu’il voudrait qu’on appelât historique ces poésies véhémentes et passionnées auraient troublé le calme et l’unité de ce volume elles font d’ailleurs partie d’un recueil de poésie politique que l’auteur tient en réserve il attend pour le publier un moment plus littéraire ce que sera ce recueil quelles sympathies et quelles antipathies l’inspireront on peut en juger si l’on en est curieux par la pièce xl du livre que nous mettons au jour cependant dans la position indépendante désintéressée et laborieuse où l’auteur a voulu rester dégagé de toute haine comme de toute reconnaissance politique ne devant rien à aucun de ceux qui sont puissants aujourd’hui prêt à se laisser reprendre tout ce qu’on aurait pu lui laisser par indifférence ou par oubli il croit avoir le droit de dire d’avance que ses vers seront ceux d’un homme honnête simple et sérieux qui veut toute liberté toute amélioration tout progrès et en même temps toute précaution tout ménagement et toute mesure qui n’a plus il est vrai la même opinion qu’il y a dix ans sur ces choses variables qui constituent les questions politiques mais qui dans ses changements de conviction s’est toujours laissé conseiller par sa conscience jamais par son intérêt il répétera en outre ici ce qu’il a déjà dit ailleurs et ce qu’il ne se lassera jamais de dire et de prouver que quelle que soit sa partialité passionnée pour les peuples dans l’immense querelle qui s’agite au dix neuvième siècle entre eux et les rois jamais il n’oubliera quelles ont été les opinions les crédulités et même les erreurs de sa première jeunesse il n’attendra jamais qu’on lui rappelle qu’il a été à dix sept ans stuartiste jacobite et cavalier qu’il a presque aimé la vendée avant la france que si son père a été un des premiers volontaires de la grande république sa mère pauvre fille de quinze ans en fuite à travers le bocage a été une brigande comme madame de bonchamp et madame de larochejaquelein il n’insultera pas la race tombée parce qu’il est de ceux qui ont eu foi en elle et qui chacun pour sa part et selon son importance avaient cru pouvoir répondre d’elle à la france d’ailleurs quelles que soient les fautes quels que soient même les crimes c’est le cas plus que jamais de prononcer le nom de bourbon avec précaution gravité et respect maintenant que le vieillard qui a été le roi n’a plus sur la tête que des cheveux blancs paris 24 novembre 1831 i data fata secutus devise des saint john ce siècle avait deux ans rome remplaçait sparte déjà napoléon perçait sous bonaparte et du premier consul déjà par maint endroit le front de l’empereur brisait le masque étroit alors dans besançon vieille ville espagnole jeté comme la graine au gré de l’air qui vole naquit d’un sang breton et lorrain à la fois un enfant sans couleur sans regard et sans voix si débile qu’il fut ainsi qu’une chimère abandonné de tous excepté de sa mère et que son cou ployé comme un frêle roseau fit faire en même temps sa bière et son berceau cet enfant que la vie effaçait de son livre et qui n’avait pas même un lendemain à vivre c’est moi — je vous dirai peut être quelque jour quel lait pur que de soins que de vœux que d’amour prodigués pour ma vie en naissant condamnée m’ont fait deux fois l’enfant de ma mère obstinée ange qui sur trois fils attachés à ses pas épandait son amour et ne mesurait pas ô l’amour d’une mère amour que nul n’oublie pain merveilleux qu’un dieu partage et multiplie table toujours servie au paternel foyer chacun en a sa part et tous l’ont tout entier je pourrai dire un jour lorsque la nuit douteuse fera parler les soirs ma vieillesse conteuse comment ce haut destin de gloire et de terreur qui remuait le monde aux pas de l’empereur dans son souffle orageux m’emportant sans défense à tous les vents de l’air fit flotter mon enfance car lorsque l’aquilon bat ses flots palpitants l’océan convulsif tourmente en même temps le navire à trois ponts qui tonne avec l’orage et la feuille échappée aux arbres du rivage maintenant jeune encore et souvent éprouvé j’ai plus d’un souvenir profondément gravé et l’on peut distinguer bien des choses passées dans ces plis de mon front que creusent mes pensées certes plus d’un vieillard sans flamme et sans cheveux tombé de lassitude au bout de tous ses vœux pâlirait s’il voyait comme un gouffre dans l’onde mon âme où ma pensée habite comme un monde tout ce que j’ai souffert tout ce que j’ai tenté tout ce qui m’a menti comme un fruit avorté mon plus beau temps passé sans espoir qu’il renaisse les amours les travaux les deuils de ma jeunesse et quoiqu’encore à l’âge où l’avenir sourit le livre de mon cœur à toute page écrit si parfois de mon sein s’envolent mes pensées mes chansons par le monde en lambeaux dispersées s’il me plaît de cacher l’amour et la douleur dans le coin d’un roman ironique et railleur si j’ébranle la scène avec ma fantaisie si j’entre choque aux yeux d’une foule choisie d’autres hommes comme eux vivant tous à la fois de mon souffle et parlant au peuple avec ma voix si ma tête fournaise où mon esprit s’allume jette le vers d’airain qui bouillonne et qui fume dans le rhythme profond moule mystérieux d’où sort la strophe ouvrant ses ailes dans les cieux c’est que l’amour la tombe et la gloire et la vie l’onde qui fuit par l’onde incessamment suivie tout souffle tout rayon ou propice ou fatal fait reluire et vibrer mon âme de cristal mon âme aux mille voix que le dieu que j’adore mit au centre de tout comme un écho sonore d’ailleurs j’ai purement passé les jours mauvais et je sais d’où je viens si j’ignore où je vais l’orage des partis avec son vent de flamme sans en altérer l’onde a remué mon âme rien d’immonde en mon cœur pas de limon impur qui n’attendît qu’un vent pour en troubler l’azur après avoir chanté j’écoute et je contemple à l’empereur tombé dressant dans l’ombre un temple aimant la liberté pour ses fruits pour ses fleurs le trône pour son droit le roi pour ses malheurs fidèle enfin au sang qu’ont versé dans ma veine mon père vieux soldat ma mère vendéenne 23 juin 1830 ii à m louis b lyrnessi domus alta solo laurente sepulcrum virgile louis quand vous irez dans un de vos voyages voir bordeaux pau bayonne et ses charmants rivages toulouse la romaine où dans des jours meilleurs j’ai cueilli tout enfant la poésie en fleurs passez par blois — et là bien volontiers sans doute laissez dans le logis vos compagnons de route et tandis qu’ils joueront riront ou dormiront vous avec vos pensers qui haussent votre front montez à travers blois cet escalier de rues que n’inonde jamais la loire au temps des crues laissez là le château quoique sombre et puissant quoiqu’il ait à la face une tache de sang admirez en passant cette tour octogone qui fait à ses huit pans hurler une gorgone mais passez — et sorti de la ville au midi cherchez un tertre vert circulaire arrondi que surmonte un grand arbre un noyer ce me semble comme au cimier d’un casque une plume qui tremble vous le reconnaîtrez ami car tout rêvant vous l’aurez vu de loin sans doute en arrivant sur le tertre monté que la plaine bleuâtre que la ville étagée en long amphithéâtre que l’église ou la loire et ses voiles aux vents et ses mille archipels plus que ses flots mouvants et de chambord là bas au loin les cent tourelles ne fassent pas voler votre pensée entre elles ne levez pas vos yeux si haut que l’horizon regardez à vos pieds — louis cette maison qu’on voit bâtie en pierre et d’ardoise couverte blanche et carrée au bas de la colline verte et qui fermée à peine aux regards étrangers s’épanouit charmante entre ses deux vergers c’est là — regardez bien c’est le toit de mon père c’est ici qu’il s’en vint dormir après la guerre celui que tant de fois mes vers vous ont nommé que vous n’avez pas vu qui vous aurait aimé alors ô mon ami plein d’une extase amère pensez pieusement d’abord à votre mère et puis à votre sœur et dites notre ami ne reverra jamais son vieux père endormi hélas il a perdu cette sainte défense qui protège la vie encore après l’enfance ce pilote prudent qui pour dompter le flot prête une expérience au jeune matelot plus de père pour lui plus rien qu’une mémoire plus d’auguste vieillesse à couronner de gloire plus de récits guerriers plus de beaux cheveux blancs à faire caresser par les petits enfants hélas il a perdu la moitié de sa vie l’orgueil de faire voir à la foule ravie son père un vétéran un général ancien ce foyer où l’on est plus à l’aise qu’au sien et le seuil paternel qui tressaille de joie quand du fils qui revient le chien fidèle aboie le grand arbre est tombé resté seul au vallon l’arbuste est désormais à nu sous l’aquilon quand l’aïeul disparaît du sein de la famille tout le groupe orphelin mère enfants jeune fille se rallie inquiet autour du père seul que ne dépasse plus le front blanc de l’aïeul c’est son tour maintenant du soleil de la pluie on s’abrite à son ombre à sa tige on s’appuie c’est à lui de veiller d’enseigner de souffrir de travailler pour tous d’agir et de mourir voilà que va bientôt sur sa tête vieillie descendre la sagesse austère et recueillie voilà que ses beaux ans s’envolent tour à tour emportant l’un sa joie et l’autre son amour ses songes de grandeur et de gloire ingénue et que pour travailler son âme reste nue laissant là l’espérance et les rêves dorés ainsi que la glaneuse alors que dans les prés elle marche d’épis emplissant sa corbeille quitte son vêtement de fête de la veille mais le soir la glaneuse aux branches d’un buisson reprendra ses atours et chantant sa chanson s’en reviendra parée et belle et consolée tandis que cette vie âpre et morne vallée n’a point de buisson vert où l’on retrouve un jour l’espoir l’illusion l’innocence et l’amour il continuera donc sa tâche commencée tandis que sa famille autour de lui pressée sur son front où des ans s’imprimera le cours verra tomber sans cesse et s’amasser toujours comme les feuilles d’arbre au vent de la tempête cette neige des jours qui blanchit notre tête ainsi du vétéran par la guerre épargné rien ne reste à son fils muet et résigné qu’un tombeau vide et toi la maison orpheline qu’on voit blanche et carrée au bas de la colline gardant comme un parfum dans le vase resté un air de bienvenue et d’hospitalité un sépulcre à paris de pierre ou de porphyre qu’importe les tombeaux des aigles de l’empire sont auprès ils sont là tous ces vieux généraux morts un jour de victoire en antiques héros ou regrettant peut être et canons et mitraille tombés à la tribune autre champ de bataille ses fils ont déposé sa cendre auprès des leurs afin qu’en l’autre monde heureux pour les meilleurs il puisse converser avec ses frères d’armes car sans doute ces chefs pleurés de tant de larmes ont là bas une tente ils y viennent le soir parler de guerre au loin dans l’ombre ils peuvent voir flotter de l’ennemi les enseignes rivales et l’empereur au fond passe par intervalles une maison à blois riante quoique en deuil élégante et petite avec un lierre au seuil et qui fait soupirer le voyageur d’envie comme un charmant asile à reposer sa vie tant sa neuve façade a de fraîches couleurs tant son front est caché dans l’herbe et dans les fleurs maison sépulcre hélas pour retrouver quelque ombre de ce père parti sur le navire sombre où faut il que le fils aille égarer ses pas maison tu ne l’as plus tombeau tu ne l’as pas 4 juin 1830 iii rêverie d’un passant à propos d’un roi præbete aures vos qui continetis multitudines et placetis vobis in turbis nationum quoniam non custodistis legem justitiæ neque secundum voluntatem dei ambulastis sap vi voitures et chevaux à grand bruit l’autre jour menaient le roi de naple au gala de la cour j’étais au carrousel passant avec la foule qui par ses trois guichets incessamment s’écoule et traverse ce lieu quatre cents fois par an pour regarder un prince ou voir l’heure au cadran je suivais lentement comme l’onde suit l’onde tout ce peuple songeant qu’il était dans le monde certes le fils aîné du vieux peuple romain et qu’il avait un jour d’un revers de sa main déraciné du sol les tours de la bastille je m’arrêtai le suisse avait fermé la grille et le tambour battait et parmi les bravos passait chaque voiture avec ses huit chevaux la fanfare emplissait la vaste cour jonchée d’officiers redressant leur tête empanachée et les royaux coursiers marchaient sans s’étonner fiers de voir devant eux des drapeaux s’incliner or attentive au bruit une femme une vieille en haillons et portant au bras quelque corbeille branlant son chef ridé disait à haute voix — un roi sous l’empereur j’en ai tant vu des rois alors je ne vis plus des voitures dorées la haute impériale et les rouges livrées et tandis que passait et repassait cent fois tout ce peuple inquiet plein de confuses voix je rêvai cependant la vieille vers la grève poursuivait son chemin en me laissant mon rêve comme l’oiseau qui va dans la forêt lâché laisse trembler la feuille où son aile a touché oh disais je la main sur mon front étendue philosophie au bas du peuple descendue des petits sur les grands grave et hautain regard où ce peuple est venu le peuple arrive tard mais il est arrivé le voilà qui dédaigne il n’est rien qu’il admire ou qu’il aime ou qu’il craigne il sait tirer de tout d’austères jugements tant le marteau de fer des grands événements a dans ces durs cerveaux qu’il façonnait sans cesse comme un coin dans le chêne enfoncé la sagesse il s’est dit tant de fois — où le monde en est il que font les rois à qui le trône à qui l’exil — qu’il médite aujourd’hui comme un juge suprême sachant la fin de tout se croyant en soi même assez fort pour tout voir et pour tout épargner lui qu’on n’exile pas et qui laisse régner la cour est en gala pendant qu’au dessous d’elle comme sous le vaisseau l’océan qui chancelle sans cesse remué gronde un peuple profond dont nul regard de roi ne peut sonder le fond démence et trahison qui disent sans relâche — ô rois vous êtes rois confiez votre tâche aux mille bras dorés qui soutiennent vos pas dormez n’apprenez point et ne méditez pas de peur que votre front qu’un prestige environne fasse en s’élargissant éclater la couronne — ô rois veillez veillez tâchez d’avoir régné ne nous reprenez pas ce qu’on avait gagné ne faites point des coups d’une bride rebelle cabrer la liberté qui vous porte avec elle soyez de votre temps écoutez ce qu’on dit et tâchez d’être grands car le peuple grandit écoutez écoutez à l’horizon immense ce bruit qui parfois tombe et soudain recommence ce murmure confus ce sourd frémissement qui roule et qui s’accroît de moment en moment c’est le peuple qui vient c’est la haute marée qui monte incessamment par son astre attirée chaque siècle à son tour qu’il soit d’or ou de fer dévoré comme un cap sur qui monte la mer avec ses lois ses mœurs les monuments qu’il fonde vains obstacles qui font à peine écumer l’onde avec tout ce qu’on vit et qu’on ne verra plus disparaît sous ce flot qui n’a pas de reflux le sol toujours s’en va le flot toujours s’élève malheur à qui le soir s’attarde sur la grève et ne demande pas au pêcheur qui s’enfuit d’où vient qu’à l’horizon l’on entend ce grand bruit rois hâtez vous — rentrez dans le siècle où nous sommes quittez l’ancien rivage — à cette mer des hommes faites place ou voyez si vous voulez périr sur le siècle passé que son flot doit couvrir ainsi ce qu’en passant avait dit cette femme remuait mes pensers dans le fond de mon âme quand un soldat soudain du poste détaché me cria — compagnon le soleil est couché 18 mai 1830 iv de todo nada de todos nadie calderon que t’importe mon cœur ces naissances des rois ces victoires qui font éclater à la fois cloches et canons en volées et louer le seigneur en pompeux appareil et la nuit dans le ciel des villes en éveil monter des gerbes étoilées porte ailleurs ton regard sur dieu seul arrêté rien ici bas qui n’ait en soi sa vanité la gloire fuit à tire d’aile couronnes mitres d’or brillent mais durent peu elles ne valent pas le brin d’herbe que dieu fait pour le nid de l’hirondelle hélas plus de grandeur contient plus de néant la bombe atteint plutôt l’obélisque géant que la tourelle des colombes c’est toujours par la mort que dieu s’unit aux rois leur couronne dorée a pour faîte sa croix son temple est pavé de leurs tombes quoi hauteur de nos tours splendeur de nos palais napoléon césar mahomet périclès rien qui ne tombe et ne s’efface mystérieux abîme où l’esprit se confond à quelques pieds sous terre un silence profond et tant de bruit à la surface 30 juin 1830 v ce qu’on entend sur la montagne o altitudo avez vous quelquefois calme et silencieux monté sur la montagne en présence des cieux était ce aux bords du sund aux côtes de bretagne aviez vous l’océan au pied de la montagne et là penché sur l’onde et sur l’immensité calme et silencieux avez vous écouté voici ce qu’on entend — du moins un jour qu’en rêve ma pensée abattit son vol sur une grève et du sommet d’un mont plongeant au gouffre amer vit d’un côté la terre et de l’autre la mer j’écoutai j’entendis et jamais voix pareille ne sortit d’une bouche et n’émut une oreille ce fut d’abord un bruit large immense confus plus vague que le vent dans les arbres touffus plein d’accords éclatants de suaves murmures doux comme un chant du soir fort comme un choc d’armures quand la sourde mêlée étreint les escadrons et souffle furieuse aux bouches des clairons c’était une musique ineffable et profonde qui fluide oscillait sans cesse autour du monde et dans les vastes cieux par ses flots rajeunis roulait élargissant ses orbes infinis jusqu’au fond où son flux s’allait perdre dans l’ombre avec le temps l’espace et la forme et le nombre comme une autre atmosphère épars et débordé l’hymne éternel couvrait tout le globe inondé le monde enveloppé dans cette symphonie comme il vogue dans l’air voguait dans l’harmonie et pensif j’écoutais ces harpes de l’éther perdu dans cette voix comme dans une mer bientôt je distinguai confuses et voilées deux voix dans cette voix l’une à l’autre mêlées de la terre et des mers s’épanchant jusqu’au ciel qui chantaient à la fois le chant universel et je les distinguai dans la rumeur profonde comme on voit deux courants qui se croisent sous l’onde l’une venait des mers chant de gloire hymne heureux c’était la voix des flots qui se parlaient entre eux l’autre qui s’élevait de la terre où nous sommes était triste c’était le murmure des hommes et dans ce grand concert qui chantait jour et nuit chaque onde avait sa voix et chaque homme son bruit or comme je l’ai dit l’océan magnifique épandait une voix joyeuse et pacifique chantait comme la harpe aux temples de sion et louait la beauté de la création sa clameur qu’emportaient la brise et la rafale incessamment vers dieu montait plus triomphale et chacun de ses flots que dieu seul peut dompter quand l’autre avait fini se levait pour chanter comme ce grand lion dont daniel fut l’hôte l’océan par moments abaissait sa voix haute et moi je croyais voir vers le couchant en feu sous sa crinière d’or passer la main de dieu cependant à côté de l’auguste fanfare l’autre voix comme un cri de coursier qui s’effare comme le gond rouillé d’une porte d’enfer comme l’archet d’airain sur la lyre de fer grinçait et pleurs et cris l’injure l’anathème refus du viatique et refus du baptême et malédiction et blasphème et clameur dans le flot tournoyant de l’humaine rumeur passaient comme le soir on voit dans les vallées de noirs oiseaux de nuit qui s’en vont par volées qu’était ce que ce bruit dont mille échos vibraient hélas c’était la terre et l’homme qui pleuraient frères de ces deux voix étranges inouïes sans cesse renaissant sans cesse évanouies qu’écoute l’éternel durant l’éternité l’une disait nature et l’autre humanité alors je méditai car mon esprit fidèle hélas n’avait jamais déployé plus grande aile dans mon ombre jamais n’avait lui tant de jour et je rêvai longtemps contemplant tour à tour après l’abîme obscur que me cachait la lame l’autre abîme sans fond qui s’ouvrait dans mon âme et je me demandai pourquoi l’on est ici quel peut être après tout le but de tout ceci que fait l’âme lequel vaut mieux d’être ou de vivre et pourquoi le seigneur qui seul lit à son livre mêle éternellement dans un fatal hymen le chant de la nature au cri du genre humain 27 juillet 1829 vi à un voyageur l’une partie du monde ne sait point comme l’autre vit et se gouverne philippe de commines ami vous revenez d’un de ces longs voyages qui nous font vieillir vite et nous changent en sages au sortir du berceau de tous les océans votre course a vu l’onde hélas et vous feriez une ceinture au monde du sillon du vaisseau le soleil de vingt cieux a mûri votre vie partout où vous mena votre inconstante envie jetant et ramassant pareil au laboureur qui récolte et qui sème vous avez pris des lieux et laissé de vous même quelque chose en passant tandis que votre ami moins heureux et moins sage attendait des saisons l’uniforme passage dans le même horizon et comme l’arbre vert qui de loin la dessine à sa porte effeuillant ses jours prenait racine au seuil de sa maison vous êtes fatigué tant vous avez vu d’hommes enfin vous revenez las de ce que nous sommes vous reposer en dieu triste vous me contez vos courses infécondes et vos pieds ont mêlé la poudre de trois mondes aux cendres de mon feu or maintenant le cœur plein de choses profondes des enfants dans vos mains tenant les têtes blondes vous me parlez ici et vous me demandez sollicitude amère — où donc ton père où donc ton fils où donc ta mère — ils voyagent aussi le voyage qu’ils font n’a ni soleil ni lune nul homme n’y peut rien porter de sa fortune tant le maître est jaloux le voyage qu’ils font est profond et sans bornes on le fait à pas lents parmi des faces mornes et nous le ferons tous j’étais à leur départ comme j’étais au vôtre en diverses saisons tous trois l’un après l’autre ils ont pris leur essor hélas j’ai mis en terre à cette heure suprême ces têtes que j’aimais avare j’ai moi même enfoui mon trésor je les ai vus partir j’ai faible et plein d’alarmes vu trois fois un drap noir semé de blanches larmes tendre ce corridor j’ai sur leurs froides mains pleuré comme une femme mais le cercueil fermé mon âme a vu leur âme ouvrir deux ailes d’or je les ai vus partir comme trois hirondelles qui vont chercher bien loin des printemps plus fidèles et des étés meilleurs ma mère vit le ciel et partit la première et son œil en mourant fut plein d’une lumière qu’on n’a point vue ailleurs et puis mon premier né la suivit puis mon père fier vétéran âgé de quarante ans de guerre tout chargé de chevrons maintenant ils sont là tous trois dorment dans l’ombre tandis que leurs esprits font le voyage sombre et vont où nous irons si vous voulez à l’heure où la lune décline nous monterons tous deux la nuit sur la colline où gisent nos aïeux je vous dirai montrant à votre vue amie la ville morte auprès de la ville endormie laquelle dort le mieux venez muets tous deux et couchés contre terre nous entendrons tandis que paris fera taire son vivant tourbillon ces millions de morts moisson du fils de l’homme sourdre confusément dans leurs sépulcres comme le grain dans le sillon combien vivent joyeux qui devaient sœurs ou frères faire un pleur éternel de quelques ombres chères pouvoir des ans vainqueurs les morts durent bien peu laissons les sous la pierre hélas dans le cercueil ils tombent en poussière moins vite qu’en nos cœurs voyageur voyageur quelle est notre folie qui sait combien de morts à chaque heure on oublie des plus chers des plus beaux qui peut savoir combien toute douleur s’émousse et combien sur la terre un jour d’herbe qui pousse efface de tombeaux 6 juillet 1829 vii dicté en présence du glacier du rhône causa tangor ab omni ovide souvent quand mon esprit riche en métamorphoses flotte et roule endormi sur l’océan des choses dieu foyer du vrai jour qui ne luit point aux yeux mystérieux soleil dont l’âme est embrasée le frappe d’un rayon et comme une rosée le ramasse et l’enlève aux cieux alors nuage errant ma haute poésie vole capricieuse et sans route choisie de l’occident au sud du nord à l’orient et regarde du haut des radieuses voûtes les cités de la terre et les dédaignant toutes leur jette son ombre en fuyant puis dans l’or du matin luisant comme une étoile tantôt elle y découpe une frange à son voile tantôt comme un guerrier qui résonne en marchant elle frappe d’éclairs la forêt qui murmure et tantôt en passant rougit sa noire armure dans la fournaise du couchant enfin sur un vieux mont colosse à tête grise sur des alpes de neige un vent jaloux la brise qu’importe suspendu sur l’abîme béant le nuage se change en un glacier sublime et des mille fleurons qui hérissent sa cime fait une couronne au géant comme le haut cimier du mont inabordable alors il dresse au loin sa crête formidable l’arc en ciel vacillant joue à son flanc d’acier et chaque soir tandis que l’ombre en bas l’assiège le soleil ruisselant en lave sur sa neige change en cratère le glacier son front blanc dans la nuit semble une aube éternelle la chamois effaré dont le pied vaut une aile l’aigle même le craint sombre et silencieux la tempête à ses pieds tourbillonne et se traîne l’œil ose à peine atteindre à sa face sereine tant il est avant dans les cieux et seul à ces hauteurs sans crainte et sans vertige mon esprit de la terre oubliant le prestige voit le jour étoilé le ciel qui n’est plus bleu et contemple de près ces splendeurs sidérales dont la nuit sème au loin ses sombres cathédrales jusqu’à ce qu’un rayon de dieu le frappe de nouveau le précipite et change les prismes du glacier en flots mêlés de fange alors il croule alors éveillant mille échos il retombe en torrent dans l’océan du monde chaos aveugle et sourd mer immense et profonde où se ressemblent tous les flots au gré du divin souffle ainsi vont mes pensées dans un cercle éternel incessamment poussées du terrestre océan dont les flots sont amers comme sous un rayon monte une nue épaisse elles montent toujours vers le ciel et sans cesse redescendent des cieux aux mers 1er mai 1829 viii à m david statuaire d’hommes tu nous fais dieux régnier oh que ne suis je un de ces hommes qui géants d’un siècle effacé jusque dans le siècle où nous sommes règnent du fond de leur passé que ne suis je prince ou poëte de ces mortels à haute tête d’un monde à la fois base et faîte que leur temps ne peut contenir qui dans le calme ou dans l’orage qu’on les adore ou les outrage devançant le pas de leur âge marchent un pied dans l’avenir que ne suis je une de ces flammes un de ces pôles glorieux vers qui penchent toutes les âmes sur qui se fixent tous les yeux de ces hommes dont les statues du flot des temps toujours battues d’un tel signe sont revêtues que si le hasard les abat s’il les détrône de leur sphère du bronze auguste on ne peut faire que des cloches pour la prière ou des canons pour le combat que n’ai je un de ces fronts sublimes david mon corps fait pour souffrir du moins sous tes mains magnanimes renaîtrait pour ne plus mourir du haut du temple ou du théâtre colosse de bronze ou d’albâtre salué d’un peuple idolâtre je surgirais sur la cité comme un géant en sentinelle couvrant la ville de mon aile dans quelque attitude éternelle de génie et de majesté car c’est toi lorsqu’un héros tombe qui le relèves souverain toi qui le scelles sur sa tombe qu’il foule avec des pieds d’airain rival de rome et de ferrare tu pétris pour le mortel rare ou le marbre froid de carrare ou le métal qui fume et bout le grand homme au tombeau s’apaise quand ta main à qui rien ne pèse hors du bloc ou de la fournaise le jette vivant et debout sans toi peut être sa mémoire pâlirait d’un oubli fatal mais c’est toi qui sculptes sa gloire visible sur un piédestal ce fanal perdu pour le monde feu rampant dans la nuit profonde s’éteindrait sans montrer sur l’onde ni les écueils ni le chemin c’est ton souffle qui le ranime c’est toi qui sur le sombre abîme dresses le colosse sublime qui prend le phare dans sa main lorsqu’à tes yeux une pensée sous les traits d’un grand homme a lui tu la fais marbre elle est fixée et les peuples disent c’est lui mais avant d’être pour la foule longtemps dans ta tête elle roule comme une flamboyante houle au fond du volcan souterrain loin du grand jour qui la réclame tu la fais bouillir dans ton âme ainsi de ses langues de flamme le feu saisit l’urne d’airain va que nos villes soient remplies de tes colosses radieux qu’à jamais tu te multiplies dans un peuple de demi dieux fais de nos cités des corinthes oh ta pensée a des étreintes dont l’airain garde les empreintes dont le granit s’enorgueillit honneur au sol que ton pied foule un métal dans tes veines coule ta tête ardente est un grand moule d’où l’idée en bronze jaillit bonaparte eût voulu renaître de marbre et géant sous ta main cromwell son aïeul et son maître t’eût livré son front surhumain ton bras eût sculpté pour l’espagne charles quint pour nous charlemagne un pied sur l’hydre d’allemagne l’autre sur rome aux sept coteaux au sépulcre prêt à descendre césar t’eût confié sa cendre et c’est toi qu’eût pris alexandre pour lui tailler le mont athos 28 juillet 1828 ix a m de lamartine te referent fluctus horace naguère une même tourmente ami battait nos deux esquifs une même vague écumante nous jetait aux mêmes récifs les mêmes haines débordées gonflaient sous nos nefs inondées leurs flots toujours multipliés et comme un océan qui roule toutes les têtes de la foule hurlaient à la fois sous nos pieds qu’allais je faire en cet orage moi qui m’échappais du berceau moi qui vivais d’un peu d’ombrage et d’un peu d’air comme l’oiseau à cette mer qui le repousse pourquoi livrer mon nid de mousse où le jour n’osait pénétrer pourquoi donner à la rafale ma belle robe nuptiale comme une voile à déchirer c’est que dans mes songes de flamme c’est que dans mes rêves d’enfant j’avais toujours présents à l’âme ces hommes au front triomphant qui tourmentés d’une autre terre en ont deviné le mystère avant que rien en soit venu dont la tête au ciel est tournée dont l’âme boussole obstinée toujours cherche un pôle inconnu ces gamas en qui rien n’efface leur indomptable ambition savent qu’on n’a vu qu’une face de l’immense création ces colombs dans leur main profonde pèsent la terre et pèsent l’onde comme à la balance du ciel et voyant d’en haut toute cause sentent qu’il manque quelque chose à l’équilibre universel ce contre poids qui se dérobe ils le chercheront ils iront ils rendront sa ceinture au globe à l’univers sont double front ils partent on plaint leur folie l’onde les emporte on oublie le voyage et le voyageur… tout à coup de la mer profonde ils ressortent avec leur monde comme avec sa perle un plongeur voilà quelle était ma pensée quand sur le flot sombre et grossi je risquai ma nef insensée moi je cherchais un monde aussi mais à peine loin du rivage j’ai vu sur l’océan sauvage commencer dans un tourbillon cette lutte qui me déchire entre les voiles du navire et les ailes de l’aquilon c’est alors qu’en l’orage sombre j’entrevis ton mât glorieux qui bien avant le mien dans l’ombre fatiguait l’autan furieux alors la tempête était haute nous combattîmes côte à côte tous deux mois barque toi vaisseau comme le frère auprès du frère comme le nid auprès de l’aire comme auprès du lit le berceau l’autan criait dans nos antennes le flot lavait nos ponts mouvants nos banderoles incertaines frissonnaient au souffle des vents nous voyions les vagues humides comme des cavales numides se dresser hennir écumer l’éclair rougissant chaque lame mettait des crinières de flamme à tous ces coursiers de la mer nous échevelés dans la brume chantant plus haut dans l’ouragan nous admirions la vaste écume et la beauté de l’océan tandis que la foudre sublime planait tout en feu sur l’abîme nous chantions hardis matelots la laissant passer sur nos têtes et comme l’oiseau des tempêtes tremper ses ailes dans les flots échangeant nos signaux fidèles et nous saluant de la voix pareils à deux sœurs hirondelles nous voulions tous deux à la fois doubler le même promontoire remporter la même victoire dépasser le siècle en courroux nous tentions le même voyage nous voyions surgir dans l’orage le même adamastor jaloux bientôt la nuit toujours croissante ou quelque vent qui t’emportait m’a dérobé ta nef puissante dont l’ombre auprès de moi flottait seul je suis resté sous la nue depuis l’orage continue le temps est noir le vent mauvais l’ombre m’enveloppe et m’isole et si je n’avais ma boussole je ne saurais pas où je vais dans cette tourmente fatale j’ai passé les nuits et les jours j’ai pleuré la terre natale et mon enfance et mes amours si j’implorais le flot qui gronde toutes les cavernes de l’onde se rouvraient jusqu’au fond des mers si j’invoquais le ciel l’orage avec plus de bruit et de rage secouait se gerbe d’éclairs longtemps laissant le vent bruire je t’ai cherché criant ton nom voici qu’enfin je te vois luire a la cime de l’horizon mais ce n’est plus la nef ployée battue errante foudroyée sous tous les caprices des cieux rêvant d’idéales conquêtes risquant à travers les tempêtes un voyage mystérieux c’est un navire magnifique bercé par le flot souriant qui sur l’océan pacifique vient du côté de l’orient toujours en avant de sa voile on voit cheminer une étoile qui rayonne à l’œil ébloui jamais on ne le voit éclore sans une étincelante aurore qui se lève derrière lui le ciel serein la mer sereine l’enveloppent de tous côtés par ses mâts et par sa carène il plonge aux deux immensités le flot s’y brise en étincelles ses voiles sont comme des ailes au souffle qui vient les gonfler il vogue il vogue vers la plage et comme le cygne qui nage on sent qu’il pourrait s’envoler le peuple auquel il se révèle comme une blanche vision roule prolonge et renouvelle une immense acclamation la foule inonde au loin la rive oh dit elle il vient il arrive elle l’appelle avec des pleurs et le vent porte au beau navire comme à dieu l’encens et la myrrhe l’haleine de la terre en fleurs oh rentre au port esquif sublime jette l’ancre loin des frimas vois cette couronne unanime que la foule attache à tes mâts oublie et l’onde et l’aventure et le labeur de la mâture et le souffle orageux du nord triomphe à l’abri des naufrages et ris toi de tous les orages qui rongent les chaînes du port tu reviens de ton amérique ton monde est trouvé — sur les flots ce monde à ton souffle lyrique comme un œuf sublime est éclos c’est un univers qui s’éveille une création pareille a celle qui rayonne au jour de nouveaux infinis qui s’ouvrent un de ces mondes que découvrent ceux qui de l’âme ont fait le tour tu peux dire à qui doute encore j’en viens j’en ai cueilli ce fruit votre aurore n’est pas l’aurore et votre nuit n’est pas la nuit votre soleil ne vaut pas l’autre leur jour est plus bleu que le vôtre dieu montre sa face en leur ciel j’ai vu luire une croix d’étoiles clouée à leurs nocturnes voiles comme un labarum éternel tu dirais la verte savane les hautes herbes des déserts et les bois dont le zéphyr vanne toutes les graines dans les airs les grandes forêts inconnues les caps d’où s’envolent les nues comme l’encens des saints trépieds les fruits de lait et d’ambroisie et les mines de poésie dont tu jettes l’or à leurs pieds et puis encor tu pourrais dire sans épuiser ton univers ses monts d’agate et de porphyre ses fleuves qui noieraient leurs mers de ce monde né de la veille tu peindrais la beauté vermeille terre vierge et féconde à tous patrie où rien ne nous repousse et ta voix magnifique et douce les ferait tomber à genoux désormais à tous tes voyages vers ce monde trouvé par toi en foule ils courront aux rivages comme un peuple autour de son roi mille acclamations sur l’onde suivront longtemps ta voile blonde brillante en mer comme un fanal salueront le vent qui t’enlève puis sommeilleront sur la grève jusqu’à ton retour triomphal ah soit qu’au port ton vaisseau dorme soit qu’il se livre sans effroi aux baisers de la mer difforme qui hurle béante sous moi de ta sérénité sublime regarde parfois dans l’abîme avec des yeux de pleurs remplis ce point noir dans ton ciel limpide ce tourbillon sombre et rapide qui roule une voile en ses plis c’est mon tourbillon c’est ma voile c’est l’ouragan qui furieux à mesure éteint chaque étoile qui se hasarde dans mes cieux c’est la tourmente qui m’emporte c’est la nuée ardente et forte qui se joue avec moi dans l’air et tournoyant comme une roue fait étinceler sur ma proue le glaive acéré de l’éclair alors d’un cœur tendre et fidèle ami souviens toi de l’ami que toujours poursuit à coups d’aile le vent dans ta voile endormi songe que du sein de l’orage il t’a vu surgir au rivage dans un triomphe universel et qu’alors il levait la tête et qu’il oubliait sa tempête pour chanter l’azur de ton ciel et si mon invisible monde toujours à l’horizon me fuit si rien ne germe dans cette onde que je laboure jour et nuit si mon navire de mystère se brise à cette ingrate terre que cherchent mes yeux obstinés pleure ami mon ombre jalouse colomb doit plaindre la pérouse tous deux étaient prédestinés 20 juin 1830 x æstuat infelix un jour au mont atlas les collines jalouses dirent — vois nos prés verts vois nos fraîches pelouses où vient la jeune fille errante en liberté chanter rire et rêver après qu’elle a chanté nos pieds que l’océan baise en grondant à peine le sauvage océan notre tête sereine a qui l’été de flamme et la rosée en pleurs font tant épanouir de couronnes de fleurs mais toi géant — d’où vient que sur ta tête chauve planent incessamment des aigles à l’œil fauve qui donc comme une branche où l’oiseau fait son nid courbe ta large épaule et ton dos de granit pourquoi dans tes flancs noirs tant d’abîmes pleins d’ombre quel orage éternel te bat d’un éclair sombre qui t’a mis tant de neige et de rides au front et ce front où jamais printemps ne souriront qui donc le courbe ainsi quelle sueur l’inonde … altas leur répondit — c’est que je porte un monde 24 avril 1830 xi a lord byron en 1811 dédain yo contra todos y todos contra yo romance de viejo arias i qui peut savoir combien de jalouses pensées de haines par l’envie en tous lieux ramassées de sourds ressentiments d’inimitiés sans frein d’orages à courber les plus sublimes têtes combien de passions de fureurs de tempêtes grondent autour de toi jeune homme au front serein tu ne le sais pas toi — car tandis qu’à ta base la gueule des serpents s’élargit et s’écrase tandis que ces rivaux que tu croyais meilleurs vont t’assiégeant en foule ou dans la nuit secrète creusent maint piège infâme à ta marche distraite pensif tu regardes ailleurs ou si parfois leurs cris montent jusqu’à ton âme si ta colère ouvrant ses deux ailes de flamme veut foudroyer leur foule acharnée à ton nom avant que le volcan n’ait trouvé son issue avant que tu n’aies mis la main à ta massue tu te prends à sourire et tu dis à quoi bon puis voilà que revient ta chère rêverie famille enfant amour dieu liberté patrie la lyre à réveiller la scène à rajeunir napoléon ce dieu dont tu seras le prêtre les grands hommes mépris du temps qui les voit naître religion de l’avenir ii allez donc ennemis de son nom foule vaine autour de son génie épuisez votre haleine recommencez toujours ni trêve ni remord allez recommencez veillez et sans relâche roulez votre rocher refaites votre tâche envieux — lui poëte il chante il rêve il dort votre voix qui s’aiguise et vibre comme un glaive n’est qu’une voix de plus dans le bruit qu’il soulève la gloire est un concert de mille échos épars chœurs de démons accords divins chants angéliques pareil au bruit que font dans les places publiques une multitude de chars il ne vous connaît pas — il dit par intervalles qu’il faut aux jours d’été l’aigre cri des cigales l’épine à mainte fleur que c’est le sort commun que ce serait pitié d’écraser la cigale que le trop bien est mal que la rose au bengale pour être sans épine est aussi sans parfum et puis qu’importe amis ennemis tout s’écoule c’est au même tombeau que va toute la foule rien ne touche un esprit que dieu même a saisi trônes sceptres lauriers temples chars de victoire on ferait à des rois des couronnes de gloire de tout ce qu’il dédaigne ici que lui font donc ces cris où votre voix s’enroue que sert au flot amer d’écumer sur la proue il ignore vos noms il n’en a point souci et quand pour ébranler l’édifice qu’il fonde la sueur de vos fronts ruisselle et vous inonde il ne sait même pas qui vous fatigue ainsi iii puis quand il le voudra scribes docteurs poëtes il sait qu’il peut d’un souffle en vos bouches muettes éteindre vos clameurs et qu’il emportera toutes vos voix ensemble comme le vent de mer emporte où bon lui semble la chanson des rameurs en vain vos légions l’environnent sans nombre il n’a qu’à se lever pour couvrir de son ombre a la fois tous vos fronts il n’a qu’à dire un mot pour couvrir vos voix grêles comme un char en passant couvre le bruit des ailes de mille moucherons quand il veut vos flambeaux sublimes auréoles dont vous illuminez vos temples vos idoles vos dieux votre foyer phares éblouissants clartés universelles pâlissent à l’éclat des moindres étincelles du pied de son coursier 26 avril 1830 xii in god is all devise des saloum o toi qui si longtemps vis luire à mon côté le jour égal et pur de la prospérité toi qui lorsque mon âme allait de doute en doute et comme un voyageur te demandait sa route endormis sur ton sein mes rêves ténébreux et pour toute raison disais soyons heureux hélas ô mon amie hélas voici que l’ombre envahit notre ciel et que la vie est sombre voici que le malheur s’épanche lentement sur l’azur radieux de notre firmament voici qu’à nos regards s’obscurcit et recule notre horizon perdu dans un noir crépuscule or dans ce ciel où va la nuit se propageant comme un œil lumineux vivant intelligent vois tu briller là bas cette profonde étoile des mille vérités que le bonheur nous voile c’est une qui paraît c’est la première encor qui nous ait éblouis de sa lumière d’or notre ciel que déjà le sombre deuil réclame n’a plus assez d’éclat pour cacher cette flamme et du sud du couchant ou du septentrion chaque ombre qui survient donne à l’astre un rayon et plus viendra la nuit et plus à plis funèbres s’épaissiront sur nous son deuil et ses ténèbres plus dans ce ciel sublime à nos yeux enchantés en foule apparaîtront de splendides clartés plus nous verrons dans l’ombre où leur loi les rassemble toutes les vérités étinceler ensemble et graviter autour d’un centre impérieux et rompre et renouer leur chœur mystérieux cette fatale nuit que le malheur amène fait voir plus clairement la destinée humaine et montre à ses deux bouts écrits en traits de feu ces mots âme immortelle éternité de dieu car tant que luit le jour de son soleil de flamme il accable nos yeux il aveugle notre âme et nous nous reposons dans un doute serein sans savoir si le ciel est d’azur ou d’airain mais la nuit rend aux cieux leurs étoiles leurs gloires candélabres que dieu pend à leurs voûtes noires l’œil dans leurs profondeurs découvre à chaque pas mille mondes nouveaux qu’il ne soupçonnait pas soleils plus flamboyants plus chevelus dans l’ombre qu’en l’abîme sans fin il voit luire sans nombre 9 août 1829 xiii quot libras in duce summo juvénal c’est une chose grande et que tout homme envie d’avoir un lustre en soi qu’on épand sur sa vie d’être choisi d’un peuple à venger son affront de ne point faire un pas qui n’ait trace en l’histoire ou de chanter les yeux au ciel et que la gloire fasse avec un regard reluire votre front il est beau de courir par la terre usurpée disciplinant les rois du plat de son épée d’être napoléon l’empereur radieux d’être dante à son nom rendant les voix muettes sans doute ils sont heureux les héros les poëtes ceux que le bras fait rois ceux que l’esprit fait dieux il est beau conquérant législateur prophète de marcher dépassant les hommes de la tête d’être en la nuit de tous un éclatant flambeau et que de vos vingt ans vingt siècles se souviennent … — voilà ce que je dis puis des pitiés me viennent quand je pense à tous ceux qui sont dans le tombeau 16 juillet 1829 xiv oh primavera gioventù dell’ anno oh gioventù primavera della vita o mes lettres d’amour de vertu de jeunesse c’est donc vous je m’enivre encore à votre ivresse je vous lis à genoux souffrez que pour un jour je reprenne votre âge laissez moi me cacher moi l’heureux et le sage pour pleurer avec vous j’avais donc dix huit ans j’étais donc plein de songes l’espérance en chantant me berçait de mensonges un astre m’avait lui j’étais un dieu pour toi qu’en mon cœur seul je nomme j’étais donc cet enfant hélas devant qui l’homme rougit presque aujourd’hui o temps de rêverie et de force et de grâce attendre tous les soirs une robe qui passe baiser un gant jeté vouloir tout de la vie amour puissance et gloire être pur être fier être sublime et croire à toute pureté a présent j’ai senti j’ai vu je sais — qu’importe si moins d’illusions viennent ouvrir ma porte qui gémit en tournant oh que cet âge ardent qui me semblait si sombre a côté du bonheur qui m’abrite à son ombre rayonne maintenant que vous ai je donc fait ô mes jeunes années pour m’avoir fui si vite et vous être éloignées me croyant satisfait hélas pour revenir m’apparaître si belles quand vous ne pouvez plus me prendre sur vos ailes que vous ai je donc fait oh quand ce doux passé quand cet âge sans tache avec sa robe blanche où notre amour s’attache revient dans nos chemins on s’y suspend et puis que de larmes amères sur les lambeaux flétris de vos jeunes chimères qui vous restent aux mains oublions oublions quand la jeunesse est morte laissons nous emporter par le vent qui l’emporte a l’horizon obscur rien ne reste de nous notre œuvre est un problème l’homme fantôme errant passe sans laisser même son ombre sur le mur mai 1830 xv sinite parvulos venire ad me jésus laissez — tous ces enfants sont bien là — qui vous dit que la bulle d’azur que mon souffle agrandit a leur souffle indiscret s’écroule qui vous dit que leurs voix leurs pas leurs jeux leurs cris effarouchent la muse et chassent les péris … — venez enfants venez en foule venez autour de moi riez chantez courez votre œil me jettera quelques rayons dorés votre voix charmera mes heures c’est la seule en ce monde où rien ne nous sourit qui vienne du dehors sans troubler dans l’esprit le chœur des voix intérieures fâcheux qui les vouliez écarter — croyez vous que notre cœur n’est pas plus serein et plus doux au sortir de leurs jeunes rondes croyez vous que j’ai peur quand je vois au milieu de mes rêves rougis ou de sang ou de feu passer toutes ces têtes blondes la vie est elle donc si charmante à vos yeux qu’il faille préférer à tout ce bruit joyeux une maison vide et muette n’ôtez pas la pitié même vous le défend un rayon de soleil un sourire d’enfant au ciel sombre au cœur du poëte — mais ils s’effaceront à leurs bruyants ébats ces mots sacrés que dit une muse tout bas ces chants purs d’où l’âme se noie … — eh que m’importe à moi muse chants vanité votre gloire perdue et l’immortalité si j’y gagne une heure de joie la belle ambition et le rare destin chanter toujours chanter pour un écho lointain pour un vain bruit qui passe et tombe vivre abreuvé de fiel d’amertume et d’ennuis expier dans ses jours les rêves de ses nuits faire un avenir à sa tombe oh que j’aime bien mieux ma joie et mon plaisir et toute ma famille avec tout mon loisir dût la gloire ingrate et frivole dussent mes vers troublés de ces ris familiers s’enfuir comme devant un essaim d’écoliers une troupe d’oiseaux s’envole mais non au milieu d’eux rien ne s’évanouit l’orientale d’or plus riche épanouit ses fleurs peintes et ciselées la ballade est plus fraîche et dans le ciel grondant l’ode ne pousse pas d’un souffle moins ardent le groupe des strophes ailées je les vois reverdir dans leurs jeux éclatants mes hymnes parfumés comme un champ de printemps o vous dont l’âme est épuisée o mes amis l’enfance aux riantes couleurs donne la poésie à nos vers comme aux fleurs l’aurore donne la rosée venez enfants — a vous jardins cours escaliers ébranlez et planchers et plafonds et piliers que le jour s’achève ou renaisse courez et bourdonnez comme l’abeille aux champs ma joie et mon bonheur et mon âme et mes chants iront ou vous irez jeunesse il est pour les cœurs sourds aux vulgaires clameurs d’harmonieuses voix des accords des rumeurs qu’on n’entend que dans les retraites notes d’un grand concert interrompu souvent vents flots feuilles des bois bruits dont l’âme en rêvant se fait des musiques secrètes moi quel que soit le monde et l’homme et l’avenir soit qu’il faille oublier ou se ressouvenir que dieu m’afflige ou me console je ne veux habiter la cité des vivants que dans une maison qu’une rumeur d’enfants fasse toujours vivante et folle de même si jamais enfin je vous revois beau pays dont la langue est faite pour ma voix dont mes yeux aimaient les campagnes bords où mes pas enfants suivaient napoléon fortes villes du cid ô valence ô léon castille aragon mes espagnes je ne veux traverser vos plaines vos cités franchir vos ponts d’une arche entre deux monts jetés vois vos palais romains ou maures votre guadalquivir qui serpente et s’enfuit que dans ces chars dorés qu’emplissent de leur bruit les grelots des mules sonores 11 mai 1830 xvi where should i steer byron quand le livre où s’endort chaque soir ma pensée quand l’air de la maison les soucis du foyer quand le bourdonnement de la ville insensée où toujours on entend quelque chose crier quand tous ces mille soins de misère ou de fête qui remplissent nos jours cercle aride et borné ont tenu trop longtemps comme un joug sur ma tête le regard de mon âme à la terre tourné elle s’échappe enfin va marche et dans la plaine prend le même sentier qu’elle prendra demain qui l’égare au hasard et toujours la ramène comme un coursier prudent qui connaît le chemin elle court aux forêts où dans l’ombre indécise flottent tant de rayons de murmures de voix trouve la rêverie au premier arbre assise et toutes deux s’en vont ensemble dans les bois 27 juin 1830 xvii flebile nescio quid ovide oh pourquoi te cacher tu pleurais seule ici devant tes yeux rêveurs qui donc passait ainsi quelle ombre flottait dans ton âme était ce long regret ou noir pressentiment ou jeunes souvenirs dans le passé dormant ou vague faiblesse de femme voyais tu fuir déjà l’amour et ses douceurs ou les illusions toutes ces jeunes sœurs qui le matin devant nos portes dans l’avenir sans borne ouvrant mille chemins dansent des fleurs au front et les mains dans les mains et bien avant le soir sont mortes ou bien te venait il des tombeaux endormis quelque ombre douloureuse avec des traits amis te rappelant le peu d’années et demandant tout bas quand tu viendrais le soir prier devant ces croix de pierre ou de bois noir pendent tant de fleurs fanées mais non ces visions ne te poursuivaient pas il suffit pour pleurer de songer qu’ici bas tout miel est amer tout ciel sombre que toute ambition trompe l’effort humain que l’espoir est un leurre et qu’il n’est pas de main qui garde l’onde ou prenne l’ombre toujours ce qui là bas vole au gré du zéphyr avec des ailes d’or de pourpre et de saphir nous fait courir et nous devance mais adieu l’aile d’or pourpre émail vermillon quand l’enfant a saisi le frêle papillon quand l’homme a pris son espérance pleure les pleurs vont bien même au bonheur tes chants sont plus doux dans les pleurs tes yeux purs et touchants sont plus beaux quand tu les essuies l’été quand il a plu le champ est plus vermeil et le ciel fait briller plus au beau soleil son azur lavé par les pluies pleure comme rachel pleure comme sara on a toujours souffert ou bien on souffrira malheur aux insensés qui rient le seigneur nous relève alors que nous tombons car s’il préfère encor les malheureux aux bons ceux qui pleurent à ceux qui prient pleure afin de savoir les larmes sont un don souvent les pleurs après l’erreur et l’abandon raniment nos forces brisées souvent l’âme sentant au doute qui s’enfuit qu’un jour intérieur se lève dans sa nuit répand de ces douces rosées pleure mais tu fais bien cache toi pour pleurer aie un asile en toi pour t’en désaltérer pour les savourer avec charmes sous le riche dehors de ta prospérité dans le fond de ton cœur comme un fruit pour l’été mets à part ton trésor de larmes car la fleur qui s’ouvrit avec l’aurore en pleurs et qui fait à midi de ses belles couleurs admirer la splendeur timide sous ses corolles d’or loin des yeux importuns au fond de ce calice où sont tous ses parfums souvent cache une perle humide juin 1830 xviii sed satis est jam posse mori lucain donc est le bonheur disais je — infortuné le bonheur ô mon dieu vous me l’avez donné naître et ne pas savoir que l’enfance éphémère ruisseau de lait qui fuit sans une goutte amère est l’âge du bonheur et le plus beau moment que l’homme ombre qui passe ait sous le firmament plus tard aimer garder dans son cœur de jeune homme un nom mystérieux que jamais on ne nomme glisser un mot furtif dans une tendre main aspirer aux douceurs d’un ineffable hymen envier l’eau qui fuit le nuage qui vole sentir son cœur se fondre au son d’une parole connaître un pas qu’on aime et que jaloux on suit rêver le jour brûler et se tordre la nuit pleurer surtout cet âge où sommeillent les âmes toujours souffrir parmi tous les regards de femmes tous les buissons d’avril les feux du ciel vermeil ne chercher qu’un regard qu’une fleur qu’un soleil puis effeuiller en hâte et d’une main jalouse les boutons d’orangers sur le front de l’épouse tout sentir être heureux et pourtant insensé se tourner presque en pleurs vers le malheur passé voir aux feux de midi sans espoir qu’il renaisse se faner son printemps son matin sa jeunesse perdre l’illusion l’espérance et sentir qu’on vieillit au fardeau croissant du repentir effacer de son front des taches et des rides s’éprendre d’art de vers de voyages arides de cieux lointains de mers où s’égarent nos pas redemander cet âge où l’on ne dormait pas se dire qu’on était bien malheureux bien triste bien fou que maintenant on respire on existe et plus vieux de dix ans s’enfermer tout un jour pour relire avec pleurs quelques lettres d’amour vieillir enfin vieillir comme des fleurs fanées voir blanchir nos cheveux et tomber nos années rappeler notre enfance et nos beaux jours flétris boire le reste amer de ces parfums aigris être sage et railler l’amant et le poëte et lorsque nous touchons à la tombe muette suivre en les rappelant d’un œil mouillé de pleurs nos enfants qui déjà sont tournés vers les leurs ainsi l’homme ô mon dieu marche toujours plus sombre du berceau qui rayonne au sépulcre plein d’ombre c’est donc avoir vécu c’est donc avoir été dans la joie et l’amour et la félicité c’est avoir eu sa part et se plaindre est folie voilà de quel nectar la coupe était remplie hélas naître pour vivre en désirant la mort grandir en regrettant l’enfance où le cœur dort vieillir en regrettant la jeunesse ravie mourir en regrettant la vieillesse et la vie donc est le bonheur disais je — infortuné le bonheur ô mon dieu vous me l’avez donné 28 mai 1830 xix le toit s’égaie et rit andré chénier lorsque l’enfant paraît le cercle de famille applaudit à grands cris son doux regard qui brille fait briller tous les yeux et les plus tristes fronts les plus souillés peut être se dérident soudain à voir l’enfant paraître innocent et joyeux soit que juin ait verdi mon seuil ou que novembre fasse autour d’un grand feu vacillant dans la chambre les chaises se toucher quand l’enfant vient la joie arrive et nous éclaire on rit on se récrie on l’appelle et sa mère tremble à le voir marcher quelquefois nous parlons en remuant la flamme de patrie et de dieu des poëtes de l’âme qui s’élève en priant l’enfant paraît adieu le ciel et la patrie et les poëtes saints la grave causerie s’arrête en souriant la nuit quand l’homme dort quand l’esprit rêve à l’heure où l’on entend gémir comme une voix qui pleure l’onde entre les roseaux si l’aube tout à coup là bas luit comme un phare sa clarté dans les champs éveille une fanfare de cloches et d’oiseaux enfant vous êtes l’aube et mon âme est la plaine qui des plus douces fleurs embaume son haleine quand vous la respirez mon âme est la forêt dont les sombres ramures s’emplissent pour vous seul de suaves murmures et de rayons dorés car vos beaux yeux sont pleins de douceurs infinies car vos petites mains joyeuses et bénies n’ont point mal fait encor jamais vos jeunes pas n’ont touché notre fange tête sacrée enfant aux cheveux blonds bel ange à l’auréole d’or vous êtes parmi nous la colombe de l’arche vos pieds tendres et purs n’ont point l’âge où l’on marche vos ailes sont d’azur sans le comprendre encor vous regardez le monde double virginité corps où rien n’est immonde âme où rien n’est impur il est si beau l’enfant avec son doux sourire sa douce bonne foi sa voix qui veut tout dire ses pleurs vite apaisés laissant errer sa vue étonnée et ravie offrant de toutes parts sa jeune âme à la vie et sa bouche aux baisers seigneur préservez moi préservez ceux que j’aime frères parents amis et mes ennemis même dans le mal triomphants de jamais voir seigneur l’été sans fleurs vermeilles la cage sans oiseaux la ruche sans abeilles la maison sans enfants 18 mai 1830 xx beau frais souriant d’aise à cette vie amère sainte beuve dans l’alcôve sombre près d’un humble autel l’enfant dort à l’ombre du lit maternel tandis qu’il repose sa paupière rose pour la terre close s’ouvre pour le ciel il fait bien des rêves il voit par moments le sable des grèves plein de diamants des soleils de flammes et de belles dames qui portent des âmes dans leurs bras charmants songe qui l’enchante il voit des ruisseaux une voix qui chante sort du fond des eaux ses sœurs sont plus belles son père est près d’elles sa mère a des ailes comme les oiseaux il voit mille choses plus belles encore des lys et des roses plein le corridor des lacs de délice où le poisson glisse où l’onde se plisse à des roseaux d’or enfant rêve encore dors ô mes amours ta jeune âme ignore où s’en vont tes jours comme une algue morte tu vas que t’importe le courant t’emporte mais tu dors toujours sans soin sans étude tu dors en chemin et l’inquiétude à la froide main de son ongle aride sur ton front candide qui n’a point de ride n’écrit pas demain il dort innocence les anges sereins qui savent d’avance le sort des humains le voyant sans armes sans peur sans alarmes baisent avec larmes ses petits mains leurs lèvres effleurent ses lèvres de miel l’enfant voit qu’ils pleurent et dit gabriel mais l’ange le touche et berçant sa couche un doigt sur sa bouche lève l’autre au ciel cependant sa mère prompte à le bercer croit qu’une chimère le vient oppresser fière elle l’admire l’entend qui soupire et le fait sourire avec un baiser 10 novembre 1831 xxi πᾶν μοι συναρμόζει ὃ σοὶ εὐάρμοστόν ἐστιν ὦ κόσμε· οὐδέν μοι πρόωρον οὐδὲ ὄψιμον ὃ σοὶ εὔκαιρον πᾶν καρπὸς ὃ φέρουσιν αἱ σαὶ ὧραι ὦ φύσις· ἐκ σοῦ πάντα ἐν σοὶ πάντα εἰς σὲ πάντα marc aurèle parfois lorsque tout dort je m’assieds plein de joie sous le dôme étoilé qui sur nos fronts flamboie j’écoute si d’en haut il tombe quelque bruit et l’heure vainement me frappe de son aile quand je contemple ému cette fête éternelle que le ciel rayonnant donne au monde la nuit souvent alors j’ai cru que ces soleils de flamme dans ce monde endormi n’échauffaient que mon âme qu’à les comprendre seul j’étais prédestiné que j’étais moi vaine ombre obscure et taciturne le roi mystérieux de la pompe nocturne que le ciel pour moi seul s’était illuminé novembre 1829 xxii à une femme c’est une âme charmante diderot enfant si j’étais roi je donnerais l’empire et mon char et mon sceptre et mon peuple à genoux et ma couronne d’or et mes bains de porphyre et mes flottes à qui la mer ne peut suffire pour un regard de vous si j’étais dieu la terre et l’air avec les ondes les anges les démons courbés devant ma loi et le profond chaos aux entrailles fécondes l’éternité l’espace et les cieux et les mondes pour un baiser de toi 8 mai 1829 xxiii quien no ama no vive oh qui que vous soyez jeune ou vieux riche ou sage si jamais vous n’avez épié le passage le soir d’un pas léger d’un pas mélodieux d’un voile blanc qui glisse et fuit dans les ténèbres et comme un météore au sein des nuits funèbres vous laisse dans le cœur un sillon radieux si vous ne connaissez que pour l’entendre dire au poëte amoureux qui chante et qui soupire ce suprême bonheur qui fait nos jours dorés de posséder un cœur sans réserve et sans voiles de n’avoir pour flambeaux de n’avoir pour étoiles de n’avoir pour soleils que deux yeux adorés si vous n’avez jamais attendu morne et sombre sous les vitres d’un bal qui rayonne dans l’ombre l’heure où pour le départ les portes s’ouvriront pour voir votre beauté comme un éclair qui brille rose avec des yeux bleus et toute jeune fille passer dans la lumière avec des fleurs au front si vous n’avez jamais senti la frénésie de voir la main qu’on veut par d’autres mains choisie de voir le cœur aimé battre sur d’autres cœurs si vous n’avez jamais vu d’un œil de colère la valse impure au vol lascif et circulaire effeuiller en courant les femmes et les fleurs si jamais vous n’avez descendu les collines le cœur tout débordant d’émotions divines si jamais vous n’avez le soir sous les tilleuls tandis qu’au ciel luisaient des étoiles sans nombre aspiré couple heureux la volupté de l’ombre cachés et vous parlant tout bas quoique tout seuls si jamais une main n’a fait trembler la vôtre si jamais ce seul mot qu’on dit l’un après l’autre je t aime n’a rempli votre âme tout un jour si jamais vous n’avez pris en pitié les trônes en songeant qu’on cherchait les sceptres les couronnes et la gloire et l’empire et qu’on avait l’amour la nuit quand la veilleuse agonise dans l’urne quand paris enfoui sous la brume nocturne avec la tour saxonne et l’église des goths laisse sans les compter passer les heures noires qui douze fois semant les rêves illusoires s’envolent des clochers par groupes inégaux si jamais vous n’avez à l’heure où tout sommeille tandis qu’elle dormait oublieuse et vermeille pleuré comme un enfant à force de souffrir crié cent fois son nom du soir jusqu’à l’aurore et cru qu’elle viendrait en l’appelant encore et maudit votre mère et désiré mourir si jamais vous n’avez senti que d’une femme le regard dans votre âme allumait une autre âme que vous étiez charmé qu’un ciel s’était ouvert et que pour cette enfant qui de vos pleurs se joue il vous serait bien doux d’expirer sur la roue vous n’avez point aimé vous n’avez point souffert novembre 1831 xxiv mens blanda in corpore blando madame autour de vous tant de grâce étincelle votre chant est si pur votre danse recèle un charme si vainqueur un si touchant regard baigne votre prunelle toute votre personne a quelque chose en elle de si doux pour le cœur que lorsque vous venez jeune astre qu’on admire éclairer notre nuit d’un rayonnant sourire qui nous fait palpiter comme l’oiseau des bois devant l’aube vermeille une tendre pensée au fond des cœurs s’éveille et se met à chanter vous ne l’entendez pas vous l’ignorez madame car la chaste pudeur enveloppe votre âme de ses voiles jaloux et l’ange que le ciel commit à votre garde n’a jamais à rougir quand rêveur il regarde ce qui se passe en vous 22 avril 1831 xxv amor ch’a null’ amato amar perdona mi prese del costui placer si forte che come vedi ancor non m’abbandona dante contempler dans son bain sans voiles une fille aux yeux innocents suivre de loin de blanches voiles voir au ciel briller les étoiles et sous l’herbe les vers luisants voir autour des mornes idoles des sultanes danser en rond d’un bal compter les girandoles la nuit voir sur l’eau les gondoles fuir avec une étoile au front regarder la lune sereine dormir sous l’arbre du chemin être le roi lorsque la reine par son sceptre d’or souveraine l’est aussi par sa blanche main ouïr sur les harpes jalouses se plaindre la romance en pleurs errer pensif sur les pelouses le soir lorsque les andalouses de leurs balcons jettent des fleurs rêver tandis que les rosées pleuvent d’un beau ciel espagnol et que les notes embrasées s’épanouissent en fusées dans la chanson du rossignol ne plus se rappeler le nombre de ses jours songes oubliés suivre fuyant dans la nuit sombre un esprit qui traîne dans l’ombre deux sillons de flamme à ses pieds des boutons d’or qu’avril étale dépouiller le riche gazon voir après l’absence fatale enfin de sa ville natale grandir la flèche à l’horizon non tout ce qu’a la destinée de bien réels ou fabuleux n’est rien pour mon âme enchaînée quand tu regardes inclinée mes yeux noirs avec tes yeux bleus 12 septembre 1828 xxvi ô les tendres propos et les charmantes choses que me disait aline en la saison des roses doux zéphyrs qui passiez alors dans ces beaux lieux n’en rapportiez vous rien à l’oreille des dieux segrais vois cette branche est rude elle est noire et la nue verse la pluie à flots sur son écorce nue mais attends que l’hiver s’en aille et tu vas voir une feuille percer ces nœuds si durs pour elle et tu demanderas comment un bourgeon frêle peut si tendre et si vert jaillir de ce bois noir demande alors pourquoi ma jeune bien aimée quand sur mon âme hélas endurcie et fermée ton souffle passe après tant de maux expiés pourquoi remonte et court ma sève évanouie pourquoi mon âme en fleur et tout épanouie jette soudain des vers que j’effeuille à tes pieds c’est que tout a sa loi le monde et la fortune c’est qu’une claire nuit succède aux nuits sans lune c’est que tout ici bas a ses reflux constants c’est qu’il faut l’arbre au vent et la feuille au zéphire c’est qu’après le malheur m’est venu ton sourire c’est que c’était l’hiver et que c’est le printemps 7 mai 1829 xxvii a mes amis l b et s b here’s a sigh to those who love me and a smile to those who hate and whatever sky’s above me here’s a heart for every fate byron amis c’est donc rouen la ville aux vieilles rues aux vieilles tours débris des races disparues la ville aux cent clochers carillonnant dans l’air le rouen des châteaux des hôtels des bastilles dont le front hérissé de flèches et d’aiguilles déchire incessamment les brumes de la mer c’est rouen qui vous a rouen qui vous enlève je ne m’en plaindrai pas j’ai souvent fait ce rêve d’aller voir saint ouen à moitié démoli et tout m’a retenu la famille l’étude mille soins et surtout la vague inquiétude qui fait que l’homme craint son désir accompli j’ai différé la vie à différer se passe de projets en projets et d’espace en espace le fol esprit de l’homme en tout temps s’envola un jour enfin lassés du songe qui nous leurre nous disons il est temps exécutons c’est l’heure alors nous retournons les yeux — la mort est là ainsi de mes projets — quand vous verrai je espagne et venise et son golfe et rome et sa campagne toi sicile que ronge un volcan souterrain grèce qu’on connaît trop sardaigne qu’on ignore cités de l’aquilon du couchant de l’aurore pyramides du nil cathédrales du rhin qui sait jamais peut être — et quand m’abriterai je près de la mer ou bien sous un mont blanc de neige dans quelque vieux donjon tout plein d’un vieux héros où le soleil dorant les tourelles du faîte n’enverra sur mon front que des rayons de fête teints de pourpre et d’azur au prisme des vitraux jamais non plus sans doute — en attendant vaine ombre oublié dans l’espace et perdu dans le nombre je vis j’ai trois enfants en cercle à mon foyer et lorsque la sagesse entr’ouvre un peu ma porte elle me crie ami sois content que t’importe cette tente d’un jour qu’il faut sitôt ployer et puis dans mon esprit des choses que j’espère je me fais cent récits comme à son fils un père ce que je voudrais voir je le rêve si beau je vois en moi des tours des romes des cordoues qui jettent mille feux muse quand tu secoues sous leurs sombres piliers ton magique flambeau ce sont des alhambras de hautes cathédrales des babels dans la nue enfonçant leurs spirales de noirs escurials mystérieux séjour des villes d’autrefois peintes et dentelées où chantent jour et nuit mille cloches ailées joyeuses d’habiter dans des clochers à jour et je rêve et jamais villes impériales n’éclipseront ce rêve aux splendeurs idéales gardons l’illusion elle fuit assez tôt chaque homme dans son cœur crée à sa fantaisie tout un monde enchanté d’art et de poésie c’est notre chanaan que nous voyons d’en haut restons où nous voyons pourquoi vouloir descendre et toucher ce qu’on rêve et marcher dans la cendre que ferons nous après où descendre où courir plus de but à chercher plus d’espoir qui séduise de la terre donnée à la terre promise nul retour et moïse a bien fait de mourir restons loin des objets dont la vue est charmée l’arc en ciel est vapeur le nuage est fumée l’idéal tombe en poudre au toucher du réel l’âme en songes de gloire ou d’amour se consume comme un enfant qui souffle en un flocon d’écume chaque homme enfle une bulle où se reflète un ciel frêle bulle d’azur au roseau suspendue qui tremble au moindre choc et vacille éperdue voilà tous nos projets nos plaisirs notre bruit folle création qu’un zéphyr inquiète sphère aux mille couleurs d’une goutte d’eau faite monde qu’un souffle crée et qu’un souffle détruit rêver c’est le bonheur attendre c’est la vie courses pays lointains voyages folle envie c’est assez d’accomplir le voyage éternel tout chemine ici bas vers un but de mystère — où va l’esprit dans l’homme où va l’homme sur terre seigneur seigneur — où va la terre dans le ciel le saurons nous jamais — qui percera nos voiles noirs firmaments semés de nuages d’étoiles mer qui peut dans ton lit descendre et regarder donc est la science où donc est l’origine cherchez au fond des mers cette perle divine et l’océan connu l’âme reste à sonder que faire et que penser — nier douter ou croire carrefour ténébreux triple route nuit noire le plus sage s’assied sous l’arbre du chemin disant tout bas j’irai seigneur où tu m’envoies il espère et de loin dans les trois sombres voies il écoute pensif marcher le genre humain 14 mai 1830 xxviii à mes amis s b et l b buen viage goya amis mes deux amis mon peintre mon poëte vous me manquez toujours et mon âme inquiète vous redemande ici des deux amis si chers à ma lyre engourdie pas un ne m’est resté je t’en veux normandie de me les prendre ainsi ils emportent en eux toute ma poésie l’un avec son doux luth de miel et d’ambroisie l’autre avec ses pinceaux peinture et poésie où s’abreuvait ma muse adieu votre onde adieu l’alphée et l’aréthuse dont je mêlais les eaux adieu surtout ces cœurs et ces âmes si hautes dont toujours j’ai trouvé pour mes maux et mes fautes si tendre la pitié adieu toute la joie à leur commerce unie car tous deux ô douceur si divers de génie ont la même amitié je crois d’ici les voir le poëte et le peintre ils s’en vont raisonnant de l’ogive et du cintre devant un vieux portail ou soudain à loisir changeant de fantaisie poursuivent un œil noir dessous la jalousie à travers l’éventail oh de la jeune fille et du vieux monastère toi peins nous la beauté toi dis nous le mystère charmez nous tour à tour à travers le blanc voile et la muraille grise votre œil ô mes amis sait voir dieu dans l’église dans la femme l’amour marchez frères jumeaux l’artiste avec l’apôtre l’un nous peint l’univers que nous explique l’autre car pour notre bonheur chacun de vous sur terre a sa part qu’il réclame à toi peintre le monde à toi poëte l’âme à tous deux le seigneur 15 mai 1830 xxix la pente de la rêverie obscuritate rerum verba sæpe obscurantur gervasius tilberiensis amis ne creusez pas vos chères rêveries ne fouillez pas le sol de vos plaines fleuries et quand s’offre à vos yeux un océan qui dort nagez à la surface ou jouez sur le bord car la pensée est sombre une pente insensible va du monde réel à la sphère invisible la spirale est profonde et quand on y descend sans cesse se prolonge et va s’élargissant et pour avoir touché quelque énigme fatale de ce voyage obscur souvent on revient pâle l’autre jour il venait de pleuvoir car l’été cette année est de bise et de pluie attristé et le beau mois de mai dont le rayon nous leurre prend le masque d’avril qui sourit et qui pleure j’avais levé le store aux gothiques couleurs je regardais au loin les arbres et les fleurs le soleil se jouait sur la pelouse verte dans les gouttes de pluie et ma fenêtre ouverte apportait du jardin à mon esprit heureux un bruit d’enfants joueurs et d’oiseaux amoureux paris les grands ormeaux maison dôme chaumière tout flottait à mes yeux dans la riche lumière de cet astre de mai dont le rayon charmant au bout de tout brin d’herbe allume un diamant je me laissais aller à ces trois harmonies printemps matin enfance en ma retraite unies la seine ainsi que moi laissait son flot vermeil suivre nonchalamment sa pente et le soleil faisait évaporer à la fois sur les grèves l’eau du fleuve en brouillards et ma pensée en rêves alors dans mon esprit je vis autour de moi mes amis non confus mais tels que je les voi quand ils viennent le soir troupe grave et fidèle vous avec vos pinceaux dont la pointe étincelle vous laissant échapper vos vers au vol ardent et nous tous écoutant en cercle ou regardant ils étaient bien là tous je voyais leurs visages tous même les absents qui font de longs voyages puis tous ceux qui sont morts vinrent après ceux ci avec l’air qu’ils avaient quand ils vivaient aussi quand j’eus quelques instants des yeux de ma pensée contemplé leur famille à mon foyer pressée je vis trembler leurs traits confus et par degrés pâlir en s’effaçant leurs fronts décolorés et tous comme un ruisseau qui dans un lac s’écoule se perdre autour de moi dans une immense foule foule sans nom chaos des voix des yeux des pas ceux qu’on n’a jamais vus ceux qu’on ne connaît pas tous les vivants — cités bourdonnant aux oreilles plus qu’un bois d’amérique ou des ruches d’abeilles caravanes campant sur le désert en feu matelots dispersés sur l’océan de dieu et comme un pont hardi sur l’onde qui chavire jetant d’un monde à l’autre un sillon de navire ainsi que l’araignée entre deux chênes verts jette un fil argenté qui flotte dans les airs les deux pôles le monde entier la mer la terre alpes aux fronts de neige etnas au noir cratère tout à la fois automne été printemps hiver les vallons descendant de la terre à la mer et s’y changeant en golfe et des mers aux campagnes les caps épanouis en chaînes de montagnes et les grands continents brumeux verts ou dorés par les grands océans sans cesse dévorés tout comme un paysage en une chambre noire se réfléchit avec ses rivières de moire ses passants ses brouillards flottant comme un duvet tout dans mon esprit sombre allait marchait vivait alors en attachant toujours plus attentives ma pensée et ma vue aux mille perspectives que le souffle du vent ou le pas des saisons m’ouvrait à tous moments dans tous les horizons je vis soudain surgir parfois du sein des ondes à côté des cités vivantes des deux mondes d’autres villes aux fronts étranges inouïs sépulcres ruinés des temps évanouis pleines d’entassements de tours de pyramides baignant leurs pieds aux mers leur tête aux cieux humides quelques unes sortaient de dessous des cités où les vivants encor bruissent agités et des siècles passés jusqu’à l’âge où nous sommes je pus compter ainsi trois étages de romes et tandis qu’élevant leurs inquiètes voix les cités des vivants résonnaient à la fois des murmures du peuple ou du pas des armées ces villes du passé muettes et fermées sans fumée à leurs toits sans rumeurs dans leurs seins se taisaient et semblaient des ruches sans essaims j’attendais un grand bruit se fit les races mortes de ces villes en deuil vinrent ouvrir les portes et je les vis marcher ainsi que les vivants et jeter seulement plus de poussière aux vents alors tours aqueducs pyramides colonnes je vis l’intérieur des vieilles babylones les carthages les tyrs les thèbes les sions d’où sans cesse sortaient des générations ainsi j’embrassais tout et la terre et cybèle la face antique auprès de la face nouvelle le passé le présent les vivants et les morts le genre humain complet comme au jour du remords tout parlait à la fois tout se faisait comprendre le pelage d’orphée et l’étrusque d’évandre les runes d’irmensul le sphinx égyptien la voix du nouveau monde aussi vieux que l’ancien or ce que je voyais je doute que je puisse vous le peindre c’était comme un grand édifice formé d’entassements de siècles et de lieux on n’en pouvait trouver les bords ni les milieux à toutes les hauteurs nations peuples races mille ouvriers humains laissant partout leurs traces travaillaient nuit et jour montant croisant leurs pas parlant chacun leur langue et ne s’entendant pas et moi je parcourais cherchant qui me réponde de degrés en degrés cette babel du monde la nuit avec la foule en ce rêve hideux venait s’épaississant ensemble toutes deux et dans ces régions que nul regard ne sonde plus l’homme était nombreux plus l’ombre était profonde tout devenait douteux et vague seulement un souffle qui passait de moment en moment comme pour me montrer l’immense fourmilière ouvrait dans l’ombre au loin des vallons de lumière ainsi qu’un coup de vent fait sur les flots troublés blanchir l’écume ou creuse une onde dans les blés bientôt autour de moi les ténèbres s’accrurent l’horizon se perdit les formes disparurent et l’homme avec la chose et l’être avec l’esprit flottèrent à mon souffle et le frisson me prit j’étais seul tout fuyait l’étendue était sombre je voyais seulement au loin à travers l’ombre comme d’un océan les flots noirs et pressés dans l’espace et le temps les nombres entassés oh cette double mer du temps et de l’espace où le navire humain toujours passe et repasse je voulus la sonder je voulus en toucher le sable y regarder y fouiller y chercher pour vous en rapporter quelque richesse étrange et dire si son lit est de roche ou de fange mon esprit plongea donc sous ce flot inconnu au profond de l’abîme il nagea seul et nu toujours de l’ineffable allant à l’invisible… soudain il s’en revint avec un cri terrible ébloui haletant stupide épouvanté car il avait au fond trouvé l’éternité 28 mai 1830 xxx à joseph compte de s souvenir d’enfance cuncta supercilio horace dans une grande fête un jour au panthéon j’avais sept ans je vis passer napoléon pour voir cette figure illustre et solennelle je m’étais échappé de l’aile maternelle car il tenait déjà mon esprit inquiet mais ma mère aux doux yeux qui souvent s’effrayait en m’entendant parler guerre assauts et bataille craignait pour moi la foule à cause de ma taille et ce qui me frappa dans ma sainte terreur quand au front du cortège apparut l’empereur tandis que les enfants demandaient à leurs mères si c’est là ce héros dont on fait cent chimères ce ne fut pas de voir tout ce peuple à grand bruit le suivre comme on suit un phare dans la nuit et se montrer de loin sur sa tête suprême ce chapeau tout usé plus beau qu’un diadème ni pressés sur ses pas dix vassaux couronnés regarder en tremblant ses pieds éperonnés ni ses vieux grenadiers se faisant violence des cris universels s’enivrer en silence non tandis qu’à genoux la ville tout en feu joyeuse comme on est lorsqu’on a qu’un seul vœu qu’on n’est qu’un même peuple et qu’ensemble on respire chantait en chœur veillons au salut de l’empire ce qui me frappa dis je et me resta gravé même après que le cri sur sa route élevé se fut évanoui dans ma jeune mémoire ce fut de voir parmi ces fanfares de gloire dans le bruit qu’il faisait cet homme souverain passer muet et grave ainsi qu’un dieu d’airain et le soir curieux je le dis à mon père pendant qu’il défaisait son vêtement de guerre et que je me jouais sur son dos indulgent de l’épaulette d’or aux étoiles d’argent mon père secoua la tête sans réponse mais souvent une idée en notre esprit s’enfonce ce qui nous a frappés nous revient par moments et l’enfance naïve a ses étonnements le lendemain pour voir le soleil qui s’incline j’avais suivi mon père du haut de la colline qui domine paris du côté du levant et nous allions tous deux lui pensant moi rêvant cet homme en mon esprit restait comme un prodige et parlant à mon père ô mon père lui dis je pourquoi notre empereur cet envoyé de dieu lui qui fait tout mouvoir et qui met tout en feu a t il ce regard froid et cet air immobile mon père dans ses mains prit ma tête débile et me montrant au loin l’horizon spacieux vois mon fils cette terre immobile à tes yeux plus que l’air plus que l’onde et la flamme est émue car le germe de tout dans son ventre remue dans ses flancs ténébreux nuit et jour en rampant elle sent se plonger la racine serpent qui s’abreuve aux ruisseaux des sèves toujours prêtes et fouille et boit sans cesse avec ses mille têtes mainte flamme y ruisselle et tantôt lentement imbibe le cristal qui devient diamant tantôt dans quelque mine éblouissante et sombre allume des monceaux d’escarboucles sans nombre ou s’échappant au jour plus magnifique encor au front du vieil etna met une aigrette d’or toujours l’intérieur de la terre travaille son flanc universel incessamment tressaille goutte à goutte et sans bruit qui réponde à son bruit la source de tout fleuve y filtre dans la nuit elle porte à la fois sur sa face où nous sommes les blés et les cités les forêts et les hommes vois tout est vert au loin tout rit tout est vivant elle livre le chêne et le brin d’herbe au vent les fruits et les épis la couvrent à cette heure eh bien déjà tandis que ton regard l’effleure dans son sein que n’épuise aucun enfantement les futures moissons tremblent confusément ainsi travaille enfant l’âme active et féconde du poëte qui crée et du soldat qui fonde mais ils n’en font rien voir de la flamme à pleins bords qui les brûle au dedans rien ne luit au dehors ainsi napoléon que l’éclat environne et qui fit tant de bruit en forgeant sa couronne ce chef que tout célèbre et que pourtant tu vois immobile et muet passer sur le pavois quand le peuple l’étreint sent en lui ses pensées qui l’étreignent aussi se mouvoir plus pressées déjà peut être en lui mille choses se font et tout l’avenir germe en son cerveau profond déjà dans sa pensée immense et clairvoyante l’europe ne fait plus qu’une france géante berlin vienne madrid moscou londres milan viennent rendre à paris hommage une fois l’an le vatican n’est plus que le vassal du louvre la terre à chaque instant sous les vieux trônes s’ouvre et de tous leurs débris sort pour le genre humain un autre charlemagne un autre globe en main et dans le même esprit où ce grand dessein roule les bataillons futurs déjà marchent en foule le conscrit résigné sous un avis fréquent se dresse le tambour résonne au front du camp d’ouvriers et d’outils cherbourg couvre sa grève le vaisseau colossal sur le chantier s’élève l’obusier rouge encor sort du fourneau qui bout une marine flotte une armée est debout car la guerre toujours l’illumine et l’enflamme et peut être déjà dans la nuit de cette âme sous ce crâne où le monde en silence est couvé d’un second austerlitz le soleil s’est levé plus tard une autre fois je vis passer cet homme plus grand dans son paris que césar dans sa rome des discours de mon père alors je me souvins on l’entourait encor d’honneurs presque divins et je lui retrouvai rêveur à son passage et la même pensée et le même visage il méditait toujours son projet surhumain cent aigles l’escortaient en empereur romain ses régiments marchaient enseignes déployées ses lourds canons baissant leurs boucles essuyées couraient et traversant la foule aux pas confus avec un bruit d’airain sautaient sur leurs affûts mais bientôt au soleil cette tête admirée disparut dans un flot de poussière dorée il passa cependant son nom sur la cité bondissait des canons aux cloches rejeté son cortège emplissait de tumulte les rues et par mille clameurs de sa présence accrues par mille cris de joie et d’amour furieux le peuple saluait ce passant glorieux novembre 1831 xxxi à madame marie m ave maria gratia plena oh votre œil est timide et votre front est doux mais quoique par pudeur ou par pitié pour nous vous teniez secrète votre âme quand du souffle d’en haut votre cœur est touché votre cœur comme un feu sous la cendre caché soudain étincelle et s’enflamme élevez la souvent cette voix qui se tait quand vous vîntes au jour un rossignol chantait un astre charmant vous vit naître enfant pour vous marquer du poétique sceau vous eûtes au chevet de votre heureux berceau un dieu votre père peut être deux vierges poésie et musique deux sœurs vous font une pensée infinie en douceurs votre génie a deux aurores et votre esprit tantôt s’épanche en vers touchants tantôt sur le clavier qui frémit sous vos chants s’éparpille en notes sonores oh vous faites rêver le poëte le soir souvent il songe à vous lorsque le ciel est noir quand minuit déroule ses voiles car l’âme du poëte âme d’ombre et d’amour est une fleur des nuits qui s’ouvre après le jour et s’épanouit aux étoiles 9 décembre 1830 minuit xxxii pour les pauvres qui donne au pauvre prête à dieu v h dans vos fêtes d’hiver riches heureux du monde quand le bal tournoyant de ses feux vous inonde quand partout à l’entour de vos pas vous voyez briller et rayonner cristaux miroirs balustres candélabres ardents cercle étoilé des lustres et la danse et la joie au front des conviés tandis qu’un timbre d’or sonnant dans vos demeures vous change en joyeux chant la voix grave des heures oh songez vous parfois que de faim dévoré peut être un indigent dans les carrefours sombres s’arrête et voit danser vos lumineuses ombres aux vitres du salon doré songez vous qu’il est là sous le givre et la neige ce père sans travail que la famine assiège et qu’il se dit tout bas pour un seul que de biens à son large festin que d’amis se récrient ce riche est bien heureux ses enfants lui sourient rien que dans leurs jouets que de pain pour les miens et puis à votre fête il compare en son âme son foyer où jamais ne rayonne une flamme ses enfants affamés et leur mère en lambeau et sur un peu de paille étendue et muette l’aïeule que l’hiver hélas a déjà faite assez froide pour le tombeau car dieu mit ces degrés aux fortunes humaines les uns vont tout courbés sous le fardeau des peines au banquet du bonheur bien peu sont conviés tous n’y sont point assis également à l’aise une loi qui d’en bas semble injuste et mauvaise dit aux uns jouissez aux autres enviez cette pensée est sombre amère inexorable et fermente en silence au cœur du misérable riches heureux du jour qu’endort la volupté que ce ne soit pas lui qui des mains vous arrache tous ces biens superflus où son regard s’attache — oh que ce soit la charité l’ardente charité que le pauvre idolâtre mère de ceux pour qui la fortune est marâtre qui relève et soutient ceux qu’on foule en passant qui lorsqu’il le faudra se sacrifiant toute comme le dieu martyr dont elle suit la route dira buvez mangez c’est ma chair et mon sang que ce soit elle oh oui riches que ce soit elle qui bijoux diamants rubans hochets dentelle perles saphirs joyaux toujours faux toujours vains pour nourrir l’indigent et pour sauver vos âmes des bras de vos enfants et du sein de vos femmes arrache tout à pleines mains donnez riches l’aumône est sœur de la prière hélas quand un vieillard sur votre seuil de pierre tout roidi par l’hiver en vain tombe à genoux quand les petits enfants les mains de froid rougies ramassent sous vos pieds les miettes des orgies la face du seigneur se détourne de vous donnez afin que dieu qui dote les familles donne à vos fils la force et la grâce à vos filles afin que votre vigne ait toujours un doux fruit afin qu’un blé plus mûr fasse plier vos granges afin d’être meilleurs afin de voir les anges passer dans vos rêves la nuit donnez il vient un jour où la terre nous laisse vos aumônes là haut vous font une richesse donnez afin qu’on dise il a pitié de nous afin que l’indigent que glacent les tempêtes que le pauvre qui souffre à côté de vos fêtes au seuil de vos palais fixe un œil moins jaloux donnez pour être aimés du dieu qui se fit homme pour que le méchant même en s’inclinant vous nomme pour que votre foyer soit calme et fraternel donnez afin qu’un jour à votre heure dernière contre tous vos péchés vous ayez la prière d’un mendiant puissant au ciel 22 janvier 1830 xxxiii à trappiste à la meilleraye ’t is vain to struggle — let me perish young — live as i have lived and love as i have hoved to dust if i return from dust i sprung and then at least my heart can he’er be moved byron mon frère la tempête a donc été bien forte le vent impétueux qui souffle et nous emporte de récif en récif a donc quand vous partiez d’une aile bien profonde creusé le vaste abîme et bouleversé l’onde autour de votre esquif que tour à tour en hâte et de peur du naufrage pour alléger la nef en butte au sombre orage en proie au flot amer il a fallu plaisirs liberté fantaisie famille amour trésors jusqu’à la poésie tout jeter à la mer et qu’enfin seul et nu vous voguez solitaire allant où va le flot sans jamais prendre terre calme vivant de peu ayant dans votre esquif qui des nôtres s’isole deux choses seulement la voile et la boussole votre âme et votre dieu 20 mai 1830 xxxiv à mademoiselle louise b bièvre un horizon fait à souhait pour le plaisir des yeux fénelon i oui c’est bien le vallon le vallon calme et sombre ici l’été plus frais s’épanouit à l’ombre ici durent longtemps les fleurs qui durent peu ici l’âme contemple écoute adore aspire et prend pitié du monde étroit et fol empire où l’homme tous les jours fait moins de place à dieu une rivière au fond des bois sur les deux pentes là des ormeaux brodés de cent vignes grimpantes des prés où le faucheur brunit son bras nerveux là des saules pensifs qui pleurent sur la rive et comme une baigneuse indolente et naïve laissent tremper dans l’eau le bout de leurs cheveux là bas un gué bruyant dans des eaux poissonneuses qui montrent aux passants les pieds nus des faneuses des carrés de blé d’or des étangs au flot clair dans l’ombre un mur de craie et des toits noirs de suie les ocres des ravins déchirés par la pluie et l’aqueduc au loin qui semble un pont de l’air et pour couronnement à ces collines vertes les profondeurs du ciel toutes grandes ouvertes le ciel bleu pavillon par dieu même construit qui le jour emplissant de plis d’azur l’espace semble un dais suspendu sur le soleil qui passe et dont on ne peut voir les clous d’or que la nuit oui c’est un de ces lieux où notre cœur sent vivre quelque chose des cieux qui flotte et qui l’enivre un de ces lieux qu’enfant j’aimais et je rêvais dont la beauté sereine inépuisable intime verse à l’âme un oubli sérieux et sublime de tout ce que la terre et l’homme ont de mauvais ii si dès l’aube on suit les lisières du bois abri des jeunes faons par l’âpre chemin dont les pierres offensent les mains des enfants à l’heure où le soleil s’élève où l’arbre sent monter la sève la vallée est comme un beau rêve la brume écarte son rideau partout la nature s’éveille la fleur s’ouvre rose et vermeille la brise y suspend une abeille la rosée une goutte d’eau et dans ce charmant paysage où l’esprit flotte où l’œil s’enfuit le buisson l’oiseau de passage l’herbe qui tremble et qui reluit le vieil arbre que l’âge ploie le donjon qu’un moulin coudoie le ruisseau de moire et de soie le champ où dorment les aïeux ce qu’on voit pleurer ou sourire ce qui chante et ce qui soupire ce qui parle et ce qui respire tout fait un bruit harmonieux iii et si le soir après mille errantes pensées de sentiers en sentiers en marchant dispersées du haut de la colline on descend vers ce toit qui vous a tout le jour dans votre rêverie fait regarder en bas au fond de la prairie comme une belle fleur qu’on voit et si vous êtes là vous dont la main de flamme fait parler au clavier la langue de votre âme si c’est un des moments doux et mystérieux où la musique esprit d’extase et de délire dont les ailes de feu font le bruit d’une lyre réverbère en vos chants la splendeur de vos yeux si les petits enfants qui vous cherchent sans cesse mêlent leur joyeux rire au chant qui vous oppresse si votre noble père à leurs jeux turbulents sourit en écoutant votre hymne commencée lui le sage et l’heureux dont la jeune pensée se couronne de cheveux blancs alors à cette voix qui remue et pénètre sous ce ciel étoilé qui luit à la fenêtre on croit à la famille au repos au bonheur le cœur se fond en joie en amour en prière on sent venir des pleurs au bord de sa paupière on lève au ciel les mains en s’écriant seigneur iv et l’on ne songe plus tant notre âme saisie se perd dans la nature et dans la poésie que tout près par les bois et les ravins caché derrière le ruban de ces collines bleues à quatre de ces pas que nous nommons des lieues le géant paris est couché on ne s’informe plus si la ville fatale du monde en fusion ardente capitale ouvre et ferme à tel jour ses cratères fumants et de quel air les rois à l’instant où nous sommes regardent bouillonner dans ce vésuve d’hommes la lave des événements 8 juillet 1831 xxxv soleils couchants merveilleux tableaux que la vue découvre à la pensée ch nodier i j’aime les soirs sereins et beaux j’aime les soirs soit qu’ils dorent le front des antiques manoirs ensevelis dans les feuillages soit que la brume au loin s’allonge en bancs de feu soit que mille rayons brisent dans un ciel bleu à des archipels de nuages oh regardez le ciel cent nuages mouvants amoncelés là haut sous le souffle des vents groupent leurs formes inconnues sous leurs flots par moments flamboie un pâle éclair comme si tout à coup quelque géant de l’air tirait son glaive dans les nues le soleil à travers leurs ombres brille encor tantôt fait à l’égal des larges dômes d’or luire le toit d’une chaumière ou dispute aux brouillards les vagues horizons ou découpe en tombant sur les sombres gazons comme de grands lacs de lumière puis voilà qu’on croit voir dans le ciel balayé pendre un grand crocodile au dos large et rayé aux trois rangs de dents acérées sous son ventre plombé glisse un rayon du soir cent nuages ardents luisent sous son flanc noir comme des écailles dorées puis se dresse un palais puis l’air tremble et tout fuit l’édifice effrayant des nuages détruit s’écroule en ruines pressées il jonche au loin le ciel et ses cônes vermeils pendent la pointe en bas sur nos têtes pareils à des montagnes renversées ces nuages de plomb d’or de cuivre de fer où l’ouragan la trombe et la foudre et l’enfer dorment avec de sourds murmures c’est dieu qui les suspend en foule aux cieux profonds comme un guerrier qui pend aux poutres des plafonds ses retentissantes armures tout s’en va le soleil d’en haut précipité comme un globe d’airain qui rouge est rejeté dans les fournaises remuées en tombant sur leurs flots que son choc désunit fait en flocons de feu jaillir jusqu’au zénith l’ardente écume des nuées oh contemplez le ciel et dès qu’a fui le jour en tout temps en tout lieu d’un ineffable amour regardez à travers ses voiles un mystère est au fond de leur grave beauté l’hiver quand ils sont noirs comme un linceul l’été quand la nuit les brode d’étoiles novembre 1828 ii le jour s’enfuit des cieux sous leur transparent voile de moments en moments se hasarde une étoile la nuit pas à pas monte au trône obscur des soirs un coin du ciel est brun l’autre lutte avec l’ombre et déjà succédant au couchant rouge et sombre le crépuscule gris meurt sur les coteaux noirs et là bas allumant ses vitres étoilées avec sa cathédrale aux flèches dentelées les tours de son palais les tours de sa prison avec ses hauts clochers sa bastille obscurcie posée au bord du ciel comme une longue scie la ville aux mille toits découpe l’horizon oh qui m’emportera sur quelque tour sublime d’où la cité sous moi s’ouvre comme un abîme que j’entende écoutant la ville où nous rampons mourir sa vaste voix qui semble un cri de veuve et qui le jour gémit plus haut que le grand fleuve le grand fleuve irrité luttant contre vingt ponts que je voie à mes yeux en fuyant apparues les étoiles des chars se croiser dans les rues et serpenter le peuple en l’étroit carrefour et tarir la fumée au bout des cheminées et glissant sur le front des maisons blasonnées cent clartés naître luire et passer tour à tour que la vieille cité devant moi sur sa couche s’étende qu’un soupir s’échappe de sa bouche comme si de fatigue on l’entendait gémir que veillant seul debout sur son front que je foule avec mille bruits sourds d’océan et de foule je regarde à mes pieds la géante dormir 23 juillet 1828 iii plus loin allons plus loin — aux feux du couchant sombre j’aime à voir dans les champs croître et marcher mon ombre et puis la ville est là je l’entends je la voi pour que j’écoute en paix ce que dit ma pensée ce paris à la voix cassée bourdonne encor trop près de moi je veux fuir assez loin pour qu’un buisson me cache ce brouillard que son front porte comme un panache ce nuage éternel sur ses tours arrêté pour que du moucheron qui bruit et qui passe l’humble et grêle murmure efface la grande voix de la cité 26 août 1828 iv oh sur des ailes dans les nues laissez moi fuir laissez moi fuir loin des régions inconnues c’est assez rêver et languir laissez moi fuir vers d’autres mondes c’est assez dans les nuits profondes suivre un phare chercher un mot c’est assez de songe et de doute cette voix que d’en bas j’écoute peut être on l’entend mieux là haut allons des ailes ou des voiles allons un vaisseau tout armé je veux voir les autres étoiles et la croix du sud enflammé peut être dans cette autre terre trouve t on la clef du mystère caché sous l’ordre universel et peut être aux fils de la lyre est il plus facile de lire dans cette autre page du ciel août 1828 v quelquefois sous les plis des nuages trompeurs loin dans l’air à travers les brèches des vapeurs par le vent du soir remuées derrière les derniers brouillards plus loin encor apparaissent soudain les mille étages d’or d’un édifice de nuées et l’œil épouvanté par delà tous nos cieux sur une île de l’air au vol audacieux dans l’éther libre aventurée l’œil croit voir jusqu’au ciel monter monter toujours avec ses escaliers ses ponts ses grandes tours quelque babel démesurée septembre 1828 vi le soleil s’est couché ce soir dans les nuées demain viendra l’orage et le soir et la nuit puis l’aube et ses clartés de vapeurs obstruées puis les nuits puis les jours pas du temps qui s’enfuit tous ces jours passeront ils passeront en foule sur la face des mers sur la face des monts sur les fleuves d’argent sur les forêts où roule comme un hymne confus des morts que nous aimons et la face des eaux et le front des montagnes ridés et non vieillis et les bois toujours verts s’iront rajeunissant le fleuve des campagnes prendra sans cesse aux monts le flot qu’il donne aux mers mais moi sous chaque jour courbant plus bas ma tête je passe et refroidi sous ce soleil joyeux je m’en irai bientôt au milieu de la fête sans que rien manque au monde immense et radieux 22 avril 1829 xxxvi oh talk not to me of a name great in story the days of our youth are the days of our glory and the myrtle and ivy of sweet two and twenty are worth all your laurels though ever so plenty byron un jour vient où soudain l’artiste généreux a leur poids sur son front sent les ans plus nombreux un matin il s’éveille avec cette pensée — jeunesse aux jours dorés je t’ai donc dépensée oh qu’il m’en reste peu je vois le fond du sort comme un prodigue en pleurs le fond du coffre fort — il sent sous le soleil qui plus ardent s’épanche comme à midi les fleurs sa tête qui se penche si d’aventure il trouve en suivant son destin le gazon sous ses pas mouillé comme au matin il dit car il sait bien que son aube est passée — c’est de la pluie hélas et non de la rosée — c’en est fait son génie est plus mûr désormais son aile atteint peut être à de plus fiers sommets la fumée est plus rare au foyer qu’il allume son astre haut monté soulève moins de brumes son coursier applaudi parcourt mieux le champ clos mais il n’a plus en lui pour l’épandre à grands flots sur des œuvres de grâce et d’amour couronnées le frais enchantement de ses jeunes années oh rien ne rend cela — quand il s’en va cherchant ces pensers de hasard que l’on trouve en marchant et qui font que le soir l’artiste chez son hôte rentre le cœur plus fier et la tête plus haute quand il sort pour rêver et qu’il erre incertain soit dans les prés lustrés au gazon de satin soit dans un bois qu’emplit cette chanson sonore que le petit oiseau chante à la jeune aurore soit dans le carrefour bruyant et fréquenté — car paris et la foule ont aussi leur beauté et les passants ne sont le soir sur les quais sombres qu’un flux et qu’un reflux de lumières et d’ombres — toujours au fond de tout toujours dans son esprit même quand l’art le tient l’enivre et lui sourit même dans ses chansons même dans ses pensées les plus joyeusement écloses et bercées il retrouve attristé le regret morne et froid du passé disparu du passé quel qu’il soit novembre 1831 xxxvii la prière pour tous ora pro nobis i ma fille va prier — vois la nuit est venue une planète d’or là bas perce la nue la brume des coteaux fait trembler le contour à peine un char lointain glisse dans l’ombre… écoute tout rentre et se repose et l’arbre de la route secoue au vent du soir la poussière du jour le crépuscule ouvrant la nuit qui les recèle fait jaillir chaque étoile en ardente étincelle l’occident amincit sa frange de carmin la nuit de l’eau dans l’ombre argente la surface sillons sentiers buissons tout se mêle et s’efface le passant inquiet doute de son chemin le jour est pour le mal la fatigue et la haine prions voici la nuit la nuit grave et sereine le vieux pâtre le vent aux brèches de la tour les étangs les troupeaux avec leur voix cassée tout souffre et tout se plaint la nature lassée a besoin de sommeil de prière et d’amour c’est l’heure où les enfants parlent avec les anges tandis que nous courons à nos plaisirs étranges tous les petits enfants les yeux levés au ciel mains jointes et pieds nus à genoux sur la pierre disant à la même heure une même prière demandent pour nous grâce au père universel et puis ils dormiront — alors épars dans l’ombre les rêves d’or essaim tumultueux sans nombre qui naît aux derniers bruits du jour à son déclin voyant de loin leur souffle et leurs bouches vermeilles comme volent aux fleurs de joyeuses abeilles viendront s’abattre en foule à leurs rideaux de lin ô sommeil du berceau prière de l’enfance voix qui toujours caresse et qui jamais n’offense douce religion qui s’égaye et qui rit prélude du concert de la nuit solennelle ainsi que l’oiseau met sa tête sous son aile l’enfant dans la prière endort son jeune esprit ii ma fille va prier — d’abord surtout pour celle qui berça tant de nuits ta couche qui chancelle pour celle qui te prit jeune âme dans le ciel et qui te mit au monde et depuis tendre mère faisant pour toi deux parts dans cette vie amère toujours a bu l’absinthe et t’a laissé le miel puis ensuite pour moi j’en ai plus besoin qu’elle elle est ainsi que toi bonne simple et fidèle elle a le cœur limpide et le front satisfait beaucoup ont sa pitié nul ne lui fait envie sage et douce elle prend patiemment la vie elle souffre le mal sans savoir qui le fait tout en cueillant des fleurs jamais sa main novice n’a touché seulement à l’écorce du vice nul piège ne l’attire à son riant tableau elle est pleine d’oubli pour les choses passées elle ne connaît pas les mauvaises pensées qui passent dans l’esprit comme une ombre sur l’eau elle ignore — à jamais ignore les comme elle — ces misères du monde où notre âme se mêle faux plaisirs vanités remords soucis rongeurs passions sur le cœur flottant comme une écume intimes souvenirs de honte et d’amertume qui font monter au front de subites rougeurs moi je sais mieux la vie et je pourrai te dire quand tu seras plus grande et qu’il faudra t’instruire que poursuivre l’empire et la fortune et l’art c’est folie et néant que l’urne aléatoire nous jette bien souvent la honte pour la gloire et que l’on perd son âme à ce jeu de hasard l’âme en vivant s’altère et quoique en toute chose la fin soit transparente et laisse voir la cause on vieillit sous le vice et l’erreur abattu à force de marcher l’homme erre l’esprit doute tous laissent quelque chose aux buissons de la route les troupeaux leur toison et l’homme sa vertu va donc prier pour moi — dis pour toute prière — seigneur seigneur mon dieu vous êtes notre père grâce vous êtes bon grâce vous êtes grand — laisse aller ta parole où ton âme l’envoie ne t’inquiète pas toute chose a sa voie ne t’inquiète pas du chemin qu’elle prend il n’est rien ici bas qui ne trouve sa pente le fleuve jusqu’aux mers dans les plaines serpente l’abeille sait la fleur qui recèle le miel toute aile vers son but incessamment retombe l’aigle vole au soleil le vautour à la tombe l’hirondelle au printemps et la prière au ciel lorsque pour moi vers dieu ta voix s’est envolée je suis comme l’esclave assis dans la vallée qui dépose sa charge aux bornes du chemin je me sens plus léger car ce fardeau de peine de fautes et d’erreurs qu’en gémissant je traîne ta prière en chantant l’emporte dans sa main va prier pour ton père — afin que je sois digne de voir passer en rêve un ange au vol de cygne pour que mon âme brûle avec les encensoirs efface mes péchés sous ton souffle candide afin que mon cœur soit innocent et splendide comme un pavé d’autel qu’on lave tous les soirs iii prie encor pour tous ceux qui passent sur cette terre des vivants pour ceux dont les sentiers s’effacent à tous les flots à tous les vents pour l’insensé qui met sa joie dans l’éclat d’un manteau de soie dans la vitesse d’un cheval pour quiconque souffre et travaille qu’il s’en revienne ou qu’il s’en aille qu’il fasse le bien ou le mal pour celui que le plaisir souille d’embrassements jusqu’au matin qui prend l’heure où l’on s’agenouille pour sa danse et pour son festin qui fait hurler l’orgie infâme au même instant du soir où l’âme répète son hymne assidu et quand la prière est éteinte poursuit comme s’il avait crainte que dieu ne l’ait pas entendu enfant pour les vierges voilées pour le prisonnier dans sa tour pour les femmes échevelées qui vendent le doux nom d’amour pour l’esprit qui rêve et médite pour l’impie à la voix maudite qui blasphème la sainte loi — car la prière est infinie car tu crois pour celui qui nie car l’enfance tient lieu de foi prie aussi pour ceux que recouvre la pierre du tombeau dormant noir précipice qui s’entr’ouvre sous notre foule à tout moment toutes ces âmes en disgrâce ont besoin qu’on les débarrasse de la vieille rouille du corps souffrent elles moins pour se taire enfant regardons sous la terre il faut avoir pitié des morts iv à genoux à genoux à genoux sur la terre où ton père a son père où ta mère a sa mère où tout ce qui vécut dort d’un sommeil profond abîme où la poussière est mêlée aux poussières où sous son père encore on retrouve des pères comme l’onde sous l’onde en une mer sans fond enfant quand tu t’endors tu ris l’essaim des songes tourbillonne joyeux dans l’ombre où tu te plonges s’effarouche à ton souffle et puis revient encor et tu rouvres enfin tes yeux divins que j’aime en même temps que l’aube œil céleste elle même entr ouvre à l’horizon sa paupière aux cils d’or mais eux si tu savais de quel sommeil ils dorment leurs lits sont froids et lourds à leurs os qu’ils déforment les anges autour d’eux ne chantent pas en chœur de tout ce qu’ils ont fait le rêve les accable pas d’aube pour leur nuit le remords implacable s’est fait ver du sépulcre et leur ronge le cœur tu peux avec un mot tu peux d’une parole faire que le remords prenne une aile et s’envole qu’une douce chaleur réjouisse les os qu’un rayon touche encor leur paupière ravie et qu’il leur vienne un bruit de lumière et de vie quelque chose des vents des forêts et des eaux oh dis moi quand tu vas jeune et déjà pensive errer au bord d’un flot qui se plaint sur sa rive sous des arbres dont l’ombre emplit l’âme d’effroi parfois dans les soupirs de l’onde et de la brise n’entends tu pas de souffle et de voix qui te dise — enfant quand vous prierez prierez vous pas pour moi — c’est la plainte des morts — les morts pour qui l’on prie ont sur leur lit de terre une herbe plus fleurie nul démon ne leur jette un sourire moqueur ceux qu’on oublie hélas — leur nuit est froide et sombre toujours quelque arbre affreux qui les tient sous son ombre leur plonge sans pitié des racines au cœur prie afin que le père et l’oncle et les aïeules qui ne demandent plus que nos prières seules tressaillent dans leur tombe en s’entendant nommer sachent que sur la terre on se souvient encore et comme le sillon qui sent la fleur éclore sentent dans leur œil vide une larme germer v ce n’est pas à moi ma colombe de prier pour tous les mortels pour les vivants dont la foi tombe pour tous ceux qu’enferme la tombe cette racine des autels ce n’est pas moi dont l’âme est vaine pleine d’erreurs vide de foi qui prierais pour la race humaine puisque ma voix suffit à peine seigneur à vous prier pour moi non si pour la terre méchante quelqu’un peut prier aujourd’hui c’est toi dont la parole chante c’est toi ta prière innocente enfant peut se charger d’autrui ah demande à ce père auguste qui sourit à ton oraison pourquoi l’arbre étouffe l’arbuste et qui fait du juste à l’injuste chanceler l’humaine raison demande lui si la sagesse n’appartient qu’à l’éternité pourquoi son souffle nous abaisse pourquoi dans la tombe sans cesse il effeuille l’humanité pour ceux que les vices consument les enfants veillent au saint lieu ce sont des fleurs qui le parfument ce sont des encensoirs qui fument ce sont des voix qui vont à dieu laissons faire ces voix sublimes laissons les enfants à genoux pécheurs nous avons tous nos crimes nous penchons tous sur les abîmes l’enfance doit prier pour tous vi comme une aumône enfant donne donc ta prière à ton père à ta mère aux pères de ton père donne au riche à qui dieu refuse le bonheur donne au pauvre à la veuve au crime au vice immonde fais en priant le tour des misères du monde donne à tous donne aux morts — enfin donne au seigneur quoi murmure ta voix qui veut parler et n’ose au seigneur au très haut manque t il quelque chose il est le saint des saints il est le roi des rois il se fait des soleils un cortège suprême il fait baisser la voix à l’océan lui même il est seul il est tout à jamais à la fois enfant quand tout le jour vous avez en famille tes deux frères et toi joué sous la charmille le soir vous êtes las vos membres sont pliés il vous faut un lait pur et quelques noix frugales et baisant tour à tour vos têtes inégales votre mère à genoux lave vos faibles pieds eh bien il est quelqu’un dans ce monde où nous sommes qui tout le jour aussi marche parmi les hommes servant et consolant à toute heure en tout lieu un bon pasteur qui suit sa brebis égarée un pèlerin qui va de contrée en contrée ce passant ce pasteur ce pèlerin c’est dieu le soir il est bien las il faut pour qu’il sourie une âme qui le serve un enfant qui le prie un peu d’amour ô toi qui ne sais pas tromper porte lui ton cœur plein d’innocence et d’extase tremblante et l’œil baissé comme un précieux vase dont on craint de laisser une goutte échapper porte lui ta prière et quand à quelque flamme qui d’une chaleur douce emplira ta jeune âme tu verras qu’il est proche alors ô mon bonheur ô mon enfant sans craindre affront ni raillerie verse comme autrefois marthe sœur de marie verse tout ton parfum sur les pieds du seigneur vii ô myrrhe ô cinname nard cher aux époux baume éther dictame de l’eau de la flamme parfums les plus doux prés que l’onde arrose vapeurs de l’autel lèvres de la rose où l’abeille pose sa bouche de miel jasmin asphodèle encensoirs flottants branche verte et frêle où fait l’hirondelle son nid au printemps lys que fait éclore le frais arrosoir ambre que dieu dore souffle de l’aurore haleine du soir parfum de la sève dans les bois mouvants odeur de la grève qui la nuit s’élève sur l’aile des vents fleurs dont la chapelle se fait un trésor flamme solennelle fumée éternelle des sept lampes d’or tiges qu’a brisées le tranchant du fer urnes embrasées esprits des rosées qui flottez dans l’air fêtes réjouies d’encens et de bruits senteurs inouïes fleurs épanouies au souffle des nuits odeurs immortelles que les ariel archanges fidèles prennent sur leurs ailes en venant du ciel ô couche première du premier époux de la terre entière des champs de lumière parfums les plus doux dans l’auguste sphère parfums qu’êtes vous près de la prière qui dans la poussière s’épanche à genoux près du cri d’une âme qui fond en sanglots implore et réclame et s’exhale en flamme et se verse à flots près de l’humble offrande d’un enfant de lin dont l’extase est grande et qui recommande son père orphelin bouche qui soupire mais sans murmurer ineffable lyre voix qui fait sourire et qui fait pleurer viii quand elle prie un ange est debout auprès d’elle caressant ses cheveux des plumes de son aile essuyant d’un baiser son œil de pleurs terni venu pour l’écouter sans que l’enfant l’appelle esprit qui tient le livre où l’innocente épèle et qui pour remonter attend qu’elle ait fini son beau front incliné semble un vase qu’il penche pour recevoir les flots de ce cœur qui s’épanche il prend tout pleurs d’amour et soupirs de douleur sans changer de nature il s’emplit de cette âme comme le pur cristal que notre soif réclame s’emplit d’eau jusqu’aux bords sans changer de couleur ah c’est pour le seigneur sans doute qu’il recueille ces larmes goutte à goutte et ce lys feuille à feuille et puis il reviendra se ranger au saint lieu tenant prêts ces soupirs ces parfums cette haleine pour étancher le soir comme une coupe pleine ce grand besoin d’amour la seule soif de dieu enfant dans ce concert qui d’en bas le salue la voix par dieu lui même entre toutes élue c’est la tienne ô ma fille elle a tant de douceur sur des ailes de flamme elle monte si pure elle expire si bien en amoureux murmure que les vierges du ciel disent c’est une sœur ix oh bien loin de la voie où marche le pécheur chemine où dieu t’envoie enfant garde ta joie lys garde ta blancheur sois humble que t’importe le riche et le puissant un souffle les emporte la force la plus forte c’est un cœur innocent bien souvent dieu repousse du pied les hautes tours mais dans le nid de mousse où chante une voix douce il regarde toujours reste à la solitude reste à la pauvreté vis sans inquiétude et ne te fais étude que de l’éternité il est loin de nos villes et loin de nos douleurs des lacs purs et tranquilles et dont toutes les îles sont des bouquets de fleurs flots d’azur où l’on aime à laver ses remords d’un charme si suprême que l’incrédule même s’agenouille à leurs bords l’ombre qui les inonde calme et nous rend meilleurs leur paix est si profonde que jamais à leur onde on n’a mêlé de pleurs et le jour que leur plaine reflète éblouissant trouve l’eau si sereine qu’il y hasarde à peine un nuage en passant ces lacs que rien n’altère entre des monts géants dieu les met sur la terre loin du souffle adultère des sombres océans pour que nul vent aride nul flot mêlé de fiel n’empoisonne et ne ride ces gouttes d’eau limpide où se mire le ciel ô ma fille âme heureuse ô lac de pureté dans la vallée ombreuse reste où ton dieu te creuse un lit plus abrité lac que le ciel parfume le monde est une mer son souffle est plein de brume un peu de son écume rendrait ton flot amer x et toi céleste ami qui gardes son enfance qui le jour et la nuit lui fais une défense de tes ailes d’azur invisible trépied où s’allume sa flamme esprit de sa prière ange de sa jeune âme cygne de ce lac pur dieu te l’a confiée et je te la confie soutiens relève exhorte inspire et fortifie sa frêle humanité qu’elle garde à jamais réjouie ou souffrante cet œil plein de rayons cette âme transparente cette sérénité qui fait que tout le jour et sans qu’elle te voie écartant de son cœur faux désirs fausse joie mensonge et passion prosternant à ses pieds ta couronne immortelle comme elle devant dieu tu te tiens devant elle en adoration 15 juin 1830 xxxviii pan ὅλος νοῦς ὅλος φῶς ὅλος ὀφθαλμός clém alex si l’on vous dit que l’art et que la poésie c’est un flux éternel de banale ambroisie que c’est le bruit la foule attachés à vos pas ou d’un salon doré l’oisive fantaisie ou la rime en fuyant par la rime saisie oh ne le croyez pas ô poëtes sacrés échevelés sublimes allez et répandez vos âmes sur les cimes sur les sommets de neige en butte aux aquilons sur les déserts pieux où l’esprit se recueille sur les bois que l’automne emporte feuille à feuille sur les lacs endormis dans l’ombre des vallons partout où la nature est gracieuse et belle où l’herbe s’épaissit pour le troupeau qui bêle où le chevreau lascif mord le cytise en fleurs où chante un pâtre assis sous une antique arcade où la brise du soir fouette avec la cascade le rocher tout en pleurs partout où va la plume et le flocon de laine que ce soit une mer que ce soit une plaine une vieille forêt aux branchages mouvants îles au sol désert lacs à l’eau solitaire montagnes océans neige ou sable onde ou terre flots ou sillons partout où vont les quatre vents partout où le couchant grandit l’ombre des chênes partout où les coteaux croisent leurs molles chaînes partout où sont des champs des moissons des cités partout où pend un fruit à la branche épuisée partout où l’oiseau boit des gouttes de rosée allez voyez chantez allez dans les forêts allez dans les vallées faites vous un concert des notes isolées cherchez dans la nature étalée à vos yeux soit que l’hiver l attriste ou que l’été l’égaye le mot mystérieux que chaque voix bégaye écoutez ce que dit la foudre dans les cieux c’est dieu qui remplit tout le monde c’est son temple œuvre vivante où tout l’écoute et le contemple tout lui parle et le chante il est seul il est un dans sa création tout est joie et sourire l’étoile qui regarde et la fleur qui respire tout est flamme ou parfum enivrez vous de tout enivrez vous poëtes des gazons des ruisseaux des feuilles inquiètes du voyageur de nuit dont on entend la voix de ces premières fleurs dont février s’étonne des eaux de l’air des prés et du bruit monotone que font les chariots qui passent les bois frères de l’aigle aimez la montagne sauvage surtout à ces moments où vient un vent d’orage un vent sonore et lourd qui grossit par degrés emplit l’espace au loin de nuages et d’ombres et penche sur le bord des précipices ombres les arbres effarés contemplez du matin la pureté divine quand la brume en flocons inonde la ravine quand le soleil que cache à demi la forêt montrant sur l’horizon sa rondeur échancrée grandit comme ferait la coupole dorée d’un palais d’orient dont on approcherait enivrez vous du soir à cette heure où dans l’ombre le paysage obscur plein de formes sans nombre s’efface de chemins et de fleuves rayé quand le mont dont la tête à l’horizon s’élève semble un géant couché qui regarde et qui rêve sur son coude appuyé si vous avez en vous vivantes et pressées un monde intérieur d’images de pensées de sentiments d’amour d’ardente passion pour féconder ce monde échangez le sans cesse avec l’autre univers visible qui vous presse mêlez toute votre âme à la création car ô poëtes saints l’art est le son sublime simple divers profond mystérieux intime fugitif comme l’eau qu’un rien fait dévier redit par un écho dans toute créature que sous vos doigts puissants exhale la nature cet immense clavier 8 novembre 1831 xxxix amor de mi pecho pecho de mi amor arbol que has hecho que has hecho del flor romance avant que mes chansons aimées si jeunes et si parfumées du monde eussent subi l’affront loin du peuple ingrat qui les foule comme elles fleurissaient en foule vertes et fraîches sur mon front de l’arbre à présent détachées fleurs par l’aquilon desséchées vains débris qu’on traîne en rêvant elles errent éparpillées de fange ou de poudre souillées au gré du lot au gré du vent moi comme des feuilles flétries je les vois toutes défleuries courir sur le sol dépouillé et la foule qui m’environne en broyant du pied ma couronne passe et rit de l’arbre effeuillé 6 septembre 1828 xl toi vertu pleure si je meurs andré chénier amis un dernier mot — et je ferme à jamais ce livre à ma pensée étranger désormais je n’écouterai pas ce qu’en dira la foule car qu’importe à la source où son onde s’écoule et que m’importe à moi sur l’avenir penché où va ce vent d’automne au souffle desséché qui passe en emportant sur son aile inquiète et les feuilles de l’arbre et les vers du poëte oui je suis jeune encore et quoique sur mon front où tant de passions et d’œuvres germeront une ride de plus chaque jour soit tracée comme un sillon qu’y fait le soc de ma pensée dans le cours incertain du temps qui m’est donné l’été n’a pas encor trente fois rayonné je suis fils de ce siècle une erreur chaque année s’en va de mon esprit d’elle même étonnée et détrompé de tout mon culte n’est resté qu’à vous sainte patrie et sainte liberté je hais l’oppression d’une haine profonde aussi lorsque j’entends dans quelque coin du monde sous un ciel inclément sous un roi meurtrier un peuple qu’on égorge appeler et crier quand par les rois chrétiens aux bourreaux turcs livrée la grèce notre mère agonise éventrée quand l’irlande saignante expire sur sa croix quand teutonie aux fers se débat sous dix rois quand lisbonne jadis belle et toujours en fête pend au gibet les pieds de miguel sur sa tête lorsqu’albani gouverne au pays de caton que naples mange et dort lorsqu’avec son bâton sceptre honteux et lourd que la peur divinise l’autriche casse l’aile au lion de venise quand modène étranglé râle sous l’archiduc quand dresde lutte et pleure au lit d’un roi caduc quand madrid se rendort d’un sommeil léthargique quand vienne tient milan quand le lion belgique courbé comme le bœuf qui creuse un vil sillon n’a plus même de dents pour mordre son bâillon quand un cosaque affreux que la rage transporte viole varsovie échevelée et morte et souillant son linceul chaste et sacré lambeau se vautre sur la vierge étendue au tombeau alors oh je maudis dans leur cour dans leur antre ces rois dont les chevaux ont du sang jusqu’au ventre je sens que le poëte est leur juge je sens que la muse indignée avec ses poings puissants peut comme au pilori les lier sur leur trône et leur faire un carcan de leur lâche couronne et renvoyer ces rois qu’on aurait pu bénir marqués au front d’un vers que lira l’avenir oh la muse se doit aux peuples sans défense j’oublie alors l’amour la famille l’enfance et les molles chansons et le loisir serein et j’ajoute à ma lyre une corde