https fr wikisource org wiki odes et ballades texte entier odes et ballades fac similé du titre écrit par victor hugo en tête du manuscrit original des odes et ballades 1822 il y a deux intentions dans la publication de ce livre l’intention littéraire et l’intention politique mais dans la pensée de l’auteur la dernière est la conséquence de la première car l’histoire des hommes ne présente de poésie que jugée du haut des idées monarchiques et des croyances religieuses on pourra voir dans l’arrangement de ces odes une division qui néanmoins n’est pas méthodiquement tracée il a semblé à l’auteur que les émotions d’une âme n’étaient pas moins fécondes pour la poésie que les révolutions d’un empire au reste le domaine de la poésie est illimité sous le monde réel il existe un monde idéal qui se montre resplendissant à l’œil de ceux que des méditations graves ont accoutumés à voir dans les choses plus que les choses les beaux ouvrages de poésie en tout genre soit en vers soit en prose qui ont honoré notre siècle ont révélé cette vérité à peine soupçonnée auparavant que la poésie n’est pas dans la forme des idées mais dans les idées elles mêmes la poésie c’est tout ce qu’il y a d’intime dans tout les changements survenus dans les évènements rendent nécessaire de rappeler que les odes ii vi vii viii et xv de ce recueil ont été publiées successivement depuis l’année 1819 1823 il est permis peut être aujourd’hui à l’auteur d’ajouter à ce peu de lignes quelques autres observations sur le but qu’il s’est proposé en composant ces odes convaincu que tout écrivain dans quelque sphère que s’exerce son esprit doit avoir pour objet principal d’être utile et espérant qu’une intention honorable lui ferait pardonner la témérité de ses essais il a tenté de solenniser quelques uns de ceux des principaux souvenirs de notre époque qui peuvent être des leçons pour les sociétés futures il a adopté pour consacrer ces événements la forme de l’ode parce que c’était sous cette forme que les inspirations des premiers poëtes apparaissaient jadis aux premiers peuples cependant l’ode française généralement accusée de froideur et de monotonie paraissait peu propre à retracer ce que les trente dernières années de notre histoire présentent de touchant et de terrible de sombre et d’éclatant de monstrueux et de merveilleux l’auteur de ce recueil en réfléchissant sur cet obstacle a cru découvrir que cette froideur n’était point dans l’essence de l’ode mais seulement dans la forme que lui ont jusqu’ici donnée les poètes lyriques il lui a semblé que la cause de cette monotonie était dans l’abus des apostrophes des exclamations des prosopopées et autres figures véhémentes que l’on prodiguait dans l’ode moyens de chaleur qui glacent lorsqu’ils sont trop multipliés et étourdissent au lieu d’émouvoir il a donc pensé que si l’on plaçait le mouvement de l’ode dans les idées plutôt que dans les mots si de plus on en asseyait la composition sur une idée fondamentale quelconque qui fût appropriée au sujet et dont le développement s’appuyât dans toutes ses parties sur le développement de l’événement qu’elle raconterait en substituant aux couleurs usées et fausses de la mythologie païenne les couleurs neuves et vraies de la théogonie chrétienne on pourrait jeter dans l’ode quelque chose de l’intérêt du drame et lui faire parler en outre ce langage austère consolant et religieux dont a besoin une vieille société qui sort encore toute chancelante des saturnales de l’athéisme et de l’anarchie voilà ce que l’auteur de ce livre a tenté mais sans se flatter du succès voilà ce qu’il ne pouvait dire à la première édition de son recueil de peur que l’exposé de ses doctrines ne parût la défense de ses ouvrages il peut aujourd’hui que ses odes ont subi l’épreuve hasardeuse de la publication livrer au lecteur la pensée qui les a inspirées et qu’il a eu la satisfaction de voir déjà sinon approuvée du moins comprise en partie au reste ce qu’il désire avant tout c’est qu’on ne lui croie pas la prétention de frayer une route ou de créer un genre la plupart des idées qu’il vient d’énoncer s’appliquent principalement à la première partie de ce recueil mais le lecteur pourra sans que nous nous étendions davantage remarquer dans le reste le même but littéraire et un semblable système de composition nous arrêterons ici ces observations préliminaires qui exigeraient un volume de développements et auxquelles on ne fera peut être pas attention mais il faut toujours parler comme si l’on devait être entendu écrire comme si l’on devait être lu et penser comme si l’on devait être médité la première édition de ce recueil d’odes était suivie de trois poëmes de différents genres qui n’entraient pas dans le but de cette publication et que l’on a cru devoir supprimer cette seconde édition est augmentée de deux odes nouvelles louis xvii et jéhovah 1824 voici de nouvelles preuves pour ou contre le système de composition lyrique indiqué ailleurs par l’auteur de ces odes ce n’est pas sans une défiance extrême qu’il les présente à l’examen des gens de goût car s’il croit à des théories nées d’études consciencieuses et de méditations assidues d’un autre côté il croit fort peu à son talent il prie donc les hommes éclairés de vouloir bien ne pas étendre jusqu’à ses principes littéraires l’arrêt qu’ils seront sans doute fondés à prononcer contre ses essais poétiques aristote n’est il pas innocent des tragédies de l’abbé d’aubignac cependant malgré son obscurité il a déjà eu la douleur de voir ses principes littéraires qu’il croyait irréprochables calomniés ou du moins mal interprétés c’est ce qui le détermine aujourd’hui à fortifier cette publication nouvelle d’une déclaration simple et loyale laquelle le mette à l’abri de tout soupçon d’hérésie dans la querelle qui divise aujourd’hui le public lettré il y a maintenant deux partis dans la littérature comme dans l’état et la guerre poétique ne paraît pas devoir être moins acharnée que la guerre sociale n’est furieuse les deux camps semblent plus impatients de combattre que de traiter ils s’obstinent à ne vouloir point parler la même langue ils n’ont d’autre langage que le mot d’ordre à l’intérieur et le cri de guerre à l’extérieur ce n’est pas le moyen de s’entendre quelques voix importantes néanmoins se sont élevées depuis quelque temps parmi les clameurs des deux armées des conciliateurs se sont présentés avec de sages paroles entre les deux fronts d’attaque ils seront peut être les premiers immolés mais n’importe c’est dans leurs rangs que l’auteur de ce livre veut être placé dût il y être confondu il discutera sinon avec la même autorité du moins avec la même bonne foi ce n’est pas qu’il ne s’attende aux imputations les plus étranges aux accusations les plus singulières dans le trouble où sont les esprits le danger de parler est plus grand encore que celui de se taire mais quand il s’agit d’éclairer et d’être éclairé il faut regarder où est le devoir et non où est le péril il se résigne donc il agitera sans hésitation les questions les plus délicates et comme le petit enfant thébain il osera secouer la peau du lion et d’abord pour donner quelque dignité à cette discussion impartiale dans laquelle il cherche la lumière bien plus qu’il ne l’apporte il répudie tous ces termes de convention que les partis se rejettent réciproquement comme des ballons vides signes sans signification expressions sans expression mots vagues que chacun définit au besoin de ses haines ou de ses préjugés et qui ne servent de raisons qu’à ceux qui n’en ont pas pour lui il ignore profondément ce que c’est que le genre classique et que le genre romantique selon une femme de génie qui la première a prononcé le mot de littérature romantique en france cette division se rapporte aux deux grandes ères du monde celle qui a précédé l’établissement du christianisme et celle qui l’a suivi d’après le sens littéral de cette explication il semble que le paradis perdu serait un poème classique et la henriade une œuvre romantique il ne paraît pas rigoureusement démontré que les deux mots importés par mme de staël soient aujourd’hui compris de cette façon en littérature comme en toute chose il n’y a que le bon et le mauvais le beau et le difforme le vrai et le faux or sans établir ici de comparaisons qui exigeraient des restrictions et des développements le beau dans shakespeare est tout aussi classique si classique signifie digne d’être étudié que le beau dans racine et le faux dans voltaire est tout aussi romantique si romantique veut dire mauvais que le faux dans calderon ce sont là de ces vérités naïves qui ressemblent plus encore à des pléonasmes qu’à des axiomes mais où n’est on pas obligé de descendre pour convaincre l’entêtement et pour déconcerter la mauvaise foi on objectera peut être ici que les deux mots de guerre ont depuis quelque temps changé encore d’acception et que certains critiques sont convenus d’honorer désormais du nom de classique toute production de l’esprit antérieure à notre époque tandis que la qualification de romantique serait spécialement restreinte à cette littérature qui grandit et se développe avec le dix neuvième siècle avant d’examiner en quoi cette littérature est propre à notre siècle on demande en quoi elle peut avoir mérité ou encouru une désignation exceptionnelle il est reconnu que chaque littérature s’empreint plus ou moins profondément du ciel des mœurs et de l’histoire du peuple dont elle est l’expression il y a donc autant de littératures diverses qu’il y a de sociétés différentes david homère virgile le tasse milton et corneille ces hommes dont chacun représente une poésie et une nation n’ont de commun entre eux que le génie chacun d’eux a exprimé et a fécondé la pensée publique dans son pays et dans son temps chacun d’eux a créé pour sa sphère sociale un monde d’idées et de sentiments approprié au mouvement et à l’étendue de cette sphère pourquoi donc envelopper d’une désignation vague et collective ces créations qui pour être toutes animées de la même âme la vérité n’en sont pas moins dissemblables et souvent contraires dans leurs formes dans leurs éléments et dans leurs natures pourquoi en même temps cette contradiction bizarre de décerner à une autre littérature expression imparfaite encore d’une époque encore incomplète l’honneur ou l’outrage d’une qualification également vague mais exclusive qui la sépare des littératures qui l’ont précédée comme si elle ne pouvait être pesée que dans l’autre plateau de la balance comme si elle ne devait être inscrite que sur le revers du livre des fastes littéraires d’où lui vient ce nom de romantique est ce que vous lui avez découvert quelque rapport bien évident et bien intime avec la langue romance ou romane alors expliquez vous examinons la valeur de cette allégation prouvez d’abord qu’elle est fondée il vous restera ensuite à démontrer qu’elle n’est pas insignifiante mais on se garde fort aujourd’hui d’entamer de ce côté une discussion qui pourrait n’enfanter que le ridiculus mus on veut laisser à ce mot de romantique un certain vague fantastique et indéfinissable qui en redouble l’horreur aussi tous les anathèmes lancés contre d’illustres écrivains et poëtes contemporains peuvent ils se réduire à cette argumentation — nous condamnons la littérature du dix neuvième siècle parce qu’elle est romantique… — et pourquoi est elle romantique — parce qu’elle est la littérature du dix neuvième siècle — on ose affirmer ici après un mûr examen que l’évidence d’un tel raisonnement ne paraît pas absolument incontestable abandonnons enfin cette question de mots qui ne peut suffire qu’aux esprits superficiels dont elle est le risible labeur laissons en paix la procession des rhéteurs et des pédagogues apporter gravement de l’eau claire au tonneau vide souhaitons longue haleine à tous ces pauvres sisyphes essoufflés qui vont roulant et roulant sans cesse leur pierre au haut d’une butte palus inamabilis undâ alligat et novies styx interfusa coercet passons et abordons la question de choses car la frivole querelle des romantiques et des classiques n’est que la parodie d’une importante discussion qui occupe aujourd’hui les esprits judicieux et les âmes méditatives quittons donc la batrachomyomachie pour l’iliade ici du moins les adversaires peuvent espérer de s’entendre parce qu’ils en sont dignes il y a une discordance absolue entre les rats et les grenouilles tandis qu’un intime rapport de noblesse et de grandeur existe entre achille et hector il faut en convenir un mouvement vaste et profond travaille intérieurement la littérature de ce siècle quelques hommes distingués s’en étonnent et il n’y a précisément dans tout cela d’étonnant que leur surprise en effet si après une révolution politique qui a frappé la société dans toutes ses sommités et dans toutes ses racines qui a touché à toutes les gloires et à toutes les infamies qui a tout désuni et tout mêlé au point d’avoir dressé l’échafaud à l’abri de la tente et mis la hache sous la garde du glaive après une commotion effrayante qui n’a rien laissé dans le cœur des hommes qu’elle n’ait remué rien dans l’ordre des choses qu’elle n’ait déplacé si disons nous après un si prodigieux événement nul changement n’apparaissait dans l’esprit et dans le caractère d’un peuple n’est ce pas alors qu’il faudrait s’étonner et d’un étonnement sans bornes — ici se présente une objection spécieuse et déjà développée avec une conviction respectable par des hommes de talent et d’autorité c’est précisément disent ils parce que cette révolution littéraire est le résultat de notre révolution politique que nous en déplorons le triomphe que nous en condamnons les œuvres — cette conséquence ne paraît pas juste la littérature actuelle peut être en partie le résultat de la révolution sans en être l’expression la société telle que l’avait faite la révolution a eu sa littérature hideuse et inepte comme elle cette littérature et cette société sont mortes ensemble et ne revivront plus l’ordre renaît de toutes parts dans les institutions il renaît également dans les lettres la religion consacre la liberté nous avons des citoyens la foi épure l’imagination nous avons des poëtes la vérité revient partout dans les mœurs dans les lois dans les arts la littérature nouvelle est vraie et qu’importe qu’elle soit le résultat de la révolution la moisson est elle moins belle parce qu’elle a mûri sur le volcan quel rapport trouvez vous entre les laves qui ont consumé votre maison et l’épi de blé qui vous nourrit les plus grands poëtes du monde sont venus après de grandes calamités publiques sans parler des chantres sacrés toujours inspirés par des malheurs passés ou futurs nous voyons homère apparaître après la chute de troie et les catastrophes de l’argolide virgile après le triumvirat jeté au milieu des discordes des guelfes et des gibelins dante avait été proscrit avant d’être poëte milton rêvait satan chez cromwell le meurtre de henri iv précéda corneille racine molière boileau avaient assisté aux orages de la fronde après la révolution française chateaubriand s’élève et la proportion est gardée et ne nous étonnons point de cette liaison remarquable entre les grandes époques politiques et les belles époques littéraires la marche sombre et imposante des événements par lesquels le pouvoir d’en haut se manifeste aux pouvoirs d’ici bas l’unité éternelle de leur cause l’accord solennel de leurs résultats ont quelque chose qui frappe profondément la pensée ce qu’il y a de sublime et d’immortel dans l’homme se réveille comme en sursaut au bruit de toutes ces voix merveilleuses qui avertissent de dieu l’esprit des peuples en un religieux silence entend longtemps retentir de catastrophe en catastrophe la parole mystérieuse qui témoigne dans les ténèbres admonet et magna testatur voce per umbras quelques âmes choisies recueillent cette parole et s’en fortifient quand elle a cessé de tonner dans les événements elles la font éclater dans leurs inspirations et c’est ainsi que les enseignements célestes se continuent par des chants telle est la mission du génie ses élus sont ces sentinelles laissées par le seigneur sur les tours de jérusalem et qui ne se tairont ni jour ni nuit la littérature présente telle que l’ont créée les chateaubriand les staël les la mennais n’appartient donc en rien à la révolution de même que les écrits sophistiques et déréglés des voltaire des diderot et des helvétius ont été d’avance l’expression des innovations sociales écloses dans la décrépitude du dernier siècle la littérature actuelle que l’on attaque avec tant d’instinct d’un côté et si peu de sagacité de l’autre est l’expression anticipée de la société religieuse et monarchique qui sortira sans doute du milieu de tant d’anciens débris de tant de ruines récentes il faut le dire et le redire ce n’est pas un besoin de nouveauté qui tourmente les esprits c’est un besoin de vérité et il est immense ce besoin de vérité la plupart des écrivains supérieurs de l’époque tendent à le satisfaire le goût qui n’est autre chose que l’autorité en littérature leur a enseigné que leurs ouvrages vrais pour le fond devaient être également vrais dans la forme sous ce rapport ils ont fait faire un pas à la poésie les écrivains des autres peuples et des autres temps même les admirables poëtes du grand siècle ont trop souvent oublié dans l’exécution le principe de vérité dont ils vivifiaient leur composition on rencontre fréquemment dans leurs plus beaux passages des détails empruntés à des mœurs à des religions ou à des époques trop étrangères au sujet ainsi l’horloge qui au grand amusement de voltaire désigne au brutus de shakespeare l’heure où il doit frapper césar cette horloge qui existait comme on voit bien avant qu’il y eût des horlogers se retrouve au milieu d’une brillante description des dieux mythologiques placée par boileau à la main du tems le canon dont calderon arme les soldats d’héraclius et milton les archanges des ténèbres est tiré dans l’ode sur namur par dix mille vaillans alcides qui en font pétiller les remparts et certes puisque les alcides du législateur du parnasse tirent du canon le satan de milton peut à toute force considérer cet anachronisme comme de bonne guerre si dans un siècle littéraire encore barbare le père lemoyne auteur d’un poëme de saint louis fait sonner les vêpres siciliennes par les cors des noires euménides un âge éclairé nous montre j b rousseau envoyant dans son ode au comte de luc dont le mouvement lyrique est fort remarquable un prophète fidèle jusque chez les dieux interroger le sort et en trouvant fort ridicules les néréides dont camoëns obsède les compagnons de gama on désirerait dans le célèbre passage du rhin de boileau voir autre chose que des naïades craintives fuir devant louis par la grâce de dieu roi de france et de navarre accompagné de ses maréchaux des camps et armées des citations de ce genre se prolongeraient à l’infini mais il est inutile de les multiplier si de pareilles fautes de vérité se présentent fréquemment dans nos meilleurs auteurs il faut se garder de leur en faire un crime ils auraient pu sans doute se borner à étudier les formes pures des divinités grecques sans leur emprunter leurs attributs païens lorsqu’à rome on voulut convertir en saint pierre un jupiter olympien on commença du moins par ôter au maître du tonnerre l’aigle qu’il foulait sous ses pieds mais quand on considère les immenses services rendus à la langue et aux lettres par nos premiers grands poëtes on s’humilie devant leur génie et on ne se sent pas la force de leur reprocher un défaut de goût certainement ce défaut a été bien funeste puisqu’il a introduit en france je ne sais quel genre faux qu’on a fort bien nommé le genre scholastique genre qui est au classique ce que la superstition et le fanatisme sont à la religion et qui ne contre balance aujourd’hui le triomphe de la vraie poésie que par l’autorité respectable des illustres maîtres chez lesquels il trouve malheureusement des modèles on a rassemblé ci dessus quelques exemples pareils entre eux de ce faux goût empruntés à la fois aux écrivains les plus opposés à ceux que les scholastiques appellent classiques et à ceux qu’ils qualifient de romantiques on espère par là faire voir que si calderon a pu pécher par excès d’ignorance boileau a pu faillir aussi par excès de science et que si lorsqu’on étudie les écrits de ce dernier on doit suivre religieusement les règles imposées au langage par le critique il faut en même temps se garder scrupuleusement d’adopter les fausses couleurs employées quelquefois par le poëte et remarquons en passant que si la littérature du grand siècle de louis le grand eût invoqué le christianisme au lieu d’adorer les dieux païens si ses poëtes eussent été ce qu’étaient ceux des temps primitifs des prêtres chantant les grandes choses de leur religion et de leur patrie le triomphe des doctrines sophistiques du dernier siècle eût été beaucoup plus difficile peut être même impossible aux premières attaques des novateurs la religion et la morale se fussent réfugiées dans le sanctuaire des lettres sous la garde de tant de grands hommes le goût national accoutumé à ne point séparer les idées de religion et de poésie eût répudié tout essai de poésie irréligieuse et flétri cette monstruosité non moins comme un sacrilège littéraire que comme un sacrilège social qui peut calculer ce qui fût arrivé de la philosophie si la cause de dieu défendue en vain par la vertu eût été aussi plaidée par le génie mais la france n’eut pas ce bonheur ses poëtes nationaux étaient presque tous des poëtes païens et notre littérature était plutôt l’expression d’une société idolâtre et démocratique que d’une société monarchique et chrétienne aussi les philosophes parvinrent ils en moins d’un siècle à chasser des cœurs une religion qui n’était pas dans les esprits c’est surtout à réparer le mal fait par les sophistes que doit s’attacher aujourd’hui le poëte il doit marcher devant les peuples comme une lumière et leur montrer le chemin il doit les ramener à tous les grands principes d’ordre de morale et d’honneur et pour que sa puissance leur soit douce il faut que toutes les fibres du cœur humain vibrent sous ses doigts comme les cordes d’une lyre il ne sera jamais l’écho d’aucune parole si ce n’est de celle de dieu il se rappellera toujours ce que ses prédécesseurs ont trop oublié que lui aussi il a une religion et une patrie ses chants célébreront sans cesse les gloires et les infortunes de son pays les austérités et les ravissements de son culte afin que ses aïeux et ses contemporains recueillent quelque chose de son génie et de son âme et que dans la postérité les autres peuples ne disent pas de lui celui là chantait dans une terre barbare in quâ scribebat barbara terra fuit février 1824 1826 pour la première fois l’auteur de ce recueil de compositions lyriques dont les odes et ballades forment le troisième volume a cru devoir séparer les genres de ces compositions par une division marquée il continue à comprendre sous le titre d’odes toute inspiration purement religieuse toute étude purement antique toute traduction d’un événement contemporain ou d’une impression personnelle les pièces qu’il intitule ballades ont un caractère différent ce sont des esquisses d’un genre capricieux tableaux rêves scènes récits légendes superstitieuses traditions populaires l’auteur en les composant a essayé de donner quelque idée de ce que pouvaient être les poëmes des premiers troubadours du moyen âge de ces rapsodes chrétiens qui n’avaient au monde que leur épée et leur guitare et s’en allaient de château en château payant l’hospitalité avec des chants s’il n’y avait beaucoup trop de pompe dans ces expressions l’auteur dirait pour compléter son idée qu’il a mis plus de son âme dans les odes plus de son imagination dans les ballades au reste il n’attache pas à ces classifications plus d’importance qu’elles n’en méritent beaucoup de personnes dont l’opinion est grave ont dit que ses odes n’étaient pas des odes soit beaucoup d’autres diront sans doute avec non moins de raison que ses ballades ne sont pas des ballades passe encore qu’on leur donne tel autre titre qu’on voudra l’auteur y souscrit d’avance à cette occasion mais en laissant absolument de côté ses propres ouvrages si imparfaits et si incomplets il hasardera quelques réflexions on entend tous les jours à propos de productions littéraires parler de la dignité de tel genre des convenances de tel autre des limites de celui ci des latitudes de celui là la tragédie interdit ce que le roman permet la chanson tolère ce que l’ode défend etc l’auteur de ce livre a le malheur de ne rien comprendre à tout cela il y cherche des choses et n’y voit que des mots il lui semble que ce qui est réellement beau et vrai est beau et vrai partout que ce qui est dramatique dans un roman sera dramatique sur la scène que ce qui est lyrique dans un couplet sera lyrique dans une strophe qu’enfin et toujours la seule distinction véritable dans les œuvres de l’esprit est celle du bon et du mauvais la pensée est une terre vierge et féconde dont les productions veulent croître librement et pour ainsi dire au hasard sans se classer sans s’aligner en plates bandes comme les bouquets dans un jardin classique de le nôtre ou comme les fleurs du langage dans un traité de rhétorique il ne faut pas croire pourtant que cette liberté doive produire le désordre bien au contraire développons notre idée comparez un moment au jardin royal de versailles bien nivelé bien taillé bien nettoyé bien ratissé bien sablé tout plein de petites cascades de petits bassins de petits bosquets de tritons de bronze folâtrant en cérémonie sur des océans pompés à grands frais dans la seine de faunes de marbre courtisant les dryades allégoriquement renfermées dans une multitude d’ifs coniques de lauriers cylindriques d’orangers sphériques de myrtes elliptiques et d’autres arbres dont la forme naturelle trop triviale sans doute a été gracieusement corrigée par la serpette du jardinier comparez ce jardin si vanté à une forêt primitive du nouveau monde avec ses arbres géants ses hautes herbes sa végétation profonde ses mille oiseaux de mille couleurs ses larges avenues où l’ombre et la lumière ne se jouent que sur de la verdure ses sauvages harmonies ses grands fleuves qui charrient des îles de fleurs ses immenses cataractes qui balancent des arcs en ciel nous ne dirons pas où est la magnificence où est la grandeur où est la beauté mais simplement où est l’ordre où est le désordre là des eaux captives ou détournées de leur cours ne jaillissant que pour croupir des dieux pétrifiés des arbres transplantés de leur sol natal arrachés de leur climat privés même de leur forme de leurs fruits et forcés de subir les grotesques caprices de la serpe et du cordeau partout enfin l’ordre naturel contrarié interverti bouleversé détruit ici au contraire tout obéit à une loi invariable un dieu semble vivre en tout les gouttes d’eau suivent leur pente et font des fleuves qui feront des mers les semences choisissent leur terrain et produisent une forêt chaque plante chaque arbuste chaque arbre naît dans sa saison croît en son lieu produit son fruit meurt à son temps la ronce même y est belle nous le demandons encore où est l’ordre choisissez donc du chef d’œuvre du jardinage ou de l’œuvre de la nature de ce qui est beau de convention ou de ce qui est beau sans les règles d’une littérature artificielle ou d’une poésie originale on nous objectera que la forêt vierge cache dans ses magnifiques solitudes mille animaux dangereux et que les bassins marécageux du jardin français recèlent tout au plus quelques bêtes insipides c’est un malheur sans doute mais à tout prendre nous aimons mieux un crocodile qu’un crapaud nous préférons une barbarie de shakespeare à une ineptie de campistron ce qu’il est très important de fixer c’est qu’en littérature comme en politique l’ordre se concilie merveilleusement avec la liberté il en est même le résultat au reste il faut bien se garder de confondre l’ordre avec la régularité la régularité ne s’attache qu’à la forme extérieure l’ordre résulte du fond même des choses de la disposition intelligente des éléments intimes d’un sujet la régularité est une combinaison matérielle et purement humaine l’ordre est pour ainsi dire divin ces deux qualités si diverses dans leur essence marchent fréquemment l’une sans l’autre une cathédrale gothique présente un ordre admirable dans sa naïve irrégularité nos édifices français modernes auxquels on a si gauchement appliqué l’architecture grecque ou romaine n’offrent qu’un désordre régulier un homme ordinaire pourra toujours faire un ouvrage régulier il n’y a que les grands esprits qui sachent ordonner une composition le créateur qui voit de haut ordonne l’imitateur qui regarde de près régularise le premier procède selon la loi de sa nature le dernier suivant les règles de son école l’art est une inspiration pour l’un il n’est qu’une science pour l’autre en deux mots et nous ne nous opposons pas à ce qu’on juge d’après cette observation les deux littératures dites classique et romantique la régularité est le goût de la médiocrité l’ordre est le goût du génie il est bien entendu que la liberté ne doit jamais être l’anarchie que l’originalité ne peut en aucun cas servir de prétexte à l’incorrection dans une œuvre littéraire l’exécution doit être d’autant plus irréprochable que la conception est plus hardie si vous voulez avoir raison autrement que les autres vous devez avoir dix fois raison plus on dédaigne la rhétorique plus il sied de respecter la grammaire on ne doit détrôner aristote que pour faire régner vaugelas et il faut aimer l’art poétique de boileau sinon pour les préceptes du moins pour le style un écrivain qui a quelque souci de la postérité cherchera sans cesse à purifier sa diction sans effacer toutefois le caractère particulier par lequel son expression révèle l’individualité de son esprit le néologisme n’est d’ailleurs qu’une triste ressource pour l’impuissance des fautes de langue ne rendront jamais une pensée et le style est comme le cristal sa pureté fait son éclat l’auteur de ce recueil développera peut être ailleurs tout ce qui n’est ici qu’indiqué qu’il lui soit permis de déclarer avant de terminer que l’esprit d’imitation recommandé par d’autres comme le salut des écoles lui a toujours paru le fléau de l’art et il ne condamnerait pas moins l’imitation qui s’attache aux écrivains dits romantiques que celle dont on poursuit les auteurs dits classiques celui qui imite un poëte romantique devient nécessairement un classique puisqu’il imite que vous soyez l’écho de racine ou le reflet de shakespeare vous n’êtes toujours qu’un écho et qu’un reflet quand vous viendriez à bout de calquer exactement un homme de génie il vous manquera toujours son originalité c’est à dire son génie admirons les grands maîtres ne les imitons pas faisons autrement si nous réussissons tant mieux si nous échouons qu’importe il existe certaines eaux qui si vous y plongez une fleur un fruit un oiseau ne vous les rendent au bout de quelque temps que revêtus d’une épaisse croûte de pierre sous laquelle on devine encore il est vrai leur forme primitive mais le parfum la saveur la vie ont disparu les pédantesques enseignements les préjugés scholastiques la contagion de la routine la manie d’imitation produisent le même effet si vous y ensevelissez vos facultés natives votre imagination votre pensée elles n’en sortiront pas ce que vous en retirerez conservera bien peut être quelque apparence d’esprit de talent de génie mais ce sera pétrifié à entendre des écrivains qui se proclament classiques celui là s’écarte de la route du vrai et du beau qui ne suit pas servilement les vestiges que d’autres y ont imprimés avant lui erreur ces écrivains confondent la routine avec l’art ils prennent l’ornière pour le chemin le poëte ne doit avoir qu’un modèle la nature qu’un guide la vérité il ne doit pas écrire avec ce qui a été écrit mais avec son âme et avec son cœur de tous les livres qui circulent entre les mains des hommes deux seuls doivent être étudiés par lui homère et la bible c’est que ces deux livres vénérables les premiers de tous par leur date et par leur valeur presque aussi anciens que le monde sont eux mêmes deux mondes pour la pensée on y retrouve en quelque sorte la création tout entière considérée sous son double aspect dans homère par le génie de l’homme dans la bible par l’esprit de dieu août 1826 1828 ce recueil n’avait été jusqu’ici public que sous le format in 18 en trois volumes pour fondre ces trois volumes en deux tomes dans la présente réimpression divers changements dans la disposition des matières ont été nécessaires on a tâché que ces changements fussent des améliorations chacun des trois volumes des précédentes éditions représentait la manière de l’auteur à trois moments et pour ainsi dire à trois âges différents car sa méthode consistant à amender son esprit plutôt qu’à retravailler ses livres et comme il l’a dit ailleurs à corriger un ouvrage dans un autre ouvrage on conçoit que chacun des écrits qu’il publie peut et c’est là sans doute leur seul mérite offrir une physionomie particulière à ceux qui ont du goût pour certaines études de langue et de style et qui aiment à relever dans les œuvres d’un écrivain les dates de sa pensée il était donc peut être nécessaire d’observer quelque ordre dans la fusion des trois volumes in 18 en deux in 8 une distinction toute naturelle se présentait d’abord celle des poëmes qui se rattachent par un côté quelconque à l’histoire de nos jours et des poëmes qui y sont étrangers cette double division répond à chacun des deux volumes de la présente édition ainsi le premier volume contient toutes les odes relatives à des événements ou à des personnages contemporains les pièces d’un sujet capricieux composent le second des subdivisions ont ensuite semblé utiles les odes historiques qui constituent le premier volume et qui offrent sous un côté le développement de la pensée de l’auteur dans un espace de dix années 1818 1828 ont été partagées en trois livres chacun de ces livres répond à un des volumes des précédentes éditions et renferme dans leur ancien classement les odes politiques que ce volume contenait ces trois livres sont respectivement l’un à l’autre comme étaient entre eux les trois volumes le second corrige le premier le troisième corrige le second ainsi le petit nombre de personnes que ce genre d’études intéresse pourra comparer et pour la forme et pour le fond les trois manières de l’auteur à trois époques différentes rapprochées et en quelque sorte confrontées dans le même volume on conviendra peut être qu’il y a quelque bonne foi quelque désintéressement à faciliter de cette façon les dissections de la critique le deuxième volume contient le quatrième et le cinquième livre des odes l’un consacré aux sujets de fantaisie l’autre à des traductions d’impressions personnelles les ballades complètent ce volume qui de cette manière est comme l’autre divisé en trois sections les poëmes sont le plus souvent rangés par ordre de dates pour en finir de ces détails peut être inutiles et à coup sûr minutieux nous ferons observer que les préfaces qui avaient accompagné les trois recueils aux époques de leur publication ont été imprimées avec celle ci également par ordre de dates on pourra remarquer dans les idées qui y sont avancées une progression de liberté qui n’est ni sans signification ni sans enseignement enfin dix pièces nouvelles sans compter l’ode à la colonne de la place vendôme ont été ajoutées à la présente édition il faut tout dire les modifications apportées à ce recueil ne se bornent pas peut être à ces changements matériels quelque puérile que paraisse à l’auteur l’habitude de faire des corrections érigée en système il est très loin d’avoir fui ce qui serait aussi un système non moins fâcheux les corrections qui lui ont paru importantes mais il a fallu pour cela qu’elles se présentassent naturellement invinciblement comme d’elles mêmes et en quelque sorte avec le caractère de l’inspiration ainsi bon nombre de vers se sont trouvés refaits bon nombre de strophes remaniées remplacées ou ajoutées au reste tout cela ne valait peut être pas plus la peine d’être fait que d’être dit ç’aurait sans doute été plutôt ici le lieu d’agiter quelques unes des hautes questions de langue de style de versification et particulièrement de rhythme qu’un recueil de poésie lyrique française au dix neuvième siècle peut et doit soulever mais il est rare que de semblables dissertations ne ressemblent pas plus ou moins à des apologies l’auteur s’en abstiendra donc ici en se réservant d’exposer ailleurs les idées qu’il a pu recueillir sur ces matières et qu’on lui pardonne la présomption de ces paroles de dire ce qu’il croit que l’art lui a appris en attendant il appelle sur ces questions l’attention de tous les critiques qui comprennent quelque chose au mouvement progressif de la pensée humaine qui ne cloîtrent pas l’art dans les poétiques et les règles et qui ne concentrent pas toute la poésie d’une nation dans un genre dans une école dans un siècle hermétiquement fermé au reste ces idées sont de jour en jour mieux comprises il est admirable de voir quels pas de géant l’art fait et fait faire une forte école s’élève une génération forte croît dans l’ombre pour elle tous les principes que cette époque a posés pour le monde des intelligences comme pour le monde des affaires amènent déjà rapidement leurs conséquences espérons qu’un jour le dix neuvième siècle politique et littéraire pourra être résumé d’un mot la liberté dans l’ordre la liberté dans l’art août 1828 1853 l’histoire s’extasie volontiers sur michel ney qui né tonnelier devint maréchal de france et sur murat qui né garçon d’écurie devint roi l’obscurité de leur point de départ leur est comptée comme un titre de plus à l’estime et rehausse l’éclat du point d’arrivée de toutes les échelles qui vont de l’ombre à la lumière la plus méritoire et la plus difficile à gravir certes c’est celle ci être né aristocrate et royaliste et devenir démocrate monter d’une échoppe à un palais c’est rare et beau si vous voulez monter de l’erreur à la vérité c’est plus rare et c’est plus beau dans la première de ces deux ascensions à chaque pas qu’on a fait on a gagné quelque chose et augmenté son bien être sa puissance et sa richesse dans l’autre ascension c’est tout le contraire dans cette âpre lutte contre les préjugés sucés avec le lait dans cette lente et rude élévation du faux au vrai qui fait en quelque sorte de la vie d’un homme et du développement d’une conscience le symbole abrégé du progrès humain à chaque échelon qu’on a franchi on a dû payer d’un sacrifice matériel son accroissement moral abandonner quelque intérêt dépouiller quelque vanité renoncer aux biens et aux honneurs du monde risquer sa fortune risquer son foyer risquer sa vie aussi ce labeur accompli est il permis d’en être fier et — s’il est vrai que murat aurait pu montrer avec quelque orgueil son fouet de postillon à côté de son sceptre de roi et dire je suis parti de là — c’est avec un orgueil plus légitime certes et avec une conscience plus satisfaite qu’on peut montrer ces odes royalistes d’enfant et d’adolescent à côté des poëmes et des livres démocratiques de l’homme fait cette fierté est permise nous le pensons surtout lorsque l’ascension faite on a trouvé au sommet de l’échelle de lumière la proscription et qu’on peut dater cette préface de l’exil v h jersey — juillet 1853 quelque chose me presse d’élever la voix et d’appeler mon siècle en jugement f de la mennais écoutez je vais vous dire des choses du cœur hafiz livre premier 1818 — 1822 vox clamabat in deserto à m alexandre soumet ode première le poëte dans les révolutions dictus ob hoc lenire tigres rabidosque leones horat ad pisones mourir sans vider mon carquois sans percer sans fouler sans pétrir dans leur fange ces bourreaux barbouilleurs de lois andré chénier iambes le vent chasse loin des campagnes le gland tombé des rameaux verts chêne il le bat sur les montagnes esquif il le bat sur les mers jeune homme ainsi le sort nous presse ne joins pas dans ta folle ivresse les maux du monde à tes malheurs gardons coupables et victimes nos remords pour nos propres crimes nos pleurs pour nos propres douleurs quoi mes chants sont ils téméraires faut il donc en ces jours d’effroi rester sourd aux cris de ses frères ne souffrir jamais que pour soi non le poëte sur la terre console exilé volontaire les tristes humains dans leurs fers parmi les peuples en délire il s’élance armé de sa lyre comme orphée au sein des enfers orphée aux peines éternelles vint un moment ravir les morts toi sur les têtes criminelles tu chantes l’hymne du remords insensé quel orgueil t’entraîne de quel droit viens tu dans l’arène juger sans avoir combattu censeur échappé de l’enfance laisse vieillir ton innocence avant de croire à ta vertu quand le crime python perfide brave impuni le frein des lois la muse devient l’euménide apollon saisit son carquois je cède au dieu qui me rassure j’ignore à ma vie encor pure quels maux le sort veut attacher je suis sans orgueil mon étoile l’orage déchire la voile la voile sauve le nocher les hommes vont aux précipices tes chants ne les sauveront pas avec eux loin des cieux propices pourquoi donc égarer tes pas peux tu dès tes jeunes années sans briser d’autres destinées rompre la chaîne de tes jours épargne ta vie éphémère jeune homme n’as tu pas de mère poëte n’as tu pas d’amours eh bien à mes terrestres flammes si je meurs les cieux vont s’ouvrir l’amour chaste agrandit les âmes et qui sait aimer sait mourir le poëte en des temps de crime fidèle aux justes qu’on opprime célèbre imite les héros il a jaloux de leur martyre pour les victimes une lyre une tête pour les bourreaux on dit que jadis le poëte chantant des jours encor lointains savait à la terre inquiète révéler ses futurs destins mais toi que peux tu pour le monde tu partages sa nuit profonde le ciel se voile et veut punir les lyres n’ont plus de prophète et la muse aveugle et muette ne sait plus rien de l’avenir le mortel qu’un dieu même anime marche à l’avenir plein d’ardeur c’est en s’élançant dans l’abîme qu’il en sonde la profondeur il se prépare au sacrifice il sait que le bonheur du vice par l’innocent est expié prophète à son jour mortuaire la prison est son sanctuaire et l’échafaud est son trépied que n’es tu né sur les rivages des abbas et des cosroës aux rayons d’un ciel sans nuages parmi le myrte et l’aloès là sourd aux maux que tu déplores le poëte voit ses aurores se lever sans trouble et sans pleurs et la colombe chère aux sages porte aux vierges ses doux messages où l’amour parle avec des fleurs qu’un autre au céleste martyre préfère un repos sans honneur la gloire est le but où j’aspire on n’y va point par le bonheur l’alcyon quand l’océan gronde craint que les vents ne troublent l’onde où se berce son doux sommeil mais pour l’aiglon fils des orages ce n’est qu’à travers les nuages qu’il prend son vol vers le soleil mars 1821 à m le vicomte de chateaubriand ode deuxième la vendée ave cæsar morituri te salutant tacite i qui de nous en posant une urne cinéraire n’a trouvé quelque ami pleurant sur un cercueil autour du froid tombeau d’une épouse ou d’un frère qui de nous n’a mené le deuil — ainsi sur les malheurs de la france éplorée gémissait la muse sacrée qui nous montra le ciel ouvert dans ces chants où planant sur rome et sur palmyre sublime elle annonçait les douceurs du martyre et l’humble bonheur du désert depuis à nos tyrans rappelant tous leurs crimes et vouant aux remords ces cœurs sans repentirs elle a dit en ces temps la france eut des victimes mais la vendée eut des martyrs — déplorable vendée a t on séché tes larmes marches tu ceinte de tes armes au premier rang de nos guerriers si l’honneur si la foi n’est pas un vain fantôme montre moi quels palais ont remplacé le chaume de tes rustiques chevaliers hélas tu te souviens des jours de ta misère des flots de sang baignaient tes sillons dévastés et le pied des coursiers n’y foulait de poussière que la cendre de tes cités ceux là qui n’avaient pu te vaincre avec l’épée semblaient dans leur rage trompée implorer l’enfer pour appui et roulant sur la plaine en torrents de fumée le vaste embrasement poursuivait ton armée qui ne fuyait que devant lui ii la loire vit alors sur ses plages désertes s’assembler les tribus des vengeurs de nos rois peuple qui ne pleurait fier de ses nobles pertes que sur le trône et sur la croix c’étaient quelques vieillards fuyant leurs toits en flammes c’étaient des enfants et des femmes suivis d’un reste de héros au milieu d’eux marchait leur patrie exilée car ils ne laissaient plus qu’une terre peuplée de cadavres et de bourreaux on dit qu’en ce moment dans un divin délire un vieux prêtre parut parmi ces fiers soldats comme un saint chargé d’ans qui parle du martyre aux nobles anges des combats tranquille en proclamant de sinistres présages les souvenirs des anciens âges s’éveillaient dans son cœur glacé et racontant le sort qu’ils devaient tous attendre la voix de l’avenir semblait se faire entendre dans ses discours pleins du passé iii au delà du jourdain après quarante années dieu promit une terre aux enfants d’israël au delà de ces flots après quelques journées le seigneur vous promet le ciel ces bords ne verront plus vos phalanges errantes dieu sur des plaines dévorantes vous prépare un tombeau lointain votre astre doit s’éteindre à peine à son aurore mais samson expirant peut ébranler encore les colonnes du philistin vos guerriers périront mais toujours invincibles s’ils ne peuvent punir ils sauront se venger car ils verront encor fuir ces soldats terribles devant qui fuyait l’étranger vous ne mourrez pas tous sous des bras intrépides les uns sur des nefs homicides seront jetés aux flots mouvants ceux là promèneront des os sans sépulture et cacheront leurs morts sous une terre obscure pour les dérober aux vivants et vous ô jeune chef ravi par la victoire aux hasards de mortagne aux périls de saumur l’honneur de vous frapper dans un combat sans gloire rendra célèbre un bras obscur il ne sera donné qu’à bien peu de nos frères de revoir après tant de guerres la place où furent leurs foyers alors ornant son toit de ses armes oisives chacun d’eux attendra que dieu donne à nos rives les lys qu’il préfère aux lauriers vendée ô noble terre ô ma triste patrie tu dois payer bien cher le retour de tes rois avant que sur nos bords croisse la fleur chérie ton sang l’arrosera deux fois mais aussi lorsqu’un jour l’europe réunie de l’arbre de la tyrannie aura brisé les rejetons tous les rois vanteront leurs camps leur flotte immense et seul le roi chrétien mettra dans la balance l’humble glaive des vieux bretons grand dieu — si toutefois après ces jours d’ivresse blessant le cœur aigri du héros oublié une voix insultante offrait à sa détresse les dons ingrats de la pitié si sa mère et sa veuve et sa fille éplorées s’arrêtaient de faim dévorées au seuil d’un favori puissant rappelant à celui qu’implore leur misère qu’elles n’ont plus ce fils cet époux et ce père qui croyait leur léguer son sang si pauvre et délaissé le citoven fidèle lorsqu’un traître enrichi se rirait de sa foi entendait au sénat calomnier son zèle par celui qui jugea son roi si pour comble d’affronts un magistrat injuste déguisant sous un nom auguste l’abus d’un insolent pouvoir venait de vils soupçons chargeant sa noble tête lui demander ce fer sa première conquête — peut être son dernier espoir qu’il se résigne alors — par ses crimes prospères l’impie heureux insulte au fidèle souffrant mais que le juste pense aux forfaits de nos pères et qu’il songe à son dieu mourant le seigneur veut parfois le triomphe du vice il veut aussi dans sa justice que l’innocent verse des pleurs souvent dans ses desseins dieu suit d’étranges voies lui qui livre satan aux infernales joies et marie aux saintes douleurs iv le vieillard s’arrêta sans croire à son langage ils quittèrent ces bords pour n’y plus revenir et tous croyaient couvert des ténèbres de l’âge l’esprit qui voyait l’avenir ainsi faible en soldats mais fort en renommée ce débris d’une illustre armée suivait sa bannière en lambeaux et ces derniers français que rien ne put défendre loin de leur temple en deuil et de leur chaume en cendre allaient conquérir des tombeaux 1819 ode troisième les vierges de verdun et les vierges de la vallée d’oahram vinrent à moi et elles me dirent chante nous parce que nous étions innocentes et fidèles gud eli poëte persan le prêtre portera l’étole blanche et noire lorsque les saints flambeaux pour vous s’allumeront et de leurs longs cheveux voilant leurs fronts d’ivoire les jeunes filles pleureront a guiraud i pourquoi m’apportez vous ma lyre spectres légers — que voulez vous fantastiques beautés ce lugubre sourire m’annonce t il votre courroux sur vos écharpes éclatantes pourquoi flotte à longs plis ce crêpe menaçant pourquoi sur des festons ces chaînes insultantes et ces roses teintes de sang retirez vous rentrez dans les sombres abîmes… ah que me montrez vous … quels sont ces trois tombeaux quel est ce char affreux surchargé de victimes quels sont ces meurtriers couverts d’impurs lambeaux j’entends des chants de mort j’entends des cris de fête cachez moi le char qui s’arrête … un fer lentement tombe à mes regards troublés — j’ai vu couler du sang… est il bien vrai parlez qu’il ait rejailli sur ma tête venez vous dans mon âme éveiller le remord ce sang… je n’en suis point coupable fuyez vierges fuyez famille déplorable lorsque vous n’étiez plus je n’étais pas encor qu’exigez vous de moi j’ai pleuré vos misères dois je donc expier les crimes de mes pères pourquoi troublez vous mon repos pourquoi m’apportez vous ma lyre frémissante demandez vous des chants à ma voix innocente et des remords à vos bourreaux ii sous des murs entourés de cohortes sanglantes siége le sombre tribunal l’accusateur se lève et ses lèvres tremblantes s’agitent d’un rire infernal c’est tinville on le voit au nom de la patrie convier aux forfaits cette horde flétrie d’assassins juges à leur tour le besoin du sang le tourmente et sa voix homicide à la hache fumante désigne les têtes du jour il parle ses licteurs vers l’enceinte fatale traînent les malheureux que sa fureur signale les portes devant eux s’ouvrent avec fracas et trois vierges de grâce et de pudeur parées de leurs compagnes entourées paraissent parmi les soldats le peuple qui se tait frémit de son silence il plaint son esclavage en plaignant leurs malheurs et repose sur l’innocence ses regards las du crime et troublés par ses pleurs eh quoi quand ces beautés lâchement accusées vers ces juges de mort s’avançaient dans les fers ces murs n’ont pas croulant sous leurs voûtes brisées rendu les monstres aux enfers que faisaient nos guerriers … leur vaillance trompée prêtait au vil couteau le secours de l’épée ils sauvaient ces bourreaux qui souillaient leurs combats hélas un même jour jour d’opprobre et de gloire voyait moreau monter au char de la victoire et son père au char du trépas quand nos chefs entourés des armes étrangères couvrant nos cyprès de lauriers vers paris lentement reportaient leurs bannières frédéric sur verdun dirigeait ses guerriers verdun premier rempart de la france opprimée d’un roi libérateur crut saluer l’armée en vain tonnaient d’horribles lois verdun se revêtit de sa robe de fête et libre de ses fers vint offrir sa conquête au monarque vengeur des rois alors vierges vos mains ce fut là votre crime des festons de la joie ornèrent les vainqueurs ah pareilles à la victime la hache à vos regards se cachait sous des fleurs ce n’est pas tout hélas sans chercher la vengeance quand nos bannis bravant la mort et l’indigence combattaient nos tyrans encor mal affermis vos nobles cœurs ont plaint de si nobles misères votre or a secouru ceux qui furent nos frères et n’étaient pas nos ennemis quoi ce trait glorieux qui trahit leur belle âme sera donc l’arrêt de leur mort mais non l’accusateur que leur aspect enflamme tressaille d’un honteux transport il veut vierges au prix d’un affreux sacrifice en taisant vos bienfaits vous ravir au supplice il croit vos chastes cœurs par la crainte abattus du mépris qui le couvre acceptez le partage souillez vous d’un forfait l’infâme aréopage vous absoudra de vos vertus répondez moi vierges timides qui d’un si noble orgueil arma ces yeux si doux dites qui fit rouler dans vos regards humides les pleurs généreux du courroux je le vois à votre courage quand l’oppresseur qui vous outrage n’eût pas offert la honte en offrant son bienfait coupables de pitié pour des français fidèles vous n’auriez pas voulu devant des lois cruelles nier un si noble forfait c’en est donc fait déjà sous la lugubre enceinte a retenti l’arrêt dicté par la fureur dans un muet murmure étouffé par la crainte le peuple qui l’écoute exhale son horreur regagnez des cachots les sinistres demeures ô vierges encor quelques heures… ah priez sans effroi votre âme est sans remord coupez ces longues chevelures où la main d’une mère enlaçait des fleurs pures sans voir qu’elle y mêlait les pavots de la mort bientôt ces fleurs encor pareront votre tête les anges vous rendront ces symboles touchants votre hymne de trépas sera l’hymne de fête que les vierges du ciel rediront dans leurs chants vous verrez près de vous dans ces chœurs d’innocence charlotte autre judith qui vous vengea d’avance cazotte élisabeth si malheureuse en vain et sombreuil qui trahit par ses pâleurs soudaines le sang glacé des morts circulant dans ses veines martyres dont l’encens plaît au martyr divin iii ici devant mes yeux erraient des lueurs sombres des visions troublaient mes sens épouvantés les spectres sur mon front balançaient dans les ombres de longs linceuls ensanglantés les trois tombeaux le char les échafauds funèbres m’apparurent dans les ténèbres tout rentra dans la nuit des siècles révolus les vierges avaient fui vers la naissante aurore je me retrouvai seul et je pleurais encor quand ma lyre ne chantait plus octobre 1818 ode quatrième quiberon un des effets des révolutions est d’attrister le caractère des peuples cela se voit en france cela s’était vu en angleterre ces grandes commotions ouvrant violemment le cœur de l’homme on en découvre le fond qu’on n’aperçoit jamais sans effroi et sans douleur f de la mennais pensées diverses pudor inde et miseratio tacite i par ses propres fureurs le maudit se dévoile dans le démon vainqueur on voit l’ange proscrit l’anathème éternel qui poursuit son étoile dans ses succès même est écrit il est lorsque des cieux nous oublions la voie des jours que dieu sans doute envoie pour nous rappeler les enfers jours sanglants qui voués au triomphe du crime comme d’affreux rayons échappés de l’abîme apparaissent sur l’univers poëtes qui toujours loin du siècle où nous sommes chantres des pleurs sans fin et des maux mérités cherchez des attentats tels que la voix des hommes n’en ait point encor racontés si quelqu’un vient à vous vantant la jeune france nos exploits notre tolérance et nos temps féconds en bienfaits soyez contents lisez nos récentes histoires évoquez nos vertus interrogez nos gloires vous pourrez choisir des forfaits moi je n’ai point reçu de la muse funèbre votre lyre de bronze ô chantres des remords mais je voudrais flétrir les bourreaux qu’on célèbre et venger la cause des morts je voudrais un moment troublant l’impur génie arrêter sa gloire impunie qu’on pousse à l’immortalité comme autrefois un grec malgré les vents rapides seul retint de ses bras de ses dents intrépides l’esquif sur les mers emporté ii quiberon vit jadis sur son bord solitaire des français assaillis s’apprêter à mourir puis devant les deux chefs l’airain fumant se taire et les rangs désarmés s’ouvrir pour sauver ses soldats l’un d’eux offrit sa tête l’autre accepta cette conquête de leur traité gage inhumain et nul guerrier ne crut sa promesse frivole car devant les drapeaux témoins de leur parole tous deux s’étaient donné la main la phalange fidèle alors livra ses armes ils marchaient une armée environnait leurs pas et le peuple accourait en répandant des larmes voir ces preux sauvés du trépas ils foulaient en vaincus les champs de leurs ancêtres ce fut un vieux temple sans prêtres qui reçut ces vengeurs des rois mais l’humble autel manquait à la pieuse enceinte et pour se consoler dans cette prison sainte leurs yeux en vain cherchaient la croix tous prièrent ensemble et d’une voix plaintive tous se frappant le sein gémirent à genoux un seul ne pleurait pas dans la tribu captive c’était lui qui mourait pour tous c’était sombreuil leur chef jeune et plein d’espérance l’heure de son trépas s’avance il la salue avec ferveur le supplice entouré des apprêts funéraires est beau pour un chrétien qui seul va pour ses frères expirer semblable au sauveur oh cessez disait il ces larmes ces reproches guerriers votre salut prévient tant de douleurs combien à votre mort vos amis et vos proches hélas auraient versé de pleurs je romps avec vos fers mes chaînes éphémères à vos épouses à vos mères conservez vos jours précieux on vous rendra la paix la liberté la vie tout ce bonheur n’a rien que mon cœur vous envie vous ne m’enviez pas les cieux le sinistre tambour sonna l’heure dernière les bourreaux étaient prêts on vit sombreuil partir la sœur ne fut point là pour leur ravir le frère — et le héros devint martyr l’exhortant de la voix et de son saint exemple un évêque exilé du temple le suivit au funeste lieu afin que le vainqueur vît dans son camp rebelle mourir près d’un soldat à son prince fidèle un prêtre fidèle à son dieu iii vous pour qui s’est versé le sang expiatoire bénissez le seigneur louez l’heureux sombreuil celui qui monte au ciel brillant de tant de gloire n’a pas besoin de chants de deuil bannis on va vous rendre enfin une patrie captifs la liberté chérie se montre à vous dans l’avenir oui de vos longs malheurs chantez la fin prochaine vos prisons vont s’ouvrir on brise votre chaîne chantez votre exil va finir en effet — des cachots la porte à grand bruit roule un étendard paraît qui flotte ensanglanté des chefs et des soldats l’environnent en foule en invoquant la liberté quoi disaient les captifs déjà l’on nous délivre … quelques uns s’empressent de suivre les bourreaux devenus meilleurs adieu leur criait on adieu plus de souffrance nous nous reverrons tous libres dans notre france ils devaient se revoir ailleurs bientôt jusqu’aux prisons des captifs en prières arrive un sourd fracas par l’écho répété c’étaient leurs fiers vainqueurs qui délivraient leurs frères et qui remplissaient leur traité sans troubler les proscrits ce bruit vint les surprendre aucun d’eux ne savait comprendre qu’on pût se jouer des serments ils disaient aux soldats votre foi nous protège et pour toute réponse un lugubre cortége les traîna sur des corps fumants le jour fit place à l’ombre et la nuit à l’aurore hélas et pour mourir traversant la cité les crédules proscrits passaient passaient encore aux yeux du peuple épouvanté chacun d’eux racontait brûlant d’un sain délire à ses compagnons de martyre les malheurs qu’il avait soufferts tous succombaient sans peur sans faste sans murmure regrettant seulement qu’il fallût un parjure pour les immoler dans les fers à coups multipliés la hache abat les chênes le vil chasseur dans l’antre ignoré du soleil égorge lentement le lion dont ses chaînes ont surpris le noble sommeil on massacra longtemps la tribu sans défense à leur mort assistait la france jouet des bourreaux triomphants comme jadis aux pieds des idoles impures tour à tour une veuve en de longues tortures vit expirer ses sept enfants c’étaient là les vertus d’un sénat qu’on nous vante le sombre esprit du mal sourit en le créant mais ce corps aux cent bras fort de notre épouvante en son sein portait son néant le colosse de fer s’est dissous dans la fange l’anarchie alors que tout change pense voir ses œuvres durer mais ce pygmalion dans ses travaux frivoles ne peut donner la vie aux horribles idoles qu’il se fait pour les adorer iv on dit que de nos jours viennent versant des larmes prier au champ fatal où ces preux sont tombés les vierges les soldats fiers de leurs jeunes armes et les vieillards lents et courbés du ciel sur les bourreaux appelant l’indulgence là nul n’implore la vengeance tous demandent le repentir et chez ces vieux bretons témoins de tant de crimes le pèlerin qui vient invoquer les victimes souvent lui même est un martyr du 11 au 17 février 1821 ode cinquième louis xvii capet éveille toi i en ce temps là du ciel les portes d’or s’ouvrirent du saint des saints ému les feux se découvrirent tous les cieux un moment brillèrent dévoilés et les élus voyaient lumineuses phalanges venir une jeune âme entre de jeunes anges sous les portiques étoilés c’était un bel enfant qui fuyait de la terre son œil bleu du malheur portait le signe austère ses blonds cheveux flottaient sur ses traits pâlissants et les vierges du ciel avec des chants de fête aux palmes du martyre unissaient sur sa tête la couronne des innocents ii on entendit des voix qui disaient dans la nue — jeune ange dieu sourit à ta gloire ingénue viens rentre dans ses bras pour ne plus en sortir et vous qui du très haut racontez les louanges séraphins prophètes archanges courbez vous c’est un roi chantez c’est un martyr — où donc ai je régné demandait la jeune ombre je suis un prisonnier je ne suis point un roi hier je m’endormis au fond d’une tour sombre où donc ai je régné seigneur dites le moi hélas mon père est mort d’une mort bien amère ses bourreaux ô mon dieu m’ont abreuvé de fiel je suis un orphelin je viens chercher ma mère qu’en mes rêves j’ai vue au ciel les anges répondaient — ton sauveur te réclame ton dieu d’un monde impie a rappelé ton âme fuis la terre insensée où l’on brise la croix où jusque dans la mort descend le régicide où le meurtre d’horreurs avide fouille dans les tombeaux pour y chercher des rois — quoi de ma lente vie ai je achevé le reste disait il tous mes maux les ai je enfin soufferts est il vrai qu’un geôlier de ce rêve céleste ne viendra pas demain m’éveiller dans mes fers captif de mes tourments cherchant la fin prochaine j’ai prié dieu veut il enfin me secourir oh n’est ce pas un songe a t il brisé ma chaîne ai je eu le bonheur de mourir car vous ne savez point quelle était ma misère chaque jour dans ma vie amenait des malheurs et lorsque je pleurais je n’avais pas de mère pour chanter à mes cris pour sourire à mes pleurs d’un châtiment sans fin languissante victime de ma tige arraché comme un tendre arbrisseau j’étais proscrit bien jeune et j’ignorais quel crime j’avais commis dans mon berceau et pourtant écoutez bien loin dans ma mémoire j’ai d’heureux souvenirs avant ces temps d’effroi j’entendais en dormant des bruits confus de gloire et des peuples joyeux veillaient autour de moi un jour tout disparut dans un sombre mystère je vis fuir l’avenir à mes destins promis je n’étais qu’un enfant faible et seul sur la terre hélas et j’eus des ennemis ils m’ont jeté vivant sous des murs funéraires mes yeux voués aux pleurs n’ont plus vu le soleil mais vous que je retrouve anges du ciel mes frères vous m’avez visité souvent dans mon sommeil mes jours se sont flétris dans leurs mains meurtrières seigneur mais les méchants sont toujours malheureux oh ne soyez pas sourd comme eux à mes prières car je viens vous prier pour eux et les anges chantaient — l’arche à toi se dévoile suis nous sur ton beau front nous mettrons une étoile prends les ailes d’azur des chérubins vermeils tu viendras avec nous bercer l’enfant qui pleure ou dans leur brûlante demeure d’un souffle lumineux rajeunir les soleils iii soudain le chœur cessa les élus écoutèrent il baissa son regard par les larmes terni au fond des cieux muets les mondes s’arrêtèrent et l’éternelle voix parla dans l’infini ô roi je t’ai gardé loin des grandeurs humaines tu t’es réfugié du trône dans les chaînes va mon fils bénis tes revers tu n’as point su des rois l’esclavage suprême ton front du moins n’est pas meurtri du diadème si tes bras sont meurtris de fers enfant tu t’es courbé sous le poids de la vie et la terre pourtant d’espérance et d’envie avait entouré ton berceau viens ton seigneur lui même eut ses douleurs divines et mon fils comme toi roi couronné d’épines porta le sceptre de roseau décembre 1822 ode sixième le rétablissement de la statue de henri iv accingunt omnes operi pedibusque rotarum subjiciunt lapsus et stupea vincula collo intendunt…………………… ………pueri circum innuplæque puellæ sacra canunt funemque manu contingere gaudent virgile i je voyais s’élever dans le lointain des âges ces monuments espoir de cent rois glorieux puis je voyais crouler les fragiles images de ces fragiles demi dieux alexandre un pêcheur des rives du pirée foule ta statue ignorée sur le pavé du parthénon et les premiers rayons de la naissante aurore en vain dans le désert interrogent encore les muets débris de memnon ont ils donc prétendu dans leur esprit superbe qu’un bronze inanimé dût les rendre immortels demain le temps peut être aura caché sous l’herbe leurs imaginaires autels le proscrit à son tour peut remplacer l’idole des piédestaux du capitole sylla détrône marius aux outrages du sort insensé qui s’oppose le sage de l’affront dont frémit théodose sourit avec démétrius d’un héros toutefois l’image auguste et chère hérite du respect qui payait ses vertus trajan domine encore les champs que de tibère couvrent les temples abattus souvent lorsqu’en l’horreur des discordes civiles la terreur planait sur les villes aux cris des peuples révoltés un héros respirant dans le marbre immobile arrêtait tout à coup par son regard tranquille les factieux épouvantés ii eh quoi sont ils donc loin ces jours de notre histoire où paris sur son prince osa lever son bras où l’aspect de henri ses vertus sa mémoire n’ont pu désarmer des ingrats que dis je ils ont détruit sa statue adorée hélas cette horde égarée mutilait l’airain renversé et cependant des morts souillant le saint asile leur sacrilège main demandait à l’argile l’empreinte de son front glacé voulaient ils donc jouir d’un portrait plus fidèle du héros dont leur haine a payé les bienfaits voulaient ils réprouvant leur fureur criminelle le rendre à nos yeux satisfaits non mais c’était trop peu de briser son image ils venaient encor dans leur rage briser son cercueil outragé tel troublant le désert d’un rugissement sombre le tigre en se jouant cherche à dévorer l’ombre du cadavre qu’il a rongé assis près de la seine en mes douleurs amères je me disais la seine arrose encore ivry et les flots sont passés où du temps de nos pères se peignaient les traits de henri nous ne verrons jamais l’image vénérée d’un roi qu’à la france éplorée enleva sitôt le trépas sans saluer henri nous irons aux batailles et l’étranger viendra chercher dans nos murailles un héros qu’il n’y verra pas iii où courez vous quel bruit naît s’élève et s’avance qui porte ces drapeaux signe heureux de nos rois dieu quelle masse au loin semble en sa marche immense broyer la terre sous son poids répondez… ciel c’est lui je vois sa noble tête… le peuple fier de sa conquête répète en chœur son nom chéri ô ma lyre tais toi dans la publique ivresse que seraient tes concerts près des chants d’allégresse de la france aux pieds de henri par mille bras traîné le lourd colosse roule ah volons joignons nous à ces efforts pieux qu’importe si mon bras est perdu dans la foule henri me voit du haut des cieux tout un peuple a voué ce bronze à ta mémoire ô chevalier rival en gloire des bayard et des duguesclin de l’amour des français reçois la noble preuve nous devons ta statue au denier de la veuve à l’obole de l’orphelin n’en doutez pas l’aspect de cette image auguste rendra nos maux moins grands notre bonheur plus doux ô français louez dieu vous voyez un roi juste un français de plus parmi vous désormais dans ses yeux en volant à la gloire nous viendrons puiser la victoire henri recevra notre foi et quand on parlera de ses vertus si chères nos enfants n’iront pas demander à nos pères comment souriait le bon roi iv jeunes amis dansez autour de cette enceinte mêlez vos pas joyeux mêlez vos heureux chants henri car sa bonté dans ses traits est empreinte bénira vos transports touchants près des vains monuments que des tyrans s’élèvent qu’après de longs siècles achèvent les travaux d’un peuple opprimé qu’il est beau cet airain où d’un roi tutélaire la france aime à revoir le geste populaire et le regard accoutumé que le fier conquérant de la perse avilie las de léguer ses traits à de frêles métaux menace dans l’accès de sa vaste folie d’imposer sa forme à l’athos qu’un pharaon cruel superbe en sa démence couvre d’un obélisque immense le grand néant de son cercueil son nom meurt et bientôt l’ombre des pyramides pour l’étranger perdu dans ces plaines arides est le seul bienfait de l’orgueil un jour mais repoussons tout présage funeste si des ans ou du sort les coups encor vainqueurs brisaient de notre amour le monument modeste henri tu vivrais dans nos cœurs cependant que du nil les montagnes altières cachant cent royales poussières du monde inutile fardeau du temps et de la mort attestent le passage et ne sont déjà plus à l’œil ému du sage que la ruine d’un tombeau février 1819 ode septième la mort du duc de berry le meurtre d’une main violente brise les liens les plus sacrés la mort vient enlever le jeune homme florissant et le malheur s’approche comme un ennemi rusé au milieu des jours de fête schiller i modérons les transports d’une ivresse insensée le passage est bien court de la joie aux douleurs la mort aime à poser sa main lourde et glacée sur des fronts couronnés de fleurs demain souillés de cendre humbles courbant nos têtes le vain souvenir de nos fêtes sera pour nous presque un remords nos jeux seront suivis des pompes sépulcrales car chez nous malheureux l’hymne des saturnales sert de prélude au chant des morts ii fuis les banquets fais trêve à ton joyeux délire paris triste cité détourne tes regards vers le cirque où l’on voit aux accords de la lyre s’unir les prestiges des arts chœurs interrompez vous cessez danses légères qu’on change en torches funéraires ces feux purs ces brillants flambeaux — dans cette enceinte auprès d’une couche sanglante j’entends un prêtre saint dont la voix chancelante dit la prière des tombeaux sous ces lambris frappés des éclats de la joie près d’un lit où soupire un mourant étendu d’une famille auguste au désespoir en proie je vois le cortège éperdu c’est un père à genoux c’est un frère en alarmes une sœur qui n’a point de larmes pour calmer ses sombres douleurs car ses affreux revers ont dès son plus jeune âge dans ses yeux enflammés d’un si mâle courage tari la source de ses pleurs sur l’échafaud aux cris d’un sénat sanguinaire sa mère est morte en reine et son père en héros elle a vu dans les fers périr son jeune frère et n’a pu trouver des bourreaux et quand des rois ligués la main brisa ses chaînes longtemps sur des rives lointaines elle a fui nos bords désolés elle a revu la france après tant de misères pour apprendre en rentrant au palais de ses pères que ses maux n’étaient pas comblés plus loin c’est une épouse… oh qui peindra ses craintes sa force ses doux soins son amour assidu hélas et qui dira ses lamentables plaintes quand tout espoir sera perdu quels étaient nos transports ô vierge de sicile quand naguère à ta main docile berry joignit sa noble main devais tu donc princesse en touchant ce rivage voir sitôt succéder le crêpe du veuvage au chaste voile de l’hymen berry quand nous vantions ta paisible conquête nos chants ont réveillé le dragon endormi l’anarchie en grondant a relevé sa tête et l’enfer même en a frémi elle a rugi soudain du milieu des ténèbres clément poussa des cris funèbres ravaillac agita ses fers et le monstre étendant ses deux ailes livides aux applaudissements des ombres régicides s’envola du fond des enfers le démon vers nos bords tournant son vol funeste voulut brisant ces lys qu’il flétrit tant de fois épuiser d’un seul coup le déplorable reste d’un sang trop fertile en bons rois longtemps le sbire obscur qu’il arma pour son crime rêveur autour de la victime promena ses affreux loisirs enfin le ciel permet que son vœu s’accomplisse pleurons tous car le meurtre a choisi pour complice le tumulte de nos plaisirs le fer brille… un cri part guerriers volez aux armes c’en est fait la duchesse accourt en pâlissant son bras soutient berry qu’elle arrose de larmes et qui l’inonde de son sang dressez un lit funèbre est il quelque espérance … hélas un lugubre silence a condamné son triste époux assistez le madame en ce moment horrible les soins cruels de l’art le rendront plus terrible les vôtres le rendront plus doux monarque en cheveux blancs hâte toi le temps presse un bourbon va rentrer au sein de ses aïeux viens accours vers ce fils l’espoir de ta vieillesse car ta main doit fermer ses yeux il a béni sa fille à son amour ravie puis des vanités de sa vie il proclame un noble abandon vivant il pardonna ses maux à la patrie et son dernier soupir digne du dieu qu’il prie est encore un cri de pardon mort sublime ô regrets vois sa grande âme et pleure porte au ciel tes clameurs ô peuple désolé tu l’as trop peu connu c’est à sa dernière heure que le héros s’est révélé pour consoler la veuve apportez l’orpheline donnez sa fille à caroline la nature encore a ses droits mais quand périt l’espoir d’une tige féconde qui pourra consoler dans sa terreur profonde la france veuve de ses rois à l’horrible récit quels cris expiatoires vont pousser nos guerriers fameux par leur valeur l’europe qu’ébranlait le bruit de leurs victoires va retentir de leur douleur mais toi que diras tu chère et noble vendée si longtemps de sang inondée tes regrets seront superflus et tu seras semblable à la mère accablée qui s’assied sur sa couche et pleure inconsolée parce que son enfant n’est plus bientôt vers saint denis désertant nos murailles au bruit sourd des clairons peuple prêtres soldats nous suivrons à pas lents le char des funérailles entouré des chars des combats hélas jadis souillé par des mains téméraires saint denis où dormaient ses pères a vu déjà bien des forfaits du moins puisse à l’abri des complots parricides sous ces murs profanés parmi ces tombes vides sa cendre reposer en paix iii d’enghien s’étonnera dans les célestes sphères de voir sitôt l’ami cher à ses jeunes ans à qui le vieux condé prêt à quitter nos terres léguait ses devoirs bienfaisants à l’aspect de berry leur dernière espérance des rois que révère la france les ombres frémiront d’effroi deux héros gémiront sur leurs races éteintes et le vainqueur d’ivry viendra mêler ses plaintes aux pleurs du vainqueur de rocroy ainsi bourbon au bruit du forfait sanguinaire on te vit vers d’artois accourir désolé car tu savais les maux que laisse au cœur d’un père un fils avant l’âge immolé mais bientôt chancelant dans ta marche incertaine l’affreux souvenir de vincenne vint s’offrir à tes sens glacés tu pâlis et d’artois dans la douleur commune sembla presque oublier sa récente infortune pour plaindre tes revers passés et toi veuve éplorée au milieu de l’orage attends des jours plus doux espère un sort meilleur prends ta sœur pour modèle et puisse ton courage être aussi grand que ton malheur tu porteras comme elle une urne funéraire comme elle au sein du sanctuaire tu gémiras sur un cercueil l’hydre des factions qui par des morts célèbres a marqué pour ta sœur tant d’époques funèbres te fait aussi ton jour de deuil iv pourtant ô frêle appui de la tige royale si dieu par ton secours signale son pouvoir tu peux sauver la france et de l’hydre infernale tromper encor l’affreux espoir ainsi quand le serpent auteur de tous les crimes vouait d’avance aux noirs abîmes l’homme que son forfait perdit le seigneur abaissa sa farouche arrogance une femme apparut qui faible et sans défense brisa du pied son front maudit février 1820 ode huitième la naissance du duc de bordeaux l’enfer qui pressent sa ruine tente tous les moyens de victoire les démons de la volupté de l’or de l’ambition cherchent à corrompre la milice fidèle le ciel vient au secours de ses enfants il prodigue en leur faveur les miracles la postérité de joseph rentre dans la terre de gessen et cette conquête due aux larmes des vainqueurs ne coûte pas une larme aux vaincus chateaubriand les martyrs i savez vous voyageur pourquoi dissipant l’ombre d’innombrables clartés brillent dans la nuit sombre quelle immense vapeur rougit les cieux couverts et pourquoi mille cris frappant la nue ardente dans la ville au loin rayonnante comme un concert confus s’élèvent dans les airs ii ô joie ô triomphe ô mystère il est né l’enfant glorieux l’ange que promit à la terre un martyr partant pour les cieux l’avenir voilé se révèle salut à la flamme nouvelle qui ranime l’ancien flambeau honneur à ta première aurore ô jeune lys qui viens d’éclore tendre fleur qui sors d’un tombeau c’est dieu qui l’a donné le dieu de la prière la cloche balancée aux tours du sanctuaire comme aux jours du repos y rappelle nos pas c’est dieu qui l’a donné le dieu de la victoire — chez les vieux martyrs de la gloire les canons ont tonné comme au jour des combats ce bruit si cher à ton oreille joint aux voix des temples bénis n’a t il donc rien qui te réveille ô toi qui dors à saint denis lève toi henri doit te plaire au sein du berceau populaire accours ô père triomphant enivre sa lèvre trompée et viens voir si ta grande épée pèse aux mains du royal enfant hélas il est absent il est au sein des justes sans doute en ce moment de ses aïeux augustes le cortège vers lui s’avance consolé car il rendit mourant sous des coups parricides un héros à leurs tombes vides une race de rois à leur trône isolé parmi tous ces nobles fantômes qu’il élève un front couronné qu’il soit fier dans les saints royaumes le père du roi nouveau né une race longue et sublime sort de l’immortelle victime tel un fleuve mystérieux fils d’un mont frappé du tonnerre de son cours fécondant la terre cache sa source dans les cieux honneur au rejeton qui deviendra la tige henri nouveau joas sauvé par un prodige à l’ombre de l’autel croîtra vainqueur du sort un jour de ses vertus notre france embellie à ses sœurs comme cornélie dira voilà mon fils c’est mon plus beau trésor iii ô toi de ma pitié profonde reçois l’hommage solennel humble objet des regards du monde privé du regard paternel puisses tu né dans la souffrance et de ta mère et de la france consoler la longue douleur que le bras divin t’environne et puisse ô bourbon la couronne pour toi ne pas être un malheur oui souris orphelin aux larmes de ta mère écarte en te jouant ce crêpe funéraire qui voile ton berceau des couleurs du cercueil chasse le noir passé qui nous attriste encore sois à nos yeux comme une aurore rends le jour et la joie à notre ciel en deuil ivre d’espoir ton roi lui même consacrant le jour où tu nais t’impose avant le saint baptême le baptême du béarnais la veuve t’offre à l’orpheline vers toi conduit par l’héroïne vient ton aïeul en cheveux blancs et la foule bruyante et fière se presse à ce louvre où naguère muette elle entrait à pas lents guerriers peuple chantez bordeaux lève ta tête cité qui la première aux jours de la conquête rendue aux fleurs de lys as proclamé ta foi et toi que le martyr aux combats eût guidée sors de ta douleur ô vendée un roi naît pour la france un soldat naît pour toi iv rattachez la nef à la rive la veuve reste parmi nous et de sa patrie adoptive le ciel lui semble enfin plus doux l’espoir à la france l’enchaîne aux champs où fut frappé le chêne dieu fait croître un frêle roseau l’amour retient l’humble colombe il faut prier sur une tombe il faut veiller sur un berceau dis qu’irais tu chercher au lieu qui te vit naître princesse parthénope outrage son vieux maître l’étranger qu’attiraient des bords exempts d’hivers voit palerme en fureur voit messine en alarmes et plaignant la sicile en armes de ce funèbre éden fuit les sanglantes mers mais que les deux volcans s’éveillent que le souffle du dieu jaloux des sombres géants qui sommeillent rallume enfin l’ardent courroux devant les flots brûlants des laves que seront ces hautains esclaves ces chefs d’un jour ces grands soldats courage ô vous vainqueurs sublimes — tandis que vous marchez aux crimes la terre tremble sous vos pas reste au sein des français ô fille de sicile ne fuis pas pour des bords d’où le bonheur s’exile une terre où le lys se relève immortel où du peuple et des rois l’union salutaire n’est point cet hymen adultère du trône et des partis des camps et de l’autel v nous ne craignons plus les tempêtes bravons l’horizon menaçant les forfaits qui chargeaient nos têtes sont rachetés par l’innocent quand les nochers dans la tourmente jadis voyaient l’onde écumante entr’ouvrir leur frêle vaisseau sûrs de la clémence éternelle pour sauver la nef criminelle ils y suspendaient un berceau octobre 1820 ode neuvième le baptême du duc de bordeaux sinite parvulos venire ad me — venerunt reges évangile i  oh disaient les peuples du monde les derniers temps sont ils venus nos pas dans une nuit profonde suivent des chemins inconnus où va t on dans la nuit perfide quel est ce fanal qui nous guide tous courbés sous un bras de fer est il propice est il funeste est ce la colonne céleste est ce une flamme de l’enfer  les tribus des chefs se divisent les troupeaux chassent les pasteurs et les sceptres des rois se brisent devant les faisceaux des préteurs les trônes tombent l’autel croule les factions naissent en foule sur les bords des deux océans et les ambitions serviles qui dormaient comme des reptiles se lèvent comme des géants  ah malheur nous avons fait gloire hélas d’attentats inouïs tels qu’en cherche en vain la mémoire dans les siècles évanouis malheur tous nos forfaits l’appellent tous les signes nous le révèlent le jour des arrêts solennels l’homme est digne enfin des abîmes et rien ne manque à ses longs crimes que les châtiments éternels le très haut a pris leur défense lorsqu’ils craignaient son abandon l’homme peut épuiser l’offense dieu n’épuise pas le pardon il mène au repentir l’impie lui même pour nous il expie l’oubli des lois qu’il nous donna pour lui seul il reste sévère c’est la victime du calvaire qui fléchit le dieu du sina ii par un autre berceau sa main nous sauve encore le monde du bonheur n’ose entrevoir l’aurore quoique dieu des méchants ait puni les défis et troublant leurs conseils dispersant leurs phalanges nous ait donné l’un de ses anges comme aux antiques jours il nous donna son fils tel lorsqu’il sort vivant du gouffre de ténèbres le prophète voit fuir les visions funèbres la terre est sous ses pas le jour luit à ses yeux mais lui tout ébloui de la flamme éternelle longtemps à sa vue infidèle la lueur de l’enfer voile l’éclat des cieux peuples ne doutez pas chantez votre victoire un sauveur naît vêtu de puissance et de gloire il réunit le glaive et le sceptre en faisceau des leçons du malheur naîtront nos jours prospères car de soixante rois ses pères les ombres sans cercueils veillent sur son berceau son nom seul a calmé nos tempêtes civiles ainsi qu’un bouclier il a couvert les villes la révolte et la haine ont déserté nos murs tel du jeune lion qui lui même s’ignore le premier cri paisible encore fait de l’antre royal fuir cent monstres impurs iii quel est cet enfant débile qu’on porte aux sacrés parvis toute une foule immobile le suit de ses yeux ravis son front est nu ses mains tremblent ses pieds que des nœuds rassemblent n’ont point commencé de pas la faiblesse encor l’enchaîne son regard ne voit qu’à peine et sa voix ne parle pas c’est un roi parmi les hommes en entrant dans le saint lieu il devient ce que nous sommes c’est un homme aux pieds de dieu cet enfant est notre joie dieu pour sauveur nous l’envoie sa loi l’abaisse aujourd’hui les rois qu’arme son tonnerre sont tout par lui sur la terre et ne sont rien devant lui que tout tremble et s’humilie l’orgueil mortel parle en vain le lion royal se plie au joug de l’agneau divin le père entouré d’étoiles vers l’enfant faible et sans voiles descend sur les vents porté l’esprit saint de feux l’inonde il n’est encor né qu’au monde qu’il naisse à l’éternité marie aux rayons modeste heureuse et priant toujours guide les vierges célestes vers son vieux temple aux deux tours toutes les saintes armées parmi les soleils semées suivent son char triomphant la charité les devance la foi brille et l’espérance s’assied près de l’humble enfant iv jourdain te souvient il de ce qu’ont vu tes rives naguère un pèlerin près de tes eaux captives vint s’asseoir et pleura pareil en sa ferveur à ces preux qui jadis terrible et saint cortège ravirent au joug sacrilège ton onde baptismale et le tombeau sauveur ce chrétien avait vu dans la france usurpée trône autel chartes lois tomber sous une épée les vertus sans honneur les forfaits impunis et lui des vieux croisés cherchait l’ombre sublime et s’exilant près de solime aux lieux où dieu mourut pleurait ses rois bannis l’eau du saint fleuve emplit sa gourde voyageuse il partit il revit notre rive orageuse ignorant quel bonheur attendait son retour et qu’à l’enfant des rois du fond de l’arabie il apportait nouveau tobie le remède divin qui rend l’aveugle au jour qu’il soit fier dans ses flots le fleuve des prophètes peuples l’eau du salut est présente à nos fêtes le ciel sur cet enfant a placé sa faveur qu’il reçoive les eaux que reçut dieu lui même et qu’à l’onde de son baptême le monde rassuré reconnaisse un sauveur à vous comme à clovis prince dieu se révèle soyez du temple saint la colonne nouvelle votre âme en vain du lys efface la blancheur quittez l’orgueil du rang l’orgueil de l’innocence dieu vous offre dans sa puissance la piscine du pauvre et la croix du pécheur v l’enfant quand du seigneur sur lui brille l’aurore ignore le martyre et sourit à la croix mais un autre baptême hélas attend encore le front infortuné des rois — des jours viendront jeune homme où ton âme troublée du fardeau d’un peuple accablée frémira d’un effroi pieux quand l’évêque sur toi répandra l’huile austère formidable présent qu’aux maîtres de la terre la colombe apporta des cieux alors ô roi chrétien au seigneur sois semblable sache être grand par toi comme il est grand par lui car le sceptre devient un fardeau redoutable dès qu’on veut s’en faire un appui un vrai roi sur sa tête unit toutes les gloires et si dans ses justes victoires par la mort il est arrêté il voit comme bayard une croix dans son glaive et ne fait quand le ciel à la terre l’enlève que changer d’immortalité à la muse je vais ô muse où tu m’envoies je ne sais que verser des pleurs mais qu’il soit fidèle à leurs joies ce luth fidèle à leurs douleurs ma voix dans leur récente histoire n’a point sur des tons de victoire appris à louer le seigneur ô rois victimes couronnées lorsqu’on chante vos destinées on sait mal chanter le bonheur mai 1821 à m le comte gaspard de pons ode dixième vision 7 quia defecimus in ira tua et in furore tuo turbati sumus 8 posuisti iniquitates nostras in conspectu tuo sæculum nostrum in illuminatione vultus tui 9 quoniam omnes dies nostri defecerunt et in ira tua defecimus psaume lxxxix parce que nous sommes tombés dans votre colère et que nous avons été troublés dans votre fureur vous avez placé nos iniquités en votre présence et notre siècle dans la lumière de votre face puisque tous nos jours ont failli et que nous sommes tombés dans votre colère voici ce qu’ont dit les prophètes aux jours où ces hommes pieux voyaient en songe sur leurs têtes l’esprit saint descendre des cieux dès qu’un siècle éteint pour le monde redescend dans la nuit profonde de gloire ou de honte chargé il va répondre et comparaître devant le dieu qui le fit naître seul juge qui n’est pas jugé or écoutez fils de la terre vil peuple à la tombe appelé ce qu’en un rêve solitaire la vision m’a révélé — c’était dans la cité flottante de joie et de gloire éclatante où le jour n’a pas de soleil d’où sortit la première aurore et d’où résonneront encore les clairons du dernier réveil adorant l’essence inconnue les saints les martyrs glorieux contemplaient sous l’ardente nue le triangle mystérieux près du trône où dort le tonnerre parut un spectre centenaire par l’ange des français conduit et l’ange vêtu d’un long voile était pareil à l’humble étoile qui mène au ciel la sombre nuit dans les cieux et dans les abîmes une voix alors s’entendit qui jusque parmi ses victimes fit trembler l’archange maudit le char des séraphins fidèles semé d’yeux brillant d’étincelles s’arrêta sur son triple essieu et la roue aux flammes bruyantes et les quatre ailes tournoyantes se turent au souffle de dieu la voix déjà du livre séculaire la page a dix sept fois tourné le gouffre attend que ma colère te pardonne ou t’ait condamné approche — je tiens la balance te voilà nu dans ma présence siècle innocent ou criminel faut il que ton souvenir meure réponds un siècle est comme une heure devant mon regard éternel le siècle j’ai dans mes pensers magnanimes tout divisé tout réuni j’ai soumis à mes lois sublimes et l’immuable et l’infini j’ai pesé tes volontés mêmes… la voix fantôme arrête tes blasphèmes troublent mes saints d’un juste effroi sors de ton orgueilleuse ivresse doute aujourd’hui de ta sagesse car tu ne peux douter de moi fier de tes aveugles sciences n’as tu pas ri dans tes clameurs et de mon être et des croyances qui gardent les lois et les mœurs de la mort souillant le mystère n’as tu pas effrayé la terre d’un crime aux humains inconnu des rois avant les temps célestes n’as tu pas réveillé les restes le siècle ô dieu votre jour est venu la voix pleure ô siècle d’abord timide l’erreur grandit comme un géant l’athée invite au régicide le chaos est fils du néant j’aimais une terre lointaine un roi bon une belle reine conduisaient son peuple joyeux je bénissais leurs jours augustes réponds qu’as tu fait de ces justes le siècle seigneur je les vois dans vos cieux la voix oui l’épouvante enfin t’éclaire c’est moi qui marque leur séjour aux réprouvés de ma colère comme aux élus de mon amour qu’un rayon tombe de ma face soudain tout s’anime ou s’efface tout naît ou retourne au tombeau mon souffle propice ou terrible allume l’incendie horrible comme il éteint le pur flambeau que l’oubli muet te dévore le siècle seigneur votre bras s’est levé seigneur le maudit vous implore la voix non tais toi siècle réprouvé le siècle eh bien donc l’âge qui va naître absoudra mes forfaits peut être par des forfaits plus odieux ici gémit l’humble espérance et le bel ange de la france de son aile voila ses yeux la voix va ma main t’ouvre les abîmes un siècle nouveau prend l’essor mais loin de t’absoudre ses crimes maudit t’accuseront encor et comme l’ouragan qui gronde chasse à grand bruit jusque sur l’onde le flocon vers les mers jeté longtemps la voix inexorable poursuit le siècle coupable qui tombait dans l’éternité 1821 ode onzième buonaparte de deo i quand la terre engloutit les cités qui la couvrent que le vent sème au loin un poison voyageur quand l’ouragan mugit quand des monts brûlants s’ouvrent c’est le réveil du dieu vengeur et si lassant enfin les clémences célestes le monde à ces signes funestes ose répondre en les bravant un homme alors choisi par la main qui foudroie des aveugles fléaux ressaisissant la proie paraît comme un fléau vivant parfois élus maudits de la fureur suprême entre les nations des hommes sont passés triomphateurs longtemps armés de l’anathème par l’anathème renversés de l’esprit de nemrod héritiers formidables ils ont sur les peuples coupables régné par la flamme et le fer et dans leur gloire impie en désastres féconde ces envoyés du ciel sont apparus au monde comme s’ils venaient de l’enfer ii naguère de lois affranchis quand la reine des nations descendit de la monarchie prostituée aux factions on vit dans ce chaos fétide naître de l’hydre régicide un despote empereur d’un camp telle souvent la mer qui gronde dévore une plaine féconde et vomit un sombre volcan d’abord troublant du nil les hautes catacombes il vint chef populaire y combattre en courant comme pour insulter des tyrans dans leurs tombes sous sa tente de conquérant — il revint pour régner sur ses compagnons d’armes en vain l’auguste france en larmes se promettait des jours plus beaux quand des vieux pharaons il foulait la couronne sourd à tant de néant ce n’était qu’un grand trône qu’il rêvait sur leurs grands tombeaux un sang royal teignit sa pourpre usurpatrice un guerrier fut frappé par ce guerrier sans foi l’anarchie à vincenne admira son complice au louvre elle adora son roi il fallut presque un dieu pour consacrer cet homme le prêtre monarque de rome vint bénir son front menaçant car sans doute en secret effrayé de lui même il voulait recevoir son sanglant diadème des mains d’où le pardon descend iii lorsqu’il veut le dieu secourable qui livre au méchant les pervers brise le jouet formidable dont il tourmentait l’univers celui qu’un instant il seconde se dit le seul maître du monde fier il s’endort dans son néant enfin bravant la loi commune quand il croit tenir sa fortune le fantôme échappe au géant iv dans la nuit des forfaits dans l’éclat des victoires cet homme ignorant dieu qui l’avait envoyé de cités en cités promenant ses prétoires marchait sur sa gloire appuyé sa dévorante armée avait dans son passage asservi les fils de pélage devant les fils de galgacus et quand dans leurs foyers il ramenait ses braves aux fêtes qu’il vouait à ces vainqueurs esclaves il invitait les rois vaincus dix empires conquis devinrent ses provinces il ne fut pas content dans son orgueil fatal il ne voulait dormir qu’en une cour de princes sur un trône continental ses aigles qui volaient sous vingt cieux parsemées au nord de ses longues armées guidèrent l’immense appareil mais là parut l’écueil de sa course hardie les peuples sommeillaient un sanglant incendie fut l’aurore du grand réveil il tomba roi — puis dans sa route il voulut fantôme ennemi se relever afin sans doute de ne plus tomber à demi alors loin de sa tyrannie pour qu’une effrayante harmonie frappât l’orgueil anéanti on jeta ce captif suprême sur un rocher débris lui même de quelque ancien monde englouti là se refroidissant comme un torrent de lave gardé par ses vaincus chassé de l’univers ce reste d’un tyran en s’éveillant esclave n’avait fait que changer de fers des trônes restaurés écoutant la fanfare il brillait de loin comme un phare montrant l’écueil au nautonier il mourut — quand ce bruit éclata dans nos villes le monde respira dans les fureurs civiles délivré de son prisonnier ainsi l’orgueil s’égare en sa marche éclatante colosse né d’un souffle et qu’un regard abat il fit du glaive un sceptre et du trône une tente tout son règne fut un combat du fléau qu’il portait lui même tributaire il tremblait prince de la terre soldat on vantait sa valeur retombé dans son cœur comme dans un abîme il passa par la gloire il passa par le crime et n’est arrivé qu’au malheur v peuples qui poursuivez d’hommages les victimes et les bourreaux laissez le fuir seul dans les âges — ce ne sont point là les héros ces faux dieux que leur siècle encense dont l’avenir hait la puissance vous trompent dans votre sommeil tels que ces nocturnes aurores où passent de grands météores mais que ne suit pas le soleil mars 1822 livre deuxième 1822 1823 nos canimus surdis ode première à mes odes … tentenda via est quâ me quoque possim tollere humo victorque virum volitare per ora virgile i mes odes c’est l’instant de déployer vos ailes cherchez d’un même essor les voûtes immortelles le moment est propice… allons la foudre en grondant vous éclaire et la tempête populaire se livre au vol des aquilons pour qui rêva longtemps le jour du sacrifice oui l’heure où vient l’orage est une heure propice mais moi sous un ciel calme et pur si j’avais fortuné génie dans la lumière et l’harmonie vu flotter vos robes d’azur si nul profanateur n’eût touché vos offrandes si nul reptile impur sur vos chastes guirlandes n’eût traîné ses nœuds flétrissants si la terre à votre passage n’eût exhalé d’autre nuage que la vapeur d’un doux encens j’aurais béni la muse et chanté ma victoire j’aurais dit au poëte élancé vers la gloire  ô ruisseau qui cherches les mers coule vers l’océan du monde sans craindre d’y mêler ton onde car ses flots ne sont pas amers ii heureux qui de l’oubli ne fuit point les ténèbres heureux qui ne sait pas combien d’échos funèbres le bruit d’un nom fait retentir et si la gloire est inquiète et si la palme du poëte est une palme de martyr sans craindre le chasseur l’orage ou le vertige heureux l’oiseau qui plane et l’oiseau qui voltige heureux qui ne veut rien tenter heureux qui suit ce qu’il doit suivre heureux qui ne vit que pour vivre qui ne chante que pour chanter iii vous ô mes chants adieu cherchez votre fumée bientôt sollicitant ma porte refermée vous pleurerez au sein du bruit ce temps où cachés sous des voiles vous étiez pareils aux étoiles qui ne brillent que pour la nuit quand tour à tour prenant et rendant la balance quelques amis le soir vous jugeaient en silence poëtes par la lyre émus qui fuyaient la ville sonore et transplantaient les fleurs d’isaure dans les jardins d’académus comme un ange porté sur ses ailes dorées vous veniez murmurant des paroles sacrées pour abattre et pour relever vous disiez dans votre délire tout ce que peut chanter la lyre tout ce que l’âme peut rêver disputant un prix noble en une sainte arène vous laissiez tout l’olympe aux fils de l’hippocrène rivaux de votre ardent essor ainsi que l’amant d’atalante pour rendre leur course plus lente vous leur jetiez les pommes d’or on vous voyait suivis de sylphe et de fées liant d’anciens faisceaux à nos jeunes trophées chanter les camps et leurs travaux ou pousser des cris prophétiques ou demander aux temps gothiques leurs vieux contes toujours nouveaux souvent vos luths pieux consolaient les couronnes et du haut du trépied vous défendiez les trônes souvent appuis de l’innocent comme un tribut expiatoire vous mêliez pour fléchir l’histoire une larme à des flots de sang iv c’en est fait maintenant pareils aux hirondelles partez qu’un même but vous retrouve fidèles et moi pourvu qu’en vos combats de votre foi nul cœur ne doute et qu’une âme en secret écoute ce que vous lui direz tout bas pourvu quand sur les flots en vingt courants contraires l’ouragan chassera vos voiles téméraires qu’un seul ami plaignant mon sort vous voyant battus de l’orage pose un fanal sur le rivage s’afflige et vous souhaite un port d’un œil moins désolé je verrai vos naufrages mais le temps presse allez rassemblez vos courages il faut combattre les méchants c’est un sceptre aussi que la lyre dieu dont nos âmes sont l’empire a mis un pouvoir dans les chants v le poëte inspiré lorsque la terre ignore ressemble à ces grands monts que la nouvelle aurore dore avant tous à son réveil et qui longtemps vainqueurs de l’ombre gardent jusque dans la nuit sombre le dernier rayon du soleil 1823 ode deuxième l’histoire ferrea vox virgile i le sort des nations comme une mer profonde a ses écueils cachés et ses gouffres mouvants aveugle qui ne voit dans les destins du monde que le combat des flots sous la lutte des vents un souffle immense et fort domine ces tempêtes un rayon du ciel plonge à travers cette nuit quand l’homme aux cris de mort mêle le cris des fêtes une secrète voix parle dans ce vain bruit les siècles tour à tour ces gigantesques frères différents par leur sort semblables dans leurs vœux trouvent un but pareil par des routes contraires et leurs fanaux divers brillent des mêmes feux ii muse il n’est point de temps que tes regards n’embrassent tu suis dans l’avenir leur cercle solennel car les jours et les ans et les siècles ne tracent qu’un sillon passager dans le fleuve éternel bourreaux n’en doutez pas n’en doutez pas victimes elle porte en tous lieux son immortel flambeau plane au sommet des monts plonge au fond des abîmes et souvent fonde un temple où manquait un tombeau elle apporte leur palme aux héros qui succombent du char des conquérants brise le frêle essieu marche en rêvant au bruit des empires qui tombent et dans tous les chemins montre les pas de dieu du vieux palais des temps elle pose le faîte les siècles à sa voix viennent se réunir sa main comme un captif honteux de sa défaite traîne tout le passé jusque dans l’avenir recueillant les débris du monde en ses naufrages son œil de mers en mers suit le vaste vaisseau et sait tout voir ensemble aux deux bornes des âges et la première tombe et le dernier berceau 1823 ode troisième la bande noire voyageur obscur mais religieux au travers des ruines de la patrie… je priais ch nodier i  ô murs ô créneaux ô tourelles remparts fossés aux ponts mouvants lourds faisceaux de colonnes frêles fiers châteaux modestes couvents cloîtres poudreux salles antiques où gémissaient les saints cantiques où riaient les banquets joyeux lieux où le cœur met ses chimères églises où priaient nos mères tours où combattaient nos aïeux  parvis où notre orgueil s’enflamme maisons de dieu manoirs des rois temples que gardait l’oriflamme palais que protégeait la croix réduits d’amour arcs de victoires vous qui témoignez de nos gloires vous qui proclamez nos grandeurs chapelles donjons monastères murs voilés de tant de mystères murs brillants de tant de splendeurs  ô débris ruines de france que notre amour en vain défend séjours de joie ou de souffrance vieux monuments d’un peuple enfant restes sur qui le temps s’avance de l’armorique à la provence vous que l’honneur eut pour abri arceaux tombés voûtes brisées vestiges des races passées lit sacré d’un fleuve tari  oui je crois quand je vous contemple des héros entendre l’adieu souvent dans les débris du temple brille comme un rayon du dieu mes pas errants cherchent la trace de ces fiers guerriers dont l’audace faisait un trône d’un pavois je demande oubliant les heures au vieil écho de leurs demeures ce qui lui reste de leur voix  souvent ma muse aventurière s’enivrant de rêves soudains ceignit la cuirasse guerrière et l’écharpe des paladins s’armant d’un fer rongé de rouille elle déroba leur dépouille aux lambris du long corridor et vers des régions nouvelles pour hâter son coursier sans ailes osa chausser l’éperon d’or  j’aimais le manoir dont la route cache dans les bois ses détours et dont la porte sous la voûte s’enfonce entre deux larges tours j’aimais l’essaim d’oiseaux funèbres qui sur les toits dans les ténèbres vient grouper ses noirs bataillons ou levant des voix sépulcrales tournoie en mobiles spirales autour des légers pavillons  j’aimais la tour verte de lierre qu’ébranle la cloche du soir les marches de la croix de pierre où le voyageur vient s’asseoir l’église veillant sur les tombes ainsi qu’on voit d’humbles colombes couver les fruits de leur amour la citadelle crénelée ouvrant ses bras sur la vallée comme les ailes d’un vautour  j’aimais le beffroi des alarmes la cour où sonnaient les clairons la salle où déposant leurs armes se rassemblaient les hauts barons les vitraux éclatants ou sombres le caveau froid où dans les ombres sous des murs que le temps abat les preux sourds au vent qui murmure dorment couchés dans leur armure comme la veille d’un combat  aujourd’hui parmi les cascades sous le dôme des bois touffus les piliers les sveltes arcades hélas penchent leurs fronts confus les forteresses écroulées par la chèvre errante foulées courbent leurs têtes de granit restes qu’on aime et qu’on vénère l’aigle à leurs tours suspend son aire l’hirondelle y cache son nid  comme cet oiseau de passage le poëte dans tous les temps chercha de voyage en voyage les ruines et le printemps ces débris chers à la patrie lui parlent de chevalerie la gloire habite leurs néants les héros peuplent ces décombres — si ce ne sont plus que des ombres ce sont des ombres de géants  ô français respectons ces restes le ciel bénit les fils pieux qui gardent dans leurs jours funestes l’héritage de leurs aïeux comme une gloire dérobée comptons chaque pierre tombée que le temps suspende sa loi rendons les gaules à la france les souvenirs à l’espérance les vieux palais au jeune roi ii — tais toi lyre silence ô lyre du poëte ah laisse en paix tomber ces débris glorieux au gouffre où nul ami dans sa douleur muette ne les suivra longtemps des yeux témoins que les vieux temps ont laissés dans notre âge gardiens d’un passé qu’on outrage ah fuyez ce siècle ennemi croulez restes sacrés ruines solennelles pourquoi veiller encor dernières sentinelles d’un camp pour jamais endormi ou plutôt — que du temps la marche soit hâtée quoi donc n’avons nous point parmi nous ces héros qui chassèrent les rois de leur tombe insultée que les morts ont eu pour bourreaux honneur à ces vaillants que notre orgueil renomme gloire à ces braves sparte et rome jamais n’ont vu d’exploits plus beaux gloire ils ont triomphé de ces funèbres pierres ils ont brisé des os dispersé des poussières gloire ils ont proscrit des tombeaux quel dieu leur inspira ces travaux intrépides tout joyeux du néant par leurs soins découvert peut être ils ne voulaient que des sépulcres vides comme ils n’avaient qu’un ciel désert ou domptant les respects dont la mort nous fascine leur main peut être en sa racine frappait quelque auguste arbrisseau et courant en espoir à d’autres hécatombes leur sublime courage en attaquant ces tombes s’essayait à vaincre un berceau qu’ils viennent maintenant que leur foule s’élance qu’ils se rassemblent tous ces soldats aguerris voilà des ennemis dignes de leur vaillance des ruines et des débris qu’ils entrent sans effroi sous ces portes ouvertes qu’ils assiégent ces tours désertes un tel triomphe est sans dangers mais qu’ils n’éveillent pas les preux de ces murailles ces ombres qui jadis ont gagné des batailles les prendraient pour des étrangers ce siècle entre les temps veut être solitaire allons frappez ces murs des ans encor vainqueurs non qu’il ne reste rien des vieux jours sur la terre il n’en reste rien dans nos cœurs cet héritage immense où nos gloires s’entassent pour les nouveaux peuples qui passent est trop pesant à soutenir il retarde leurs pas qu’un même élan ordonne que nous fait le passé du temps que dieu nous donne nous ne gardons que l’avenir qu’on ne nous vante plus nos crédules ancêtres ils voyaient leurs devoirs où nous voyons nos droits nous avons nos vertus nous égorgeons les prêtres et nous assassinons les rois — hélas il est trop vrai l’antique honneur de france la foi sœur de l’humble espérance ont fui notre âge infortuné des anciennes vertus le crime a pris la place il cache leurs sentiers comme la ronce efface le seuil d’un temple abandonné quand de ses souvenirs la france dépouillée hélas aura perdu sa vieille majesté lui disputant encor quelque pourpre souillée ils riront de sa nudité nous ne profanons point cette mère sacrée consolons sa gloire éplorée chantons ses astres éclipsés car notre jeune muse affrontant l’anarchie ne veut pas secouer sa bannière blanchie de la poudre des temps passés 1823 ode quatrième à mon père domestica facta horace nous eûmes nos forfaits mais nous eûmes nos gloires holmondurand i quoi toujours une lyre et jamais une épée toujours d’un voile obscur ma vie enveloppée point d’arène guerrière à mes pas éperdus — mais jeter ma colère en strophes cadencées consumer tous mes jours en stériles pensées toute mon âme en chants perdus et cependant livrée aux tyrans qu’elle brave la grèce aux rois chrétiens montre sa croix esclave et l’espagne à grands cris appelle nos exploits car elle a de l’erreur connu l’ivresse amère et comme un orphelin qu’on arrache à sa mère son vieux trône a perdu l’appui des vieilles lois je rêve quelquefois que je saisis ton glaive ô mon père et je vais dans l’ardeur qui m’enlève suivre au pays du cid nos glorieux soldats ou faire dire aux fils de sparte révoltée qu’un français s’il ne put rendre aux grecs un tyrtée leur sut rendre un léonidas songes vains mais du moins ne crois pas que ma muse ait pour tes compagnons des chants qu’elle refuse mon père le poëte est fidèle aux guerriers des honneurs immortels il revêt la victoire il chante sur leur vie et l’amant de la gloire comme toutes les fleurs aime tous les lauriers ii ô français des combats la palme vous décore courbés sous un tyran vous étiez grands encore ce chef prodigieux par vous s’est élevé son immortalité sur vos gloires se fonde et rien n’effacera des annales du monde son nom par vos glaives gravé ajoutant une page à toutes les histoires il attelait des rois au char de ses victoires dieu dans sa droite aveugle avait mis le trépas l’univers haletait sous son poids formidable comme ce qu’un enfant a tracé sur le sable les empires confus s’effaçaient sous ses pas flatté par la fortune il fut puni par elle l’imprudent confiait son destin vaste et frêle à cet orgueil toujours sur la terre expié où donc en sa folie aspirait ta pensée malheureux qui voulais dans ta route insensée tous les trônes pour marchepied son jour vint on le vit vers la france alarmée fuir traînant après lui comme un lambeau d’armée chars coursiers et soldats pressés de toutes parts tel en son vol immense atteint du plomb funeste le grand aigle tombant de l’empire céleste sème sa trace au loin de son plumage épars qu’il dorme maintenant dans son lit de poussière on ne voit plus autour de sa couche guerrière vingt courtisans royaux épier son réveil l’europe si longtemps sous son bras palpitante ne compte plus assise aux portes de sa tente les heures de son noir sommeil reprenez ô français votre gloire usurpée assez dans tant d’exploits on n’a vu qu’une épée assez de la louange il fatigua la voix mesurez la hauteur du géant sur la poudre quel aigle ne vaincrait armé de votre foudre et qui ne serait grand du haut de vos pavois l’étoile de brennus luit encor sur vos têtes la victoire eut toujours des français à ses fêtes la paix du monde entier dépend de leur repos sur les pas des moreau des condé des xaintrailles ce peuple glorieux dans les champs de batailles a toujours usé ses drapeaux iii toi mon père ployant ta tente voyageuse conte nous les écueils de ta route orageuse le soir d’un cercle étroit en silence entouré si d’opulents trésors ne sont plus ton partage va tes fils sont contents de ton noble héritage le plus beau patrimoine est un nom révéré pour moi puisqu’il faut voir et mon cœur en murmure pendre aux lambris poudreux ta vénérable armure puisque ton étendard dort près de ton foyer et que sous l’humble abri de quelques vieux portiques le coursier qui m’emporte aux luttes poétiques laisse rouiller ton char guerrier lègue à mon luth obscur l’éclat de ton épée et du moins qu’à ma voix de ta vie occupée ce beau souvenir prête un charme solennel je dirai tes combats aux muses attentives comme un enfant joyeux parmi ses sœurs craintives traîne débile et fier le glaive paternel août 1823 aux rois de l’europe ode cinquième le repas libre il y avait à rome un antique usage la veille de l’exécution des condamnés à mort on leur donnait à la porte de la prison un repas public appelé le repas libre chateaubriand les martyrs i lorsqu’à l’antique olympe immolant l’évangile le préteur appuyant d’un tribunal fragile ses temples odieux livide avait proscrit des chrétiens pleins de joie victimes qu’attendaient acharnés sur leur proie les tigres et les dieux rome offrait un festin à leur élite sainte comme si sur les bords du calice d’absinthe versant un peu de miel sa pitié des martyrs ignorait l’énergie et voulait consoler par une folle orgie ceux qu’appelait le ciel la pourpre recevait ces convives austères le falerne écumait dans de larges cratères ceints de myrtes fleuris le miel d’hybla dorait les vins de malvoisie et dans les vases d’or les parfums de l’asie lavaient leurs pieds meurtris un art profond mêlant les tributs des trois mondes dévastait les forêts et dépeuplait les ondes pour ce libre repas on eût dit qu’épuisant la prodigue nature sybaris conviait aux banquets d’épicure ces élus du trépas les tigres cependant s’agitaient dans leur chaîne les léopards captifs de la sanglante arène cherchaient le noir chemin et bientôt moins cruels que les femmes de rome ces monstres s’étonnaient d’être applaudis par l’homme baignés de sang humain on jetait aux lions les confesseurs les prêtres telle une main servile à de dédaigneux maîtres offre un mets savoureux lorsqu’au pompeux banquet siégeait leur saint conclave la pâle mort debout comme un muet esclave se tenait derrière eux ii ô rois comme un festin s’écoule votre vie la coupe des grandeurs que le vulgaire envie brille dans votre main mais au concert joyeux de la fête éphémère se mêle le cri sourd du tigre populaire qui vous attend demain 1823 ode sixième la liberté christus nos liberavit où est l’esprit du seigneur là aussi est la liberté saint paul épître aux corinthiens i quand l’impie a porté l’outrage au sanctuaire tout fuit le temple en deuil de splendeur dépouillé mais le prêtre fidèle à genoux sur la pierre prodigue plus d’encens répand plus de prière courbe plus bas son front devant l’autel souillé ii non sur nos tristes bords ô belle voyageuse sœur auguste des rois fille sainte de dieu liberté pur flambeau de la gloire orageuse non je ne t’ai point dit adieu car mon luth est de ceux dont les voix importunes pleurent toutes les infortunes bénissent toutes les vertus mes hymnes dévoués ne traînent point la chaîne du vil gladiateur mais ils vont dans l’arène du linceul des martyrs vêtus dans l’âge où le cœur porte un souffle magnanime où l’homme à l’avenir jette un défi sublime et montre à sa menace un sourire hardi avant l’heure où périt la fleur de l’espérance quand l’âme lasse de souffrance passe du frais matin à l’aride midi je disais ô salut vierge aimable et sévère le monde ô liberté suit tes nobles élans comme une jeune épouse il t’aime et te révère comme une aïeule en cheveux blancs salut tu sais de l’âme écartant les entraves descendre au cachot des esclaves plutôt qu’au palais des tyrans aux concerts du cédron mêlant ceux du permesse ta voix douce a toujours quelque illustre promesse qu’entendent les héros mourants je disais souriant à mon ivresse austère je vis venir à moi les sages de la terre voici la liberté plus de sang plus de pleurs les peuples réveillés s’inclinent devant elle viens ô son jeune amant car voici l’immortelle … et j’accourus portant des palmes et des fleurs iii ô dieu leur liberté c’était un monstre immense se nommant vérité parce qu’il était nu balbutiant les cris de l’aveugle démence et l’aveu du vice ingénu la fable eût pu donner à ses fureurs impies l’ongle flétrissant des harpies et les mille bras d’ægéon la dépouille de rome ornait l’impure idole le vautour remplaçait l’aigle à son capitole l’enfer peuplait son panthéon le supplice hagard la torture écumante lui conduisaient la mort comme une heureuse amante le monstre aux pieds foulait tout un peuple innocent et les sages menteurs aux pompeuses doctrines soutenaient ses pas lourds quand parmi les ruines il chancelait ivre de sang mêlant les lois de sparte aux fêtes de sodome dans tous les attentats cherchant tous les fléaux par le néant de l’âme il croyait grandir l’homme et réveillait le vieux chaos pour frapper leur couronne osant frapper leur tête des rois perdus dans la tempête il brisait le trône avili et de l’éternité lui laissant quelque reste daignait à dieu muet dans son exil céleste offrir un échange d’oubli iv et les sages disaient gloire à notre sagesse voici les jours de rome et les temps de la grèce nations de vos rois brisez l’indigne frein liberté n’ayez plus de maîtres que vous même car nous tenons de toi notre pouvoir suprême sois donc heureux et libre ô peuple souverain … tyrans adulateurs caresses mensongères ô honte asie afrique où sont tous vos sultans que leurs sceptres sont doux et leurs chaînes légères près de ces bourreaux insultants rends gloire ô foule abjecte en tes fers assoupie au vil monstre d’éthiopie par un fer jaloux mutilé gloire aux muets cachés au harem du prophète gloire à l’esclave obscur qui leur livre sa tête du moins en silence immolé le sultan sous des murs de jaspe et de porphyre jetant à cent beautés un dédaigneux sourire foule la pourpre et l’or et l’ambre et le corail et de loin en passant le peuple peut connaître où sont les plaisirs de son maître à la tête qui pend aux portes du sérail peuple heureux éveillant la révolte hardie parmi ses toits troublés dans l’ombre bien souvent l’inquiet janissaire égare l’incendie sur l’aile bruyante du vent peuple heureux d’un vizir sa vie est le domaine un poison que la mort promène flétrit son rivage infecté l’esclavage le courbe au joug de l’épouvante peuple trois fois heureux divins sages qu’on vante il n’a pas votre liberté v ô france c’est au ciel qu’en nos jours de colère a fui la liberté mère des saints exploits il faut pour réfléchir cet astre tutélaire que pur dans tous ses flots le fleuve populaire coule à l’ombre du trône appuyé sur les lois un dieu du joug du mal a délivré le monde parmi les opprimés il vint prendre son rang rois — en vœux fraternels sa parole est féconde peuple — il fut pauvre humble et souffrant la liberté sourit à toutes les victimes à tous les dévouements sublimes sauveurs des états secourus à ses yeux la vendée est sœur des thermopyles et le même laurier dans les mêmes asiles unit malesherbe et codrus vi quand l’impie a porté l’outrage au sanctuaire tout fuit le temple en deuil de splendeur dépouillé mais le prêtre fidèle assis dans la poussière prodigue plus d’encens répand plus de prière courbe plus bas son front devant l’autel souillé 3 juillet 1823 ode septième la guerre d’espagne sine clade victor i oh que la royauté puissante et vénérable fille aux cheveux blanchis des âges révolus perçant de ses clartés leur nuit impénétrable où tant d’astres ne brillent plus soumettant l’aigle au cygne et l’autour aux colombes s’élevant de tombes en tombes géant que grandit son fardeau consacrant sur l’autel le fer dont elle est ceinte et mêlant les rayons de l’auréole sainte aux fleurons du royal bandeau oh que la royauté peuples est douce et belle — à force de bienfaits elle achète ses droits son bras fort quand bouillonne une foule rebelle couvre les sceptres d’une croix ce colosse d’airain de ses mains séculaires dans les nuages populaires lève un phare aux feux éclatants et liant au passé l’avenir qu’il féconde pose à la fois ses pieds en vain battus de l’onde sur les deux rivages du temps ii aussi que de malheurs suprêmes elle impose aux infortunés qui sous le joug des diadèmes courbèrent leurs fronts condamnés il faut que leur cœur soit sublime affrontant la foudre et l’abîme leur nef ne doit pas fuir l’écueil un roi digne de la couronne ne sait pas descendre du trône mais il sait descendre au cercueil il faut comme un soldat qu’un prince ait une épée il faut des factions quand l’astre impur a lui que nuit et jour bravant leur attente trompée un glaive veille auprès de lui ou que de son armée il se fasse un cortège que son fier palais se protège d’un camp au front étincelant car de la royauté la guerre est la compagne on ne peut te briser sceptre de charlemagne sans briser le fer de roland iii roland — n’est il pas vrai noble élu de la guerre que ton ombre éveillée aux cris de nos guerriers aux champs de roncevaux lorsqu’ils passaient naguère les prit pour d’anciens chevaliers car le héros assis sur sa tombe célèbre les voyait vers les bords de l’èbre déployant leur vol immortel du haut des monts pareils à l’aigle ouvrant ses ailes secouer pour chasser de nouveaux infidèles l’éclatant cimier de martel mais un autre héros encore pélage l’effroi des tyrans pélage autre vainqueur du maure dans les cieux saluait nos rangs au char où notre gloire brille il attelait de la castille le vieux lion fier et soumis répétant notre cri d’alarmes il mêlait sa lance à nos armes et sa voix nous disait amis iv des pas d’un conquérant l’espagne encor fumante pleurait prostituée à notre liberté entre les bras sanglants de l’effroyable amante sa royale virginité ce peuple altier chargé de despotes vulgaires maudissait épuisé de guerres le monstre en ses champs accouru si las des vils tribuns et des tyrans serviles que lui même appelait l’étranger dans ses villes sans frémir d’être secouru les français sont venus — du rhin jusqu’au bosphore peuples de l’aquilon du couchant du midi pourquoi vous dont le front que l’effroi trouble encore se courba sous leur pied hardi nations de la veille à leur chaîne échappées qu’on vit tomber sous leurs épées ou qui par eux avez vécu empires potentats cités royaumes princes pourquoi puissants états qui fûtes nos provinces me demander s’ils ont vaincu ils ont appris à l’anarchie ce que pèse le fer gaulois mais par eux l’espagne affranchie ne peut rougir de leurs exploits tous les peuples que dieu seconde quand l’hydre en désastre féconde tourne vers eux son triple dard ont ligués contre sa furie le temple pour même patrie la croix pour commun étendard v pourtant que désormais madrid taise à l’histoire des succès trop longtemps par son orgueil redits et le royal captif que l’ingrate victoire dans ses murs envoya jadis cadix nous a vengés de l’affront de pavie à l’ombre d’un héros ravie la gloire a rendu tous ses droits oubliant quel français a porté ses entraves la fière espagne a vu si les mains de nos braves savent briser les fers des rois préparez castillans des fêtes solennelles des murs de saragosse aux champs d’almonacid mêlez à nos lauriers vos palmes fraternelles chantez bayard — chantons le cid qu’au vieil escurial le vieux louvre réponde que votre drapeau se confonde à nos drapeaux victorieux que gadès édifie un auteur sur sa plage que de lui même aux monts d’où se leva pélage s’allume un feu mystérieux pour témoigner de leurs paroles où sont ces nouveaux décius le brasier attend les scévoles le gouffre attend les curtius quoi traînant leurs fronts dans la poudre tous de bourbon qui tient la foudre embrassent les sacrés genoux … — ah la victoire est généreuse leur cause inique est malheureuse ils sont vaincus ils sont absous vi un bourbon pour punir ne voudrait pas combattre le droit de son triomphe est toujours le pardon pourtant des factions que son bras vient d’abattre il éteint le dernier brandon oh de combien de maux peuples il vous délivre hélas à quels forfaits se livre le monstre à ses pieds frémissant nous qui l’avons vaincu nous fûmes sa conquête nous savons lorsque tombe une royale tête combien il en coule de sang ô nos guerriers venez vos mères sont contentes vos bras terreur du monde en deviennent l’appui assez on vit crouler de trônes sous vos tentes relevez les rois aujourd’hui dieu met sur votre char son arche glorieuse votre tente victorieuse est son tabernacle immortel des saintes légions votre étendard dispose il veut que votre casque à sa droite repose entre les vases de l’autel vii c’en est fait loin de l’espérance chassant le crime épouvanté les cieux commettent à la france la garde de la royauté son génie éclairant les trames luit comme la lampe aux sept flammes cachée aux temples du jourdain gardien des trônes qu’il relève son glaive est le céleste glaive qui flamboie aux portes d’éden novembre 1823 ode huitième à l’arc de triomphe de l’étoile non deficit alter virgile i la france a des palais des tombeaux des portiques de vieux châteaux tout pleins de bannières antiques héroïques joyaux conquis dans les dangers sa pieuse valeur prodigue en fiers exemples pour parer ces superbes temples dépouille les camps étrangers on voit dans ses cités de monuments peuplées rome et ses dieux memphis et ses noirs mausolées le lion de venise en leurs murs a dormi et quand pour embellir nos vastes babylones le bronze manque à ses colonnes elle en demande à l’ennemi lorsque luit aux combats son armure enflammée son oriflamme auguste et de lys parsemée chasse les escadrons ainsi que des troupeaux puis elle offre aux vaincus des dons après les guerres et comme des hochets vulgaires y mêle leurs propres drapeaux ii arc triomphal la foudre en terrassant ton maître semblait avoir frappé ton front encore à naître par nos exploits nouveaux te voilà relevé car on n’a pas voulu dans notre illustre armée qu’il fût de notre renommée un monument inachevé dis aux siècles le nom de leur chef magnanime qu’on lise sur ton front que nul laurier sublime à des glaives français ne peut se dérober lève toi jusqu’aux cieux portique de victoire que le géant de notre gloire puisse passer sans se courber novembre 1823 ode neuvième la mort de mlle de sombreuil sunt lacrymæ rerum virgile une femme mourut qui pratiquait l’aumône a guiraud l’aumône i lyre encore un hommage à la vertu qui t’aime assez tu dérobas des hymnes d’anathème au funèbre isaïe au triste ézéchiel pour consoler les morts pour pleurer les victimes lyre il faut de ces chants sublimes dont tous les échos sont au ciel elle aussi dieu l’a rappelée — les cieux nous enviaient sombreuil ils ont repris leur exilée nous tous bannis traînons le deuil répondez a t on vu son ombre s’évanouir dans la nuit sombre ou fuir vers le jour immortel la vit on monter ou descendre où déposerons nous sa cendre est ce à la tombe est ce à l’autel ne pleurez pas prions les saints l’ont réclamée prions adorez la vous qui l’avez aimée elle est avec ses sœurs anges purs et charmants ces vierges qui jadis sur la croix attachées ou comme au sein des fleurs sur des brasiers couchées s’endormirent dans les tourments sa vie était un pur mystère d’innocence et de saints remords cette âme a passé sur la terre entre les vivants et les morts souvent hélas l’infortunée comme si de sa destinée la mort eût rompu le lien sentit avec des terreurs vaines se glacer dans ses pâles veines un sang qui n’était pas le sien ii ô jour où le trépas perdit son privilège où rachetant un meurtre au prix d’un sacrilège le sang des morts coula dans son sein virginal entre l’impur breuvage et le fer parricide les bourreaux poursuivaient l’héroïne timide d’une insulte funèbre et d’un rire infernal son triomphe est dans son supplice elle a levant ses yeux au ciel bu le sang au même calice où jésus mourant but le fiel oh que d’amour dans ce courage … mais quand périrent dans l’orage ses parents que la france a plaints pour consoler l’auguste fille dieu lui confia sa famille et de veuves et d’orphelins iii car il lui fut donné de survivre au martyre — elle fut sur nos bords d’où la foi se retire comme un rayon du soir resté sur l’horizon dieu la marqua d’un signe entre toutes les femmes et voulut dans son champ où glanent si peu d’âmes laisser cet épi mûr de la sainte moisson elle était heureuse ici même du bras dont il venge ses droits le seigneur soutient ceux qu’il aime et les aide à porter la croix il montre en visions étranges à jacob l’échelle des anges à saül les antres d’endor sa main mystérieuse et sainte sait cacher le miel dans l’absinthe et la cendre dans les fruits d’or sa constante équité n’est jamais assoupie le méchant sous la pourpre où son bonheur s’expie envie un toit de chaume au fidèle abattu et quand l’impie heureux bercé sur des abîmes se crée un enfer de ses crimes le juste en pleurs se fait un ciel de sa vertu on dit qu’en dépouillant la vie elle parut la regretter et jeta des regards d’envie sur les fers qu’elle allait quitter  — ô mon dieu retardez mon heure loin de la vallée où l’on pleure suis je digne de m’envoler ce n’est pas la mort que j’implore seigneur je puis souffrir encore et je veux encor consoler je pars ayez pitié de ceux que j’abandonne quel amour leur rendra l’amour que je leur donne pourquoi du saint bonheur sitôt me couronner laissez mon âme encor sur leurs maux se répandre je n’aurai plus au ciel d’opprimés à défendre ni d’oppresseurs à pardonner il faut donc que le juste meure — en vain dans ses regrets nommés ont passé devant sa demeure tous ses pauvres accoutumés maintenant ô fils des chaumières payez son aumône en prières suivez la d’un pieux adieu orphelins veuves déplorables vous tous faibles et misérables images augustes de dieu iv ô dieu ne reprends pas ceux que ta flamme anime si la vertu s’en va que deviendra le crime où pourront du méchant se reposer les yeux n’enlève pas au monde un espoir salutaire laisse des justes sur la terre n’as tu donc pas seigneur assez d’anges aux cieux 1er 4 octobre 1823 ode dixième le dernier chant ô muse qui daignas me soutenir dans une carrière aussi longue que périlleuse retourne maintenant aux célestes demeures … adieu consolatrice de mes jours toi qui partageas mes plaisirs et bien plus souvent mes douleurs chateaubriand les martyrs et toi dépose aussi la lyre qu’importe le dieu qui t’inspire à ces mortels vains et grossiers on en rit quand ta main l’encense brise donc ce luth sans puissance descends de ce char sans coursiers — oh qu’il est saint et pur le transport du poëte quand il voit en espoir bravant la mort muette du voyage des temps sa gloire revenir sur les âges futurs de sa hauteur sublime il se penche écoutant son lointain souvenir et son nom comme un poids jeté dans un abîme éveille mille échos au fond de l’avenir je n’ai point cette auguste joie les siècles ne sont point ma proie la gloire ne dit pas mon rang ma muse en l’orage qui gronde est tombée au courant du monde comme un lys aux flots d’un torrent pourtant ma douce muse est innocente et belle l’astre de bethléem a des regards pour elle j’ai suivi l’humble étoile aux rois pasteurs pareil le seigneur m’a donné le don de sa parole car son peuple l’oublie en un lâche sommeil et soit que mon luth pleure ou menace ou console mes chants volent à dieu comme l’aigle au soleil mon âme à sa source embrasée monte de pensée en pensée ainsi du ruisseau précieux où l’arabe altéré s’abreuve la goutte d’eau passe au grand fleuve du fleuve aux mers des mers aux cieux mais ô fleurs sans parfums foyers sans étincelles hommes l’air parmi vous manque à mes larges ailes votre monde est borné votre souffle est mortel les lyres sont pour vous comme des voix vulgaires je m’enivre d’absinthe enivrez vous de miel bien aimez vos amours et guerroyez vos guerres vous dont l’œil mort se ferme à tout rayon du ciel sans éveiller d’écho sonore j’ai haussé ma voix faible encore et ma lyre aux fibres d’acier a passé sur ces âmes viles comme sur le pavé des villes l’ongle résonnant du coursier en vain j’ai fait gronder la vengeance éternelle en vain j’ai pour fléchir leur âme criminelle fait parler le pardon par la voix des douleurs du haut des cieux tonnants mon austère pensée sur cette terre ingrate où germent les malheurs tombant pluie orageuse ou propice rosée n’a point flétri l’ivraie et fécondé des fleurs du tombeau tout franchit la porte l’homme hélas que le temps emporte en vain contre lui se débat rien de dieu ne trompe l’attente et la vie est comme une tente où l’on dort avant le combat voilà tristes mortels ce que leur âme oublie l’urne des ans pour tous n’est pas toujours remplie mais qu’ils passent en paix sous le ciel outragé qu’ils jouissent des jours dans leurs frêles demeures quand dans l’éternité leur sort sera plongé les insensés en vain s’attacheront aux heures comme aux débris épars d’un vaisseau submergé adieu donc ce luth qui soupire muse ici tu n’as plus d’empire ô muse aux concerts immortels fuis la foule qui te contemple referme les voiles du temple rends leur ombre aux chastes autels je vous rapporte ô dieu le rameau d’espérance — voici le divin glaive et la céleste lance j’ai mal atteint le but où j’étais envoyé souvent des vents jaloux jouet involontaire l’aiglon suspend son vol à peine déployé souvent d’un trait de feu cherchant en vain la terre l’éclair remonte au ciel sans avoir foudroyé 1823 livre troisième 1824 1828 le temps qui dérobe à la jeunesse ses années m’en a déjà ravi vingt trois sur son aile mes jours s’écoulent à longs flots… mais quelle que soit mon intelligence étendue ou bornée précoce ou tardive elle sera toujours mesurée au but vers lequel m’entraîne le temps me guide le ciel car j’userai sans cesse de moi même sous l’œil de celui qui me donne ma tâche de mon divin créateur milton sonnets ode première à m alphonse de l or sachant ces choses nous venons enseigner aux hommes la crainte de dieu ii cor v i pourtant je m’étais dit abritons mon navire ne livrons plus ma voile au vent qui la déchire cachons ce luth mes chants peut être auraient vécu soyons comme un soldat qui revient sans murmure suspendre à son chevet un vain reste d’armure et s’endort vainqueur ou vaincu je ne demandais plus à la muse que j’aime qu’un seul chant pour ma mort solennel et suprême le poëte avec joie au tombeau doit s’offrir s’il ne souriait pas au moment où l’on pleure chacun lui dirait voici l’heure pourquoi ne pas chanter puisque tu vas mourir c’est que la mort n’est pas ce que la foule en pense c’est l’instant où notre âme obtient sa récompense où le fils exilé rentre au sein paternel quand nous penchons près d’elle une oreille inquiète la voix du trépassé que nous croyons muette a commencé l’hymne éternel ii plus tôt que je n’ai dû je reviens dans la lice mais tu le veux ami ta muse est ma complice ton bras m’a réveillé c’est toi qui m’as dit va dans la mêlée encor jetons ensemble un gage de plus en plus elle s’engage marchons et confessons le nom de jéhova j’unis donc à tes chants quelques chants téméraires prends ton luth immortel nous combattrons en frères pour les mêmes autels et les mêmes foyers montés au même char comme un couple homérique nous tiendrons pour lutter dans l’arène lyrique toi la lance moi les coursiers puis pour faire une part à la faiblesse humaine je ne sais quelle pente au combat me ramène j’ai besoin de revoir ce que j’ai combattu de jeter sur l’impie un dernier anathème de te dire à toi que je t’aime et de chanter encore un hymne à la vertu iii ah nous ne sommes plus au temps où le poëte parlait au ciel en prêtre à la terre en prophète que moïse isaïe apparaisse en nos champs les peuples qu’ils viendront juger punir absoudre dans leurs yeux pleins d’éclairs méconnaîtront la foudre qui tonne en éclats dans leurs chants vainement ils iront s’écriant dans les villes plus de rébellions plus de guerres civiles aux autels du veau d’or pourquoi danser toujours dagon va s’écrouler baal va disparaître le seigneur a dit à son prêtre pour faire pénitence ils n’ont que peu de jours rois peuples couvrez vous d’un sac souillé de cendre bientôt sur la nuée un juge doit descendre vous dormez que vos yeux daignent enfin s’ouvrir tyr appartient aux flots gomorrhe à l’incendie secouez le sommeil de votre âme engourdie et réveillez vous pour mourir ah malheur au puissant qui s’enivre en des fêtes riant de l’opprimé qui pleure et des prophètes ainsi que balthazar ignorant ses malheurs il ne voit pas aux murs de la salle bruyante les mots qu’une main flamboyante trace en lettres de feu parmi les nœuds de fleurs il sera rejeté comme ce noir génie effrayant par sa gloire et par son agonie qui tomba jeune encor dont ce siècle est rempli pourtant napoléon du monde était le faîte ses pieds éperonnés des rois pliaient la tête et leur tête gardait le pli malheur donc — malheur même au mendiant qui frappe hypocrite et jaloux aux portes du satrape à l’esclave en ses fers au maître en son château à qui voyant marcher l’innocent aux supplices entre deux meurtriers complices n’étend point sous ses pas son plus riche manteau malheur à qui dira ma mère est adultère à qui voile un cœur vil sous un langage austère à qui change en blasphème un serment effacé au flatteur médisant reptile à deux visages à qui s’annoncera sage entre tous les sages oui malheur à cet insensé peuples vous ignorez le dieu qui vous fit naître et pourtant vos regards le peuvent reconnaître dans vos biens dans vos maux à toute heure en tout lieu un dieu compte vos jours un dieu règne en vos fêtes lorsqu’un chef vous mène aux conquêtes le bras qui vous entraîne est poussé par un dieu à sa voix en vos temps de folie et de crime les révolutions ont ouvert leur abîme les justes ont versé tout leur sang précieux et les peuples troupeau qui dormait sous le glaive ont vu comme jacob dans un étrange rêve des anges remonter aux cieux frémissez donc bientôt annonçant sa venue le clairon de l’archange entr’ouvrira la nue jour d’éternels tourments jour d’éternel bonheur resplendissant d’éclairs de rayons d’auréoles dieu vous montrera vos idoles et vous demandera — qui donc est le seigneur la trompette sept fois sonnant dans les nuées poussera jusqu’à lui pâles exténuées les races à grands flots se heurtant dans la nuit jésus appellera sa mère virginale et la porte céleste et la porte infernale s’ouvriront ensemble avec bruit dieu vous dénombrera d’une voix solennelle les rois se courberont sous le vent de son aile chacun lui portera son espoir ses remords sous les mers sur les monts au fond des catacombes à travers le marbre des tombes son souffle remûra la poussière des morts ô siècle arrache toi de tes pensers frivoles l’air va bientôt manquer dans l’espace où tu voles mortels gloire plaisirs biens tout est vanité à quoi pensez vous donc vous qui dans vos demeures voulez voir en riant entrer toutes les heures … l’éternité l’éternité iv nos sages répondront que nous veulent ces hommes ils ne sont pas du monde et du temps dont nous sommes ces poëtes sont ils nés au sacré vallon où donc est leur olympe où donc est leur parnasse quel est leur dieu qui nous menace a t il le char de mars a t il l’arc d’apollon s’ils veulent emboucher le clairon de pindare n’ont ils pas hiéron la fille de tyndare castor pollux l’élide et les jeux des vieux temps l’arène où l’encens roule en longs flots de fumée la roue aux rayons d’or de clous d’airain semée et les quadriges éclatants pourquoi nous effrayer de clartés symboliques nous aimons qu’on nous charme en des chants bucoliques qu’on y fasse lutter ménalque et palémon pour dire l’avenir à notre âme débile on a l’écumante sibylle que bat à coups pressés l’aile d’un noir démon pourquoi dans nos plaisirs nous suivre comme une ombre pourquoi nous dévoiler dans sa nudité sombre l’affreux sépulcre ouvert devant nos pas tremblants anacréon chargé du poids des ans moroses pour songer à la mort se comparait aux roses qui mouraient sur ses cheveux blancs virgile n’a jamais laissé fuir de sa lyre des vers qu’à lycoris son gallus ne pût lire toujours l’hymne d’horace au sein des ris est né jamais il n’a versé de larmes immortelles la poussière des cascatelles seule a mouillé son luth de myrtes couronné v voilà de quels dédains leurs âmes satisfaites accueilleraient ami dieu même et ses prophètes et puis tu les verrais vainement irrité continuer joyeux quelque festin folâtre ou pour dormir aux sons d’une lyre idolâtre se tourner de l’autre côté mais qu’importe accomplis ta mission sacrée chante juge bénis ta bouche est inspirée le seigneur en passant t’a touché de sa main et pareil au rocher qu’avait frappé moïse pour la foule au désert assise la poésie en flots s’échappe de ton sein moi fussé je vaincu j’aimerai ta victoire tu le sais pour mon cœur ami de toute gloire les triomphes d’autrui ne sont pas un affront poëte j’eus toujours un chant pour les poëtes et jamais le laurier qui pare d’autres têtes ne jeta d’ombre sur mon front souris même à l’envie amère et discordante elle outrageait homère elle attaquait le dante sous l’arche triomphale elle insulte au guerrier il faut bien que ton nom dans ses cris retentisse le temps amène la justice laisse tomber l’orage et grandir ton laurier vi telle est la majesté de tes concerts suprêmes que tu sembles savoir comment les anges mêmes sur les harpes du ciel laissent errer leurs doigts on dirait que dieu même inspirant ton audace parfois dans le désert t’apparaît face à face et qu’il te parle avec la voix 17 octobre 1825 ode deuxième à m de chateaubriand on ne tourmente pas les arbres stériles et desséchés ceux là seulement sont battus de pierres dont le front est couronné de fruits d’or aben hamed i il est chateaubriand de glorieux navires qui veulent l’ouragan plutôt que les zéphires il est des astres rois des cieux étincelants mondes volcans jetés parmi les autres mondes qui volent dans les nuits profondes le front paré des feux qui dévorent leurs flancs le génie a partout des symboles sublimes ses plus chers favoris sont toujours des victimes et doivent aux revers l’éclat que nous aimons une vie éminente est sujette aux orages la foudre a des éclats le ciel a des nuages qui ne s’arrêtent qu’aux grands monts oui tout grand cœur a droit aux grandes infortunes aux âmes que le sort sauve des lois communes c’est un tribut d’honneur par la terre payé le grand homme en souffrant s’élève au rang des justes la gloire en ses trésors augustes n’a rien qui soit plus beau qu’un laurier foudroyé ii aussi dans une cour dis moi qu’allais tu faire n’es tu pas noble enfant d’une orageuse sphère que nul malheur n’étonne et ne trouve en défaut de ces amis des rois rares dans les tempêtes qui ne sachant flatter qu’au péril de leurs têtes les courtisent sur l’échafaud ce n’est pas lorsqu’un trône a retrouvé le faîte ce n’est pas dans les temps de puissance et de fête que la faveur des cours sur de tels fronts descend il faut l’onde en courroux l’écueil et la nuit sombre pour que le pilote qui sombre jette au phare sauveur un œil reconnaissant va c’est en vain déjà qu’aux cours de la conquête une main de géant a pesé sur ta tête et chaque fois qu’au gouffre entraînée à grands pas la tremblante patrie errait au gré du crime elle eut pour s’appuyer au penchant de l’abîme ton front qui ne se courbe pas iii à ton tour soutenu par la france unanime laisse donc s’accomplir ton destin magnanime chacun de tes revers pour ta gloire est compté quand le sort t’a frappé tu lui dois rendre grâce toi qu’on voit à chaque disgrâce tomber plus haut encor que tu n’étais monté 7 juin 1824 ode troisième les funérailles de louis xviii ces changements lui sont peu difficiles c’est l’œuvre de la droite du très haut ps lxxvi 10 il a permis ces choses afin que ce qu il y a de caché dans beaucoup de cœurs fût révélé luc ii 35 i la foule au seuil d’un temple en priant est venue mères enfants vieillards gémissent réunis et l’airain qu’on balance ébranle dans la nue les hauts clochers de saint denis le sépulcre est troublé dans ses mornes ténèbres la mort de ces couches funèbres resserre les rangs incomplets silence au noir séjour que le trépas protège — le roi chrétien suivi de son dernier cortège entre dans son dernier palais ii un autre avait dit — de ma race ce grand tombeau sera le port je veux aux rois que je remplace succéder jusque dans la mort ma dépouille ici doit descendre c’est pour faire place à ma cendre qu’on dépeupla ces noirs caveaux il faut un nouveau maître au monde à ce sépulcre que je fonde il faut des ossements nouveaux je promets ma poussière à ces voûtes funestes à cet insigne honneur ce temple a seul des droits car je veux que le ver qui rongera mes restes ait déjà dévoré des rois et lorsque mes neveux dans leur fortune altière domineront l’europe entière du kremlin à l’escurial ils viendront tour à tour dormir dans ces lieux sombres afin que je sommeille escorté de leurs ombres dans mon linceul impérial celui qui disait ces paroles croyait soldat audacieux voir en magnifiques symboles sa destinée écrite aux cieux dans ses étreintes foudroyantes son aigle aux serres flamboyantes eût étouffé l’aigle romain la victoire était sa compagne et le globe de charlemagne était trop léger pour sa main eh bien des potentats ce formidable maître dans l’espoir de sa mort par le ciel fut trompé de ses ambitions c’est la seule peut être dont le but lui soit échappé en vain tout secondait sa marche meurtrière en vain sa gloire incendiaire en tous lieux portait son flambeau tout chargé de faisceaux de sceptres de couronnes ce vaste ravisseur d’empires et de trônes ne put usurper un tombeau tombé sous la main qui châtie l’europe le fit prisonnier premier roi de sa dynastie il en fut aussi le dernier une île où grondent les tempêtes reçut ce géant des conquêtes tyran que nul n’osait juger vieux guerrier qui dans sa misère dut l’obole de bélisaire à la pitié de l’étranger loin du sacré tombeau qu’il s’arrangeait naguère c’est là que dépouillé du royal appareil il dort enveloppé de son manteau de guerre sans compagnon de son sommeil et tandis qu’il n’a plus de l’empire du monde qu’un noir rocher battu de l’onde qu’un vieux saule battu du vent un roi longtemps banni qui fit nos jours prospères descend au lit de mort où reposaient ses pères sous la garde du dieu vivant iii c’est au gré de l’humble qui prie le seigneur qui donne et reprend rend à l’exilé sa patrie livre à l’exil le conquérant dieu voulait qu’il mourût en france ce roi si grand dans la souffrance qui des douleurs portait le sceau pour que victime consolée du seuil noir de son mausolée il pût voir encor son berceau iv oh qu’il s’endorme en paix dans la nuit funéraire n’a t il pas oublié ses maux pour nos malheurs ne nous lègue t il pas à son généreux frère qui pleure en essuyant nos pleurs n’a t il pas dissipant nos rêves politiques de notre âge et des temps antiques proclamé l’auguste traité loi sage qui domptant la fougue populaire donne aux sujets égaux un maître tutélaire esclave de leur liberté sur nous un roi chevalier veille qu’il conserve l’aspect des cieux que nul bruit de longtemps n’éveille ce sépulcre silencieux hélas le démon régicide qui du sang des bourbons avide paya de meurtres leurs bienfaits a comblé d’assez de victimes ces murs dépeuplés par des crimes et repeuplés par des forfaits qu’il sache que jamais la couronne ne tombe ce haut sommet échappe à son fatal niveau le supplice où des rois le corps mortel succombe n’est pour eux qu’un sacre nouveau louis chargé de fers par des mains déloyales dépouillé des pompes royales sans cour sans guerriers sans hérauts gardant sa royauté devant la hache même jusque sur l’échafaud prouva son droit suprême en faisant grâce à ses bourreaux v de saint denis de sainte hélène ainsi je méditais le sort sondant d’une vue incertaine ces grands mystères de la mort qui donc êtes vous dieu superbe quel bras jette les tours sous l’herbe change la pourpre en vil lambeau d’où vient votre souffle terrible et quelle est la main invisible qui garde les clefs du tombeau septembre 1824 ode quatrième le sacre de charles x os superbum conticescat simplex fides acquiscat dei magisterio que l’orgueil se taise que la simple foi contemple l’exercice du pouvoir de dieu prose — prières du sacre i l’orgueil depuis trente ans est l’erreur de la terre c’est lui qui sous les droits étouffa le devoir c’est lui qui dépouilla de son divin mystère le sanctuaire du pouvoir l’orgueil enfanta seul nos fureurs téméraires et ces lois dont tant de nos frères ont subi l’arrêt criminel et ces règnes sanglants et ces hideuses fêtes où sur un échafaud se proclamant prophètes des bourreaux créaient l’éternel en vain pour dissiper cette ingrate folie les leçons du seigneur sur nous ont éclaté dans les faits merveilleux que notre siècle oublie en vain dieu s’est manifesté en vain un conquérant aux ailes enflammées a rempli du bruit des armées le monde en ses fers engourdi des peuples obstinés l’aveuglement vulgaire n’a point vu quelle main poussait ses chars de guerre du septentrion au midi ii qui jamais de clovis surpassa l’insolence peuples dans son orgueil il plaçait son appui ne mettant que le monde et lui dans la balance il crut qu’elle penchait sous lui il bravait de vingt rois les armes épuisées des nations s’étaient brisées sur ce sicambre audacieux sur la terre à ses yeux rien n’était redoutable il fallut pour courber cette tête indomptable qu’une colombe vînt des cieux peuples au même autel elle est redescendue elle vient échappée aux profanations comme elle a de clovis fléchi l’âme éperdue vaincre l’orgueil des nations que le siècle à son tour comme un roi s’humilie de la voix qui réconcilie l’oracle est enfin entendu la royauté longtemps veuve de ses couronnes de la chaîne d’airain qui lie au ciel les trônes a retrouvé l’anneau perdu iii naguère on avait vu les tyrans populaires attaquant le passé comme un vieil ennemi poursuivre sous l’abri des marbres séculaires le trésor gardé par remy du pontife endormi profanant le front pâle de sa tunique épiscopale ils déchirèrent les lambeaux car ils bravaient la mort dans sa majesté sainte et les vieillards souvent s’écriaient pleins de crainte — que leur ont donc fait les tombeaux mais trompant des vautours la fureur criminelle dieu garda sa colombe au lys abandonné elle va sur un roi poser encor son aile ce bonheur à charle est donné charles sera sacré suivant l’ancien usage comme salomon le roi sage qui goûta les célestes mets quand sadoch et nathan d’un baume l’arrosèrent et s’approchant de lui sur le front le baisèrent en disant qu’il vive à jamais iv le vieux pays des francs parmi ses métropoles compte une église illustre où venaient tous nos rois de ce pas triomphant dont tremblent les deux pôles s’humilier devant la croix le peuple en racontait cent prodiges antiques ce temple a des voûtes gothiques dont les saints aimaient les détours un séraphin veillait à ses portes fermées et les anges du ciel quand passaient leurs armées plantaient leurs drapeaux sur ses tours c’est là que pour la fête on dresse des trophées l’or la moire et l’azur parent les noirs piliers comme un de ces palais où voltigeaient les fées dans les rêves des chevaliers d’un trône et d’un autel les splendeurs s’y répondent des festons de flambeaux confondent leurs rayons purs dans le saint lieu le lys royal s’enlace aux arches tutélaires le soleil à travers les vitraux circulaires mêle aux fleurs des roses de feu v voici que le cortège à pas égaux s’avance le pontife aux guerriers demande charles dix l’autel de reims revoit l’oriflamme de france retrouvée aux murs de cadix les cloches dans les airs tonnent le canon gronde devant l’aîné des rois du monde tout un peuple tombe à genoux mille cris de triomphe en sons confus se brisent puis le roi se prosterne et les évêques disent — seigneur ayez pitié de nous celui qui vient en pompe à l’autel du dieu juste c’est l’héritier nouveau du vieux droit de clovis le chef des douze pairs que son appel auguste convoque en ces sacrés parvis ses preux quand de sa voix leur oreille est frappée touchent le pommeau de l’épée et l’ennemi pâlit d’effroi lorsque ses légions rentrent après la guerre leur marche pacifique ébranle encor la terre ô dieu prenez pitié du roi car vous êtes plus grand que la grandeur des hommes nous vous louons seigneur nous vous confessons dieu vous nous placez au faîte et dès que nous y sommes à la vie il faut dire adieu vous êtes sabaoth le dieu de la victoire les chérubins remplis de gloire vous ont proclamé saint trois fois dans votre éternité le temps se précipite vous tenez dans vos mains le monde qui palpite comme un passereau sous nos doigts vi le roi dit nous jurons comme ont juré nos pères de rendre à nos sujets paix amour équité d’aimer aux mauvais jours comme en des temps prospères la charte de leur liberté nous vivrons dans la foi par nos aïeux chérie des ordres de chevalerie nous suivrons le chemin étroit pour sauver l’opprimé nos pas seront agiles ainsi nous le jurons sur les saints évangiles que dieu soit en aide au bon droit montjoie et saint denis — voilà que clovis même se lève pour l’entendre et les deux saints guerriers charlemagne et louis portant pour diadème une auréole de lauriers et charles sept guidé par jeanne encor ravie et françois premier dont pavie trouva l’armure sans défaut et du dernier martyr l’héroïque fantôme ce roi deux fois sacré pour un double royaume à l’autel et sur l’échafaud devant ces grands témoins de la grandeur française le saint chrême de charle a rajeuni les droits il reçoit sans faiblir cette couronne où pèse la gloire de soixante rois l’archevêque bénit l’épée héréditaire et le sceptre et la main austère dont nul signe n’est démenti puis il plonge à leur tour dans le divin calice ces gants qu’un roi jamais n’a jetés dans la lice sans qu’un monde n’en ait retenti vii entre ô peuple — sonnez clairons tambours fanfare le prince est sur le trône il est grand et sacré sur la foule ondoyante il brille comme un phare des flots d’une mer entouré mille chantres des airs du peuple heureuse image mêlant leur voix et leur plumage croisent leur vol sous les arceaux car les francs nos aïeux croyaient voir dans la nue planer la liberté leur mère bien connue sur l’aile errante des oiseaux le voilà prêtre et roi — de ce titre sublime puisque le double éclat sur sa couronne a lui il faut qu’il sacrifie donc est la victime — la victime c’est encor lui ah pour les rois français qu’un sceptre est formidable ils guident ce peuple indomptable qui des peuples règle l’essor le monde entier gravite et penche sur leur trône mais aussi l’indigent que cherche leur aumône compte leurs jours comme un trésor viii prière ô dieu garde à jamais ce roi qu’un peuple adore romps de ses ennemis les flèches et les dards qu’ils viennent du couchant qu’ils viennent de l’aurore sur des coursiers ou sur des chars charles comme au sina t’a pu voir face à face du moins qu’un long bonheur efface ses bien longues adversités qu’ici bas des élus il ait l’habit de fête prête à son front royal deux rayons de ta tête mets deux anges à ses côtés reims mai juin 1825 ode cinquième au colonel g a gustaffson qu’importe … si notre nom prononcé dans la postérité va faire battre un cœur généreux deux mille ans après notre mort chateaubriand habet sua sidera tellus ancienne devise i ce siècle jeune encore est déjà pour l’histoire presque une éternité de malheurs et de gloire tous ceux qu’il a vus naître ont vieilli dans vingt ans il semble tant sa place est vaste en leur mémoire qu’il ne peut achever ses destins éclatants sans fermer avec lui le grand cercle des temps chez des peuples fameux en des jours qu’on renomme pour un siècle de gloire il suffisait d’un homme le nôtre a déjà vu passer bien des flambeaux il peut lutter sans crainte avec athène et rome que lui fait la grandeur des âges les plus beaux il les domine tous rien que par ses tombeaux à peine il était né que d’enghien sur la poudre mourut sous un arrêt que rien ne peut absoudre il vit périr moreau byron nouveau rhiga il vit des cieux vengés tomber avec sa foudre cet aigle dont le vol douze ans se fatigua du caire au capitole et du tage au volga — qu’importe dit la foule ah laissons les tempêtes naître grossir tonner sur ces sublimes têtes pourvu que chaque jour amène son festin que toujours le soleil rayonne pour nos fêtes et qu’on nous laisse en paix couler notre destin oublier jusqu’au soir dormir jusqu’au matin que le crime s’élève et que l’innocent tombe qu’importe — des héros sont morts paix à leur tombe et nous mêmes… qui sait si demain nous vivrons quand nous aurons atteint le terme où tout succombe nous dirons le temps passe et nous ignorerons quels vents ont amené l’orage sur nos fronts ii ce ne sont point là tes paroles toi dont nul n’a jamais douté toi qui sans relâche t’immoles au culte de la vérité victime et vengeur des victimes ton cœur aux dévouements sublimes s’offrit en tout temps en tout lieu toute ta vie est un exemple et ta grande âme est comme un temple d’où ne sort que la voix d’un dieu il suffit de ton témoignage pour que tout mortel incliné aille rendre un public hommage à ce qu’il avait profané ta bouche pareille au temps même n’a besoin que d’un mot suprême pour récompenser ou punir et parlant plus haut dans notre âge que la flatterie et l’outrage dicte l’histoire à l’avenir puisqu’il n’est plus d’autres miracles que les hommes nés parmi nous tu succèdes aux vieux oracles que l’on écoutait à genoux à ta voix qui juge les races nos demi dieux changent de places comme à des chants mystérieux quand la nuit déroulait ses voiles jadis on voyait les étoiles descendre ou monter dans les cieux pour mériter ce rang auguste aux vertus par le ciel offert qui plus que lui fut noble et juste et qui surtout a plus souffert cet homme a payé tant de gloire par des malheurs que la mémoire ne peut rappeler sans effroi c’est un enfant des scandinaves c’est gustave fils des gustaves c’est un exilé — c’est un roi iii il avait un ami dans ses fraîches années comme lui tout empreint du sceau des destinées c’est ce jeune d’enghien qui fut assassiné gustave à ce forfait se jeta sur ses armes mais quand il vit l’europe insensible à ses larmes calme et stoïque il dit pourquoi donc suis je né puisque du meurtrier les nations vassales courbent leurs fronts tremblants sous ses mains colossales puisque sa volonté des princes est la loi puisqu’il est le soleil qui domine leur sphère sur un trône aujourd’hui je n’ai plus rien à faire moi qui voudrais régner en roi il céda — dieu montrait par cet exemple insigne qu’il refuse parfois la victoire au plus digne que plus tard pour punir il apparaît soudain qu’il fait seul ici bas tomber ce qu’il élève et que pour balancer bonaparte et son glaive il fallait déjà plus que le sceptre d’odin gustave jeune encor quitta le diadème pour que rien ne manquât à sa grandeur suprême et tant que de l’europe en proie aux longs revers sous les pas du géant vacilla l’équilibre plus haut que tous les rois il leva son front libre échappé du trône et des fers iv combien d’un tel exil diffère le malheur du tyran banni lorsqu’au fond de l’autre hémisphère il tomba confus et puni quand sous la haine universelle l’usurpateur enfin chancelle dans sa chute il est insulté en vain il lutte opiniâtre et de sa pourpre de théâtre rien ne reste à sa nudité sa morne infortune est pareille à la mer aux bords détestés dont l’eau morte à jamais sommeille sur de fastueuses cités ce lac noir vengeur de leurs crimes du ciel qui maudit ses abîmes ne peut réfléchir les tableaux et l’œil cherche en vain quelque dôme de l’éblouissante sodome sous les ténèbres de ses flots gustave âme forte et loyale si parfois d’un bras raffermi tu reprends ta robe royale c’est pour couvrir quelque ennemi dans ta retraite que j’envie tu portes sur ta noble vie un souvenir calme et sans fiel reine comme toi sans asile la vertu que la terre exile dans ton grand cœur retrouve un ciel v ah laisse croître l’herbe en tes cours solitaires que t’importe au milieu de tes pensers austères qu’on n’ose de nos jours saluer un héros et que chez d’autres rois puissants heureux encore une foule de chars ébranle dès l’aurore les grands pavés de marbre et l’azur des vitraux tu règnes cependant tu règnes sur toute âme dont ce siècle glacé n’a pas éteint la flamme sur tout cœur né pour croire aimer et secourir sur tous ces chevaliers que tant d’oubli protège étranges courtisans dont le rare cortège n’accourt au seuil des rois qu’à l’heure d’y mourir en tous lieux où la foi l’honneur et le génie rendent un libre hommage à la vertu bannie ton nom règne entouré d’un éclat immortel par un beau dévouement toute vie animée toute gloire nouvelle en notre âge allumée est un flambeau de plus brûlant sur ton autel ni maître ni sujet — seul homme sur la terre qui d’un pouvoir humain ne soit pas tributaire dieu seul sur tes destins a de suprêmes droits et comme la comète aux clartés vagabondes marche libre à travers les soleils et les mondes tu passes à côté des peuples et des rois 30 septembre 1825 ode sixième les deux îles dites moi d’où il est venu je vous dirai où il est allé e h i il est deux îles dont un monde sépare les deux océans et qui de loin dominent l’onde comme des têtes de géants on devine en voyant leurs cimes que dieu les tira des abîmes pour un formidable dessein leur front de coups de foudre fume sur leurs flancs nus la mer écume des volcans grondent dans leur sein ces îles où le flot se broie entre des écueils décharnés sont comme deux vaisseaux de proie d’une ancre éternelle enchaînés la main qui de ces noirs rivages disposa les sites sauvages et d’effroi les voulut couvrir les fit si terribles peut être pour que bonaparte y pût naître et napoléon y mourir  — là fut son berceau — là sa tombe pour les siècles c’en est assez ces mots qu’un monde naisse ou tombe ne seront jamais effacés sur ces îles à l’aspect sombre viendront à l’appel de son ombre tous les peuples de l’avenir les foudres qui frappent leurs crêtes et leurs écueils et leurs tempêtes ne sont plus que son souvenir loin de nos rives ébranlées par les orages de son sort sur ces deux îles isolées dieu mit sa naissance et sa mort afin qu’il pût venir au monde sans qu’une secousse profonde annonçât son premier moment et que sur son lit militaire enfin sans remuer la terre il pût expirer doucement ii comme il était rêveur au matin de son âge comme il était pensif au terme du voyage c’est qu’il avait joui de son rêve insensé du trône et de la gloire il savait le mensonge il avait vu de près ce que c’est qu’un tel songe et quel est le néant d’un avenir passé enfant des visions dans la corse sa mère lui révélaient déjà sa couronne éphémère et l’aigle impérial planant sur son pavois il entendait d’avance en sa superbe attente l’hymne qu’en toute langue aux portes de sa tente son peuple universel chantait tout d’une voix iii acclamation gloire à napoléon gloire au maître suprême dieu même a sur son front posé le diadème du nil au borysthène il règne triomphant les rois fils de cent rois s’inclinent quand il passe et dans rome il ne voit d’espace que pour le trône d’un enfant pour porter son tonnerre aux villes effrayées ses aigles ont toujours les ailes déployées il régit le conclave il commande au divan il mêle à ses drapeaux de sang toujours humides des croissants pris aux pyramides et la croix d’or du grand ivan le mamelouk bronzé le goth plein de vaillance le polonais qui porte une flamme à sa lance prêtent leur force aveugle à ses ambitions ils ont son vœu pour loi pour foi sa renommée on voit marcher dans son armée tout un peuple de nations sa main s’il touche un but où son orgueil aspire fait à quelque soldat l’aumône d’un empire ou fait veiller des rois au seuil de son palais pour qu’il puisse en quittant les combats ou les fêtes dormir en paix dans ses conquêtes comme un pêcheur sur ses filets il a bâti si haut son aire impériale qu’il nous semble habiter cette sphère idéale où jamais on n’entend un orage éclater ce n’est plus qu’à ses pieds que gronde la tempête il faudrait pour frapper sa tête que la foudre pût remonter iv la foudre remonta — renversé de son aire il tomba tout fumant de cent coups de tonnerre les rois punirent leur tyran on l’exposa vivant sur un roc solitaire et le géant captif fut remis par la terre à la garde de l’océan oh comme à sainte hélène il dédaignait sa vie quand le soir il voyait avec un œil d’envie le soleil fuir sous l’horizon et qu’il s’égarait seul sur le sable des grèves jusqu’à ce qu’un anglais l’arrachant de ses rêves le ramenât dans sa prison comme avec désespoir ce prince de la guerre s’entendait accuser par tous ceux qui naguère divinisaient son bras vainqueur car des peuples ligués la clameur solennelle répondait à la voix implacable éternelle qui se lamentait dans son cœur v imprécation honte opprobre malheur anathème vengeance que la terre et les cieux frappent d’intelligence enfin nous avons vu le colosse crouler que puissent retomber sur ses jours sur sa cendre tous les pleurs qu’il a fait répandre tout le sang qu’il a fait couler qu’à son nom du volga du tibre de la seine des murs de l’alhambra des fossés de vincenne de jaffa du kremlin qu’il brûla sans remords des plaines du carnage et des champs de victoire tonne comme un écho de sa fatale gloire la malédiction des morts qu’il voie autour de lui se presser ses victimes que tout ce peuple en foule échappé des abîmes innombrable annonçant les secrets du cercueil mutilé par le fer sillonné par la foudre heurtant confusément des os noircis de poudre lui fasse un josaphat de sainte hélène en deuil qu’il vive pour mourir tous les jours à toute heure que le fier conquérant baisse les yeux et pleure sachant sa gloire à peine et riant de ses droits des geôliers ont chargé d’une chaîne glacée cette main qui s’était lassée à courber la tête des rois il crut que sa fortune en victoires féconde vaincrait le souvenir du peuple roi du monde mais dieu vient et d’un souffle éteint son noir flambeau et ne laisse au rival de l’éternelle rome que ce qu’il faut de place et de temps à tout homme pour se coucher dans le tombeau ces mers auront sa tombe et l’oubli la devance en vain à saint denis il fit parer d’avance un sépulcre de marbre et d’or étincelant le ciel n’a pas voulu que de royales ombres vissent en revenant pleurer sous ces murs sombres dormir dans leur tombeau son cadavre insolent vi qu’une coupe vidée est amère et qu’un rêve commencé dans l’ivresse avec terreur s’achève jeune on livre à l’espoir sa crédule raison mais on frémit plus tard quand l’âme est assouvie hélas et qu’on revoit sa vie de l’autre bord de l’horizon ainsi quand vous passez au pied d’un mont sublime longtemps en conquérant vous admirez sa cime et ses pics que jamais les ans n’humilieront ses forêts vert manteau qui pend aux rocs sauvages et ces couronnes de nuages qui s’amoncellent sur son front montez donc et tentez ces zones inconnues — vous croyiez fuir aux cieux… vous vous perdez aux nues le mont change à vos yeux d’aspect et de tableaux c’est un gouffre obscurci de sapins centenaires où les torrents et les tonnerres croisent des éclairs et des flots vii voilà l’image de la gloire d’abord un prisme éblouissant puis un miroir expiatoire où la pourpre paraît du sang tour à tour puissante asservie voilà quel double aspect sa vie offrit à ses âges divers il faut à son nom deux histoires jeune il inventait ses victoires vieux il méditait ses revers en corse à saint hélène encore dans les nuits d’hiver le nocher si quelque orageux météore brille au sommet d’un noir rocher croit voir le sombre capitaine projetant son ombre lointaine immobile croiser ses bras et dit que pour dernière fête il vient régner dans la tempête comme il régnait dans les combats viii s’il perdit un empire il aura deux patries de son seul souvenir illustres et flétries l’une aux mers d’annibal l’autre aux mers de vasco et jamais de ce siècle attestant la merveille on ne prononcera son nom sans qu’il n’éveille aux bouts du monde un double écho telles quand une bombe ardente meurtrière décrit dans un ciel noir sa courbe incendiaire se balance au dessus des murs épouvantés puis comme un vautour chauve à la serre cruelle qui frappe en s’abattant la terre de son aile tombe et fouille à grand bruit le pavé des cités longtemps après sa chute on voit fumer encore la bouche du mortier large noire et sonore d’où monta pour tomber le globe au vol pesant et la place où la bombe éclatée en mitrailles mourut en vomissant la mort de ses entrailles et s’éteignit en embrasant juillet 1825 ode septième à la colonne de la place vendôme parva magnis i ô monument vengeur trophée indélébile bronze qui tournoyant sur ta base immobile sembles porter au ciel ta gloire et ton néant et de tout ce qu’a fait une main colossale seul es resté debout — ruine triomphale de l’édifice du géant débris du grand empire et de la grande armée colonne d’où si haut parle la renommée je t’aime l’étranger t’admire avec effroi j’aime tes vieux héros sculptés par la victoire et tous ces fantômes de gloire qui se pressent autour de toi j’aime à voir sur tes flancs colonne étincelante revivre ces soldats qu’en leur onde sanglante ont roulés le danube et le rhin et le pô tu mets comme un guerrier le pied sur ta conquête j’aime ton piédestal d’armures et ta tête dont le panache est un drapeau au bronze de henri mon orgueil te marie j’aime à vous voir tous deux honneur de la patrie immortels dominant nos troubles passagers sortir signes jumeaux d’amour et de colère lui de l’épargne populaire toi des arsenaux étrangers que de fois tu le sais quand la nuit sous ses voiles fait fuir la blanche lune ou trembler les étoiles je viens triste évoquer tes fastes devant moi et d’un œil enflammé dévorant ton histoire prendre convive obscur ma part de tant de gloire comme un pâtre au banquet d’un roi que de fois j’ai cru voir ô colonne française ton airain ennemi rugir dans la fournaise que de fois ranimant tes combattants épars heurtant sur tes parois leurs armes dérouillées j’ai ressuscité ces mêlées qui t’assiègent de toutes parts jamais ô monument même ivres de leur nombre les étrangers sans peur n’ont passé sous ton ombre leurs pas n’ébranlent point ton bronze souverain quand le sort une fois les poussa vers nos rives ils n’osaient étaler leurs parades oisives devant tes batailles d’airain ii mais quoi n’entends je point avec de sourds murmures de ta base à ton front bruire les armures colonne il m’a semblé qu’éblouissant mes yeux tes bataillons cuivrés cherchaient à redescendre… que tes demi dieux noirs d’une héroïque cendre interrompaient soudain leur marche vers les cieux leur voix mêlait des noms à leur vieille devise tarente reggio dalmatie et trévise et leurs aigles sortant de leur puissant sommeil suivaient d’un bec ardent cette aigle à double tête dont l’œil ami de l’ombre où son essor s’arrête se baisse à leur regard comme aux feux du soleil qu’est ce donc — et pourquoi bronze envié de rome vois je tes légions frémir comme un seul homme quel impossible outrage à ta hauteur atteint qui donc a réveillé ces ombres immortelles ces aigles qui battant ta base de leurs ailes dans leur ongle captif pressent leur foudre éteint iii je comprends — l’étranger qui nous croit sans mémoire veut feuillet par feuillet déchirer notre histoire écrite avec du sang à la pointe du fer — ose t il imprudent heurter tant de trophées de ce bronze forgé de foudres étouffées chaque étincelle est un éclair est ce napoléon qu’il frappe en notre armée veut il de cette gloire en tant de lieux semée disputer l’héritage à nos vieux généraux pour un fardeau pareil il a la main débile l’empire d’alexandre et les armes d’achille ne se partagent qu’aux héros mais non l’autrichien dans sa fierté qu’il dompte est content si leurs noms ne disent que sa honte il fait de sa défaite un titre à nos guerriers et craignant des vainqueurs moins que des feudataires il pardonne aux fleurons de nos ducs militaires si ce ne sont que des lauriers bronze il n’a donc jamais fier pour une victoire subi de tes splendeurs l’aspect expiatoire d’où vient tant de courage à cet audacieux croit il impunément toucher à nos annales et comment donc lit il ces pages triomphales que tu déroules dans les cieux est ce un langage obscur à ses regards timides eh qu’il s’en fasse instruire au pied des pyramides à vienne au vieux kremlin au morne escurial qu’il en parle à ces rois cour dorée et nombreuse qui naguère peuplait d’une tente poudreuse le vestibule impérial iv à quoi pense t il donc l’étranger qui nous brave n’avions nous pas hier l’europe pour esclave nous subir de son joug l’indigne talion non au champ du combat nous pouvons reparaître on nous a mutilés mais le temps a peut être fait croître l’ongle du lion de quel droit viennent ils découronner nos gloires les bourbons ont toujours adopté des victoires nos rois t’ont défendu d’un ennemi tremblant ô trophée à leurs pieds tes palmes se déposent et si tes quatre aigles reposent c’est à l’ombre du drapeau blanc quoi le globe est ému de volcans électriques derrière l’océan grondent les amériques stamboul rugit hellé remonte aux jours anciens lisbonne se débat aux mains de l’angleterre… seul le vieux peuple franc s’indigne que la terre tremble à d’autres pas que les siens prenez garde étrangers — nous ne savons que faire la paix nous berce en vain dans son oisive sphère l’arène de la guerre a pour nous tant d’attrait nous froissons dans nos mains hélas inoccupées des lyres à défaut d’épées nous chantons comme on combattrait prenez garde — la france où grandit un autre âge n’est pas si morte encor qu’elle souffre un outrage les partis pour un temps voileront leur tableau contre une injure ici tout s’unit tout se lève tout s’arme et la vendée aiguisera son glaive sur la pierre de waterloo vous dérobez des noms — quoi donc faut il qu’on aille lever sur tous vos champs des titres de bataille faut il quittant ces noms par la valeur trouvés pour nos gloires chez vous chercher d’autres baptêmes sur l’airain de vos canons mêmes ne sont ils point assez gravés l’étranger briserait le blason de la france on verrait enhardi par notre indifférence sur nos fiers écussons tomber son vil marteau ah comme ce romain qui remuait la terre vous portez ô français et la paix et la guerre dans le pli de votre manteau votre aile en un moment touche à sa fantaisie l’afrique par cadix et par moscou l’asie vous chassez en courant anglais russes germains les tours croulent devant vos trompettes fatales et de toutes les capitales vos drapeaux savent les chemins quand leur destin se pèse avec vos destinées toutes les nations s’inclinent détrônées la gloire pour vos noms n’a point assez de bruit sans cesse autour de vous les états se déplacent quand votre astre paraît tous les autres s’effacent quand vous marchez l’univers suit que l’autriche en rampant de nœuds vous environne les deux géants de france ont foulé sa couronne l’histoire qui des temps ouvre le panthéon montre empreints aux deux fronts du vautour d’allemagne la sandale de charlemagne l’éperon de napoléon allez — vous n’avez plus l’aigle qui de son aire sur tous les fronts trop hauts portait votre tonnerre mais il vous reste encor l’oriflamme et les lys mais c’est le coq gaulois qui réveille le monde et son cri peut promettre à votre nuit profonde l’aube du soleil d’austerlitz v c’est moi qui me tairais moi qu’enivrait naguère mon nom saxon mêlé parmi des cris de guerre moi qui suivais le vol d’un drapeau triomphant qui joignant aux clairons ma voix entrecoupée eus pour premier hochet le nœud d’or d’une épée moi qui fus un soldat quand j’étais un enfant non frères non français de cet âge d’attente nous avons tous grandi sur le seuil de la tente condamnés à la paix aiglons bannis des cieux sachons du moins veillant aux gloires paternelles garder de tout affront jalouses sentinelles les armures de nos aïeux février 1827 ode huitième fin ubi defuit orbis i ainsi d’un peuple entier je feuilletais l’histoire livre fatal de deuil de grandeur de victoire et je sentais frémir mon luth contemporain chaque fois que passait un grand nom un grand crime et que l’une sur l’autre avec un bruit sublime retombaient les pages d’airain fermons le maintenant ce livre formidable cessons d’interroger ce sphinx inabordable qui le garde en silence à la fois monstre et dieu l’énigme qu’il propose échappe à bien des lyres il n’en écrit le mot sur le front des empires qu’en lettres de sang et de feu ii ne cherchons pas ce mot — alors pourquoi poëte ne t’endormais tu pas sur ta lyre muette pourquoi la mettre au jour et la prostituer pourquoi ton chant sinistre et ta voix insensée … — c’est qu’il fallait à ma pensée tout un grand peuple à remuer des révolutions j’ouvrais le gouffre immonde c’est qu’il faut un chaos à qui veut faire un monde c’est qu’une grande voix dans ma nuit m’a parlé c’est qu’enfin je voulais menant au but la foule avec le siècle qui s’écoule confronter le siècle écoulé le génie a besoin d’un peuple que sa flamme anime éclaire échauffe embrase comme une âme il lui faut tout un monde à régir en tyran dès qu’il a pris son vol du haut de la falaise pour que l’ouragan soit à l’aise il n’a pas trop de l’océan c’est là qu’il peut ouvrir ses ailes là qu’il gronde sur un abîme large et sur une eau profonde c’est là qu’il peut bondir géant capricieux et tournoyer debout dans l’orage qui tombe d’un pied s’appuyant sur la trombe et d’un bras soutenant les cieux 26 mai 1828 livre quatrième 1819 1827 spiritus flat ubi vult ode première le poëte muse contemple ta victime lamartine l’enthousiasme ah ceux que ravissent ses chants sont loin de croire à l’amertume qui ronge son cœur th moore mélodies irlandaises i qu’il passe en paix au sein d’un monde qui l’ignore l’auguste infortuné que son âme dévore respectez ses nobles malheurs fuyez ô plaisirs vains son existence austère sa palme qui grandit jalouse et solitaire ne peut croître parmi vos fleurs il souffre assez de maux sans y joindre vos joies chaque pas qui l’enfonce en de sublimes voies par une douleur est compté il pleure sa jeunesse avant l’âge envolée sa vie humble roseau qui se courbe accablée du poids de l’immortalité il pleure ô belle enfance et ta grâce et tes charmes et ton rire innocent et tes naïves larmes ton bonheur doux et turbulent et loin des vastes cieux l’aile que tu reposes et dans les jeux bruyants ta couronne de roses que flétrirait son front brûlant il accuse et son siècle et ses chants et sa lyre et la coupe enivrante où trompant son délire la gloire verse tant de fiel et ses vœux poursuivant des promesses funestes et son cœur et la muse et tous ces dons célestes hélas qui ne sont pas le ciel ii ah si du moins couché sur le char de la vie l’hymne de son triomphe et les cris de l’envie passaient sans troubler son sommeil s’il pouvait dans l’oubli préparer sa mémoire ou voilé de rayons se cacher dans sa gloire comme un ange dans le soleil mais sans cesse il faut suivre en la commune arène le flot qui le repousse et le flot qui l’entraîne les hommes troublent son chemin sa voix grave se perd dans leurs vaines paroles et leur fol orgueil mêle à leurs jouets frivoles le sceptre qui pèse à sa main pourquoi traîner ce roi si loin de ses royaumes qu’importe à ce géant un cortège d’atomes fils du monde c’est vous qu’il fuit que fait à l’immortel votre éphémère empire sans les chants de sa voix sans les sons de sa lyre n’avez vous point assez de bruit iii laissez le dans son ombre où descend la lumière — savez vous qu’une muse épurant sa poussière y charme en secret ses ennuis et que laissant pour lui les éternelles fêtes la colombe du christ et l’aigle des prophètes souvent y visitent ses nuits sa veille redoutable en ses visions saintes voit les soleils naissants et les sphères éteintes passer en foule au fond du ciel et suivant dans l’espace un chœur brûlant d’archanges cherche aux mondes lointains quelles formes étranges y revêt l’être universel savez vous que ses yeux ont des regards de flamme savez vous que le voile étendu sur son âme ne se lève jamais en vain de lumière dorée et de flammes rougie son aile en un instant de l’infernale orgie peut monter au banquet divin laissez donc loin de vous ô mortels téméraires celui que le seigneur marqua parmi ses frères de ce signe funeste et beau et dont l’œil entrevoit plus de mystères sombres que les morts effrayés n’en lisent dans les ombres sous la pierre de leur tombeau iv un jour vient dans sa vie où la muse elle même d’un sacerdoce auguste armant son luth suprême l’envoie au monde ivre de sang afin que nous sauvant de notre propre audace il apporte d’en haut à l’homme qui menace la prière du tout puissant un formidable esprit descend dans sa pensée il paraît et soudain en éclairs élancée sa parole luit comme un feu les peuples prosternés en foule l’environnent sina mystérieux les foudres le couronnent et son front porte tout un dieu août 1823 à m alph de l ode deuxième la lyre et la harpe alternis dicetis amant alterna camœnæ virgile et cæpit loqui prout spiritus sanctus dabat eloqui act apost la lyre dors ô fils d’apollon ses lauriers te couronnent dors en paix les neuf sœurs t’adorent comme un roi de leurs chœurs nébuleux les songes t’environnent la lyre chante auprès de toi la harpe éveille toi jeune homme enfant de la misère un rêve ferme au jour tes regards obscurcis et pendant ton sommeil un indigent ton frère à ta porte en vain s’est assis la lyre ton jeune âge est cher à la gloire enfant la muse ouvrit tes yeux et d’une immortelle mémoire couronna ton nom radieux en vain saturne te menace va l’olympe est né du parnasse les poëtes ont fait les dieux la harpe homme une femme fut ta mère elle a pleuré sur ton berceau souffre donc ta vie éphémère brille et tremble ainsi qu’un flambeau dieu ton maître a d’un signe austère tracé ton chemin sur la terre et marqué ta place au tombeau la lyre chante jupiter règne et l’univers l’implore vénus embrase mars d’un souris gracieux iris brille dans l’air dans les champs brille flore chante les immortels du couchant à l’aurore en trois pas parcourent les cieux la harpe prie il n’est qu’un vrai dieu juste dans sa clémence par la fuite des temps sans cesse rajeuni tout s’achève dans lui par lui tout recommence son être emplit le monde ainsi qu’une âme immense l’éternel vit dans l’infini la lyre ta douce muse à fuir t’invite cherche un abri calme et serein les mortels que le sage évite subissent le siècle d’airain viens près de tes lares tranquilles tu verras de loin dans les villes mugir la discorde aux cent voix qu’importe à l’heureux solitaire que l’autan dévaste la terre s’il ne fait qu’agiter ses bois la harpe dieu par qui tout forfait s’expie marche avec celui qui le sert apparais dans la foule impie tel que jean qui vint du désert va donc parle aux peuples du monde dis leur la tempête qui gronde révèle le juge irrité et pour mieux frapper leur oreille que ta voix s’élève pareille à la rumeur d’une cité la lyre l’aigle est l’oiseau du dieu qu’avant tous on adore du caucase à l’athos l’aigle planant dans l’air roi du feu qui féconde et du feu qui dévore contemple le soleil et vole sur l’éclair la harpe la colombe descend du ciel qui la salue et voilant l’esprit saint sous son regard de feu chère au vieillard choisi comme à la vierge élue porte un rameau dans l’arche annonce au monde un dieu la lyre aime éros règne à gnide à l’olympe au tartare son flambeau de sestos allume le doux phare il consume ilion par la main de pâris toi fuis de belle en belle et change avec leurs charmes l’amour n’enfante que des larmes les amours sont frères des ris la harpe l’amour divin défend de la haine infernale cherche pour ton cœur pur une âme virginale chéris la jéhovah chérissait israël deux êtres que dans l’ombre unit un saint mystère passent en s’aimant sur la terre comme deux exilés du ciel la lyre jouis c’est au fleuve des ombres que va le fleuve des vivants le sage s’il a des jours sombres les laisse aux dieux les jette aux vents enfin comme un pâle convive quand la mort imprévue arrive de sa couche il lui tend la main et riant de ce qu’il ignore s’endort dans la nuit sans aurore en rêvant un doux lendemain la harpe soutiens ton frère qui chancelle pleure si tu le vois souffrir veille avec soin prie avec zèle vis en songeant qu’il faut mourir le pécheur croit lorsqu’il succombe que le néant est dans la tombe comme il est dans la volupté mais quand l’ange impur le réclame il s’épouvante d’être une âme et frémit de l’éternité le poëte écoutait à peine à son aurore ces deux lointaines voix qui descendaient du ciel et plus tard il osa parfois bien faible encore dire à l’écho du pinde un hymne du carmel avril 1822 ode troisième moïse sur le nil en ce même temps la fille de pharaon vint au fleuve pour se baigner accompagnée de ses filles qui marchaient le long du bord de l’eau exode mes sœurs l’onde est plus fraîche aux premiers feux du jour venez le moissonneur repose en son séjour la rive est solitaire encore memphis élève à peine un murmure confus et nos chastes plaisirs sous ces bosquets touffus n’ont d’autre témoin que l’aurore au palais de mon père on voit briller les arts mais ces bords pleins de fleurs charment plus mes regards qu’un bassin d’or ou de porphyre ces chants aériens sont mes concerts chéris je préfère aux parfums qu’on brûle en nos lambris le souffle embaumé du zéphire venez l’onde est si calme et le ciel est si pur laissez sur ces buissons flotter les plis d’azur de vos ceintures transparentes détachez ma couronne et ces voiles jaloux car je veux aujourd’hui folâtrer avec vous au sein des vagues murmurantes hâtons nous… mais parmi les brouillards du matin que vois je — regardez à l’horizon lointain… ne craignez rien filles timides c’est sans doute par l’onde entraîné vers les mers le tronc d’un vieux palmier qui du fond des déserts vient visiter les pyramides que dis je si j’en crois mes regards indécis c’est la barque d’hermès ou la conque d’isis que pousse une brise légère mais non c’est un esquif où dans un doux repos j’aperçois un enfant qui dort au sein des flots comme on dort au sein de sa mère il sommeille et de loin à voir son lit flottant on croirait voir voguer sur le fleuve inconstant le nid d’une blanche colombe dans sa couche enfantine il erre au gré du vent l’eau le balance il dort et le gouffre mouvant semble le bercer dans sa tombe il s’éveille accourez ô vierges de memphis il crie… ah quelle mère a pu livrer son fils au caprice des flots mobiles il tend les bras les eaux grondent de toute part hélas contre la mort il n’a d’autre rempart qu’un berceau de roseaux fragiles sauvons le… — c’est peut être un enfant d’israël mon père les proscrit mon père est bien cruel de proscrire ainsi l’innocence faible enfant ses malheurs ont ému mon amour je veux être sa mère il me devra le jour s’il ne me doit pas la naissance ainsi parlait iphis l’espoir d’un roi puissant alors qu’aux bords du nil son cortège innocent suivait sa course vagabonde et ces jeunes beautés qu’elle effaçait encor quand la fille des rois quittait ses voiles d’or croyaient voir la fille de l’onde sous ses pieds délicats déjà le flot frémit tremblante la pitié vers l’enfant qui gémit la guide en sa marche craintive elle a saisi l’esquif fière de ce doux poids l’orgueil sur son beau front pour la première fois se mêle à la pudeur naïve bientôt divisant l’onde et brisant les roseaux elle apporte à pas lents l’enfant sauvé des eaux sur le bord de l’arène humide et ses sœurs tour à tour au front du nouveau né offrant leur doux sourire à son œil étonné déposaient un baiser timide accours toi qui de loin dans un doute cruel suivais des yeux ton fils sur qui veillait le ciel viens ici comme une étrangère ne crains rien en pressant moïse entre tes bras tes pleurs et tes transports ne te trahiront pas car iphis n’est pas encor mère alors tandis qu’heureuse et d’un pas triomphant la vierge au roi farouche amenait l’humble enfant baigné des larmes maternelles on entendait en chœur dans les cieux étoilés des anges devant dieu de leurs ailes voilés chanter les lyres éternelles ne gémis plus jacob sur la terre d’exil ne mêle plus tes pleurs aux flots impurs du nil le jourdain va t’ouvrir ses rives le jour enfin approche où vers les champs promis gessen verra s’enfuir malgré leurs ennemis les tribus si longtemps captives sous les traits d’un enfant délaissé sur les flots c’est l’élu du sina c’est le roi des fléaux qu’une vierge sauve de l’onde mortels vous dont l’orgueil méconnaît l’éternel fléchissez un berceau va sauver israël un berceau doit sauver le monde février 1820 ode quatrième le dévouement in urbe omne mortalium genus vis pestilentiæ depopulabatur nulla cœli intemperies quæ occurreret oculis sed domus corporibus exanimis itinera funeribus complebantur non sexus non ætas periculo vacua tacite dans la ville la peste dévorait tout ce qui meurt aucun nuage dans le ciel ne s’offrait aux yeux mais les maisons étaient pleines de corps sans vie les voies de funérailles ni le sexe ni l’âge n’étaient exempts du péril i je rends grâce au seigneur il m’a donné la vie la vie est chère à l’homme entre les dons du ciel nous bénissons toujours le dieu qui nous convie au banquet d’absinthe et de miel un nœud de fleurs se mêle aux fers qui nous enlacent pour vieillir parmi ceux qui passent tout homme est content de souffrir l’éclat du jour nous plaît l’air des cieux nous enivre je rends grâce au seigneur — c’est le bonheur de vivre qui fait la gloire de mourir malheureux le mortel qui meurt triste victime sans qu’un frère sauvé vive par son trépas sans refermer sur lui comme un romain sublime le gouffre où se perdent ses pas infortuné le peuple en proie à l’anathème qui voit se consumant lui même périr son nom et son orgueil sans que toute la terre à sa chute s’incline sans qu’un beau souvenir reste sur sa ruine comme un flambeau sur un cercueil ii quand dieu las de forfaits se lève en sa colère il suscite un fléau formidable aux cités qui laisse après sa fuite un effroi séculaire aux murs longtemps inhabités d’un vil germe ignoré des peuples en démence un géant pâle un spectre immense sort et grandit au milieu d’eux et la ville veut fuir mais le monstre fidèle comme un horrible époux la couvre de son aile et l’étreint de ses bras hideux le peuple en foule alors sous le mal qui fermente tombe ainsi qu’en nos champs la neige aux blancs flocons tout succombe et partout la mort qui s’alimente renaît des cadavres féconds le monstre l’une à l’autre enchaîne ses victimes il les traîne aux mêmes abîmes il se repaît de leurs lambeaux et parmi les bûchers le deuil et les décombres les vivants sans abris tels que d’impures ombres errent loin des morts sans tombeaux quand le cirque s’ouvrait aux jours des funérailles tous les romains en paix par leurs licteurs couverts voyaient de loin lutter les captifs des batailles livrés aux tigres des déserts ainsi dans leur effroi les nations s’assemblent un long cri monte aux cieux qui tremblent au loin de mers en mers porté le monde armé craignant l’hydre aux ailes rapides garde sous leur fléau ces mourants homicides et les menace épouvanté iii alors n’est il pas vrai sybarites des villes que les jeux sont plus doux et les plaisirs meilleurs lorsqu’un mal plus affreux que les haines civiles sème en d’autres murs les douleurs loin des couches de feu qu’infecte un germe immonde qu’avec charme l’enfant du monde sur un lit parfumé s’endort et qu’on savoure mieux l’air natal de la vie quand tout un peuple en deuil qui pleure et nous envie respire ailleurs un vent de mort chacun reste absorbé dans un cercle éphémère la mère embrasse en paix l’enfant qui lui sourit sans s’informer des lieux où le sein d’une mère est mortel au fils qu’il nourrit quelque pitié vulgaire au fond des cœurs s’éveille entre les fêtes de la veille et les fêtes du lendemain car tels sont les humains plaindre les importune ils passent à côté d’une grande infortune sans s’arrêter sur le chemin iv quelques hommes pourtant qu’un feu secret anime se lèvent de la foule et chacun dans leurs yeux cherche quel beau destin quel avenir sublime rayonne sur leurs fronts joyeux — un triomphe éclatant peut être les réclame quel espoir enivre leur âme quel bien quel trésor quel honneur … — ainsi toujours hélas dans ce monde stérile si la vertu paraît à son aspect tranquille nous la prenons pour le bonheur ô peuples ces mortels qu’un dieu guide et seconde vont d’un pas assuré d’un regard radieux combattre le fléau devant qui fuit le monde adressez leur vos longs adieux et vous ô leurs parents leurs épouses leurs mères contenez vos larmes amères laissez les victimes s’offrir ne les poursuivez pas de plaintes téméraires devaient ils préférer aucun d’entre leurs frères à ceux pour qui l’on peut mourir bientôt s’ouvre pour eux la cité solitaire mille spectres vivants les appellent en pleurs surpris qu’il soit encore un mortel sur la terre qui vienne au cri de leurs douleurs ils parlent et déjà leur voix rassure et guide ces peuples qu’un fléau livide pousse au tombeau d’un bras de fer et le monstre attaqué dans les murs qu’il opprime frémit comme satan quand sauveur et victime un dieu parut dans son enfer ils contemplent de près l’hydre non assouvie pour ravir ses secrets résignés à leur sort leur art audacieux lui dispute la vie ou l’interroge dans la mort quand leurs secours sont vains leur prière console le mourant croit à leur parole que le ciel ne peut démentir et si le trépas même enfin frappe leur tête de l’apôtre serein l’humble voix ne s’arrête qu’au dernier souffle du martyr v ô mortels trop heureux qui pourrait vous atteindre vous qui domptez la mort en affrontant ses coups lorsqu’en vous admirant la foule ose vous plaindre je vous suis de mes pleurs jaloux infortuné jamais victime volontaire je n’irai pour sauver la terre braver un fléau dévorant ni calmant par mes soins ses douleurs meurtrières mêler ma plainte amie et mes saintes prières aux soupirs impurs d’un mourant hélas ne puis je aussi m’immoler pour mes frères n’est il plus d’opprimés n’est il plus de bourreaux sur quel noble échafaud dans quels murs funéraires chercher le trépas des héros oui que brisant mon corps la torture sanglante sur la croix à ma soif brûlante offre le breuvage de fiel fier et content seigneur je dirai vos louanges car l’ange du martyre est le plus beau des anges qui portent les âmes au ciel décembre 1821 ode cinquième à l’académie des jeux floraux at mihi jam puero cœlestia sacra placebant inque suum furtim musa trahebat opus ovide vous dont le poétique empire s’étend des bords du rhône aux rives de l’adour vous dont l’art tout puissant n’est qu’un joyeux délire rois des combats du chant rois des jeux de la lyre ô maîtres du savoir d’amour aussi belle qu’à sa naissance votre muse se rit des ans et des douleurs le temps semble en passant respecter son enfance et la gloire à ses yeux se voilant d’innocence cache ses lauriers sous des fleurs salut — enfant j’ai pour ma mère cueilli quelques rameaux dans vos sacrés bosquets votre main s’est offerte à ma main téméraire étranger vous m’avez accueilli comme un frère et fait asseoir dans vos banquets parmi les juges de l’arène l’athlète fut admis vainqueur bien faible encor jamais pourtant errant sur les monts de pyrène il n’avait réveillé de belle suzeraine aux sons hospitalier du cor d’une fée aux lointaines sphères jamais il n’avait dit les magiques jardins ni le soir pour charmer des dames peu sévères conté près du foyer les exploits des trouvères et les amours des paladins d’autres d’une voix immortelle vous peindront d’heureux jours en de joyeux accords moi la douleur m’éprouve et mes chants viennent d’elle je souffre et je console et ma muse fidèle se souvient de ceux qui sont morts mai 1822 à m de chateaubriand ode sixième le génie va d’un pas ferme au capitole le tasse ode les circonstances ne forment pas les hommes elles les montrent elles dévoilent pour ainsi dire la royauté du génie dernière ressource des peuples éteints ces rois qui n’en ont pas le nom mais qui règnent véritablement par la force du caractère et la grandeur des pensées sont élus par les événements auxquels ils doivent commander sans ancêtres et sans postérité seuls de leur race leur mission remplie ils disparaissent en laissant à l’avenir des ordres qu’il exécutera fidèlement f de la mennais i malheur à l’enfant de la terre qui dans ce monde injuste et vain porte en son âme solitaire un rayon de l’esprit divin malheur à lui l’impure envie s’acharne sur sa noble vie semblable au vautour éternel et de son triomphe irritée punit ce nouveau prométhée d’avoir ravi le feu du ciel la gloire fantôme céleste apparaît de loin à ses yeux il subit le pouvoir funeste de son sourire impérieux ainsi l’oiseau faible et timide veut en vain fuir l’hydre perfide dont l’œil le charme et le poursuit il voltige de cime en cime puis il accourt et meurt victime du doux regard qui l’a séduit ou s’il voit luire enfin l’aurore du jour promis à ses efforts vivant si son front se décore du laurier qui croît pour les morts l’erreur l’ignorance hautaine l’injure impunie et la haine usent les jours de l’immortel du malheur imposant exemple la gloire l’admet dans son temple pour l’immoler sur son autel ii pourtant fallût il être en proie à l’injustice à la douleur qui n’accepterait avec joie le génie au prix du malheur quel mortel sentant dans son âme s’éveiller la céleste flamme que le temps ne saurait ternir voudrait redoutant sa victoire au sein d’un bonheur sans mémoire fuir son triste et noble avenir chateaubriand je t’en atteste toi qui déplacé parmi nous reçus du ciel le don funeste qui blesse notre orgueil jaloux quand ton nom doit survivre aux âges que t’importe avec ses outrages à toi géant un peuple nain tout doit un tribut au génie eux ils n’ont que la calomnie le serpent n’a que son venin brave la haine empoisonnée le nocher rit des flots mouvants lorsque sa poupe couronnée entre au port à l’abri des vents longtemps ignoré dans le monde ta nef a lutté contre l’onde souvent prête à l’ensevelir ainsi jadis le vieil homère errait inconnu sur la terre qu’un jour son nom devait remplir iii jeune encor quand des mains du crime la france en deuil reçut des fers tu fuis le souffle qui t’anime s’éveilla dans l’autre univers contemplant ces vastes rivages ces grands fleuves ces bois sauvages aux humains tu disais adieu car dans ces lieux que l’homme ignore du moins ses pas n’ont point encore effacé les traces de dieu tu vins dans un temps plus tranquille fouler cette terre des arts où croît le laurier de virgile où tombent les murs des césars tu vis la grèce humble et domptée hélas il n’est plus de tyrtée chez ces peuples jadis si grands les grecs courbent leurs fronts serviles et le rocher des thermopyles porte les tours de leurs tyrans ces cités que vante l’histoire pleurent leurs enfants aguerris le vieux souvenir de leur gloire n’habite plus que leurs débris les dieux ont fui dans les prairies adieu les blanches théories plus de jeux plus de saints concerts adieu les fêtes fraternelles l’airain qui gronde aux dardanelles trouble seul les temples déserts mais si la grèce est sans prestiges tu savais des lieux solennels où sont de plus sacrés vestiges des monuments plus éternels une tombe pleine de vie et jérusalem asservie qu’un pacha foule sans remord et le bédouin fils du numide et carthage et la pyramide tente immobile de la mort enfin au foyer de tes pères tu vins rapportant pour trésor tes maux aux rives étrangères et les hautes leçons du sort tu déposas ta douce lyre dès lors la raison qui t’inspire au sénat parla par ta voix et la liberté rassurée confia sa cause sacrée à ton bras défenseur des rois dans cette arène où l’on t’admire sois fier d’avoir tant combattu honoré du double martyre du génie et de la vertu poursuis remplis notre espérance sers ton prince éclaire la france dont les destins vont s’accomplir l’anarchie altière et servile pâlit devant ton front tranquille qu’un tyran n’a point fait pâlir que l’envie aux pervers unie te poursuive de ses clameurs ton noble essor fils du génie t’enlève à ces vaines rumeurs tel l’oiseau du cap des tempêtes voit les nuages sur nos têtes rouler leurs flots séditieux pour lui loin des bruits de la terre bercé par son vol solitaire il va s’endormir dans les cieux juillet 1820 ode septième la fille d’o taïti écoutez la jeune fiancée qui pleure elle pleure parce qu’elle est délaissée ballade d’arven que fait il donc celui que sa douleur attend sans doute il n’aime pas celui qu’elle aime tant alfred de vigny dolorida oh dis moi tu veux fuir et la voile inconstante va bientôt de ces bords t’enlever à mes yeux cette nuit j’entendais trompant ma douce attente chanter les matelots qui repliaient leur tente je pleurais à leurs cris joyeux pourquoi quitter notre île en ton île étrangère les cieux sont ils plus beaux a t on moins de douleurs les tiens quand tu mourras pleureront ils leur frère couvriront ils tes os du plane funéraire dont on ne cueille pas les fleurs te souvient il du jour où les vents salutaires t’amenèrent vers nous pour la première fois tu m’appelas de loin sous nos bois solitaires je ne t’avais point vu jusqu’alors sur nos terres et pourtant je vins à ta voix oh j’étais belle alors mais les pleurs m’ont flétrie reste ô jeune étranger ne me dis pas adieu ici nous parlerons de ta mère chérie tu sais que je me plais aux chants de ta patrie comme aux louanges de ton dieu tu rempliras mes jours à toi je m’abandonne que t’ai je fait pour fuir demeure sous nos cieux je guérirai tes maux je serai douce et bonne et je t’appellerai du nom que l’on te donne dans le pays de tes aïeux je serai si tu veux ton esclave fidèle pourvu que ton regard brille à mes yeux ravis reste ô jeune étranger reste et je serai belle mais tu n’aimes qu’un temps comme notre hirondelle moi je t’aime comme je vis hélas tu veux partir — aux monts qui t’ont vu naître sans doute quelque vierge espère ton retour eh bien daigne avec toi m’emmener ô mon maître je lui serai soumise et l’aimerai peut être si ta joie est dans son amour loin de mes vieux parents qu’un tendre orgueil enivre du bois où dans tes bras j’accourus sans effroi loin des fleurs des palmiers je ne pourrai plus vivre je mourrais seule ici va laisse moi te suivre je mourrai du moins près de toi si l’humble bananier accueillit ta venue si tu m’aimas jamais ne me repousse pas ne t’en va pas sans moi dans ton île inconnue de peur que ma jeune âme errante dans la nue n’aille seule suivre tes pas quand le matin dora les voiles fugitives en vain on la chercha sous son dôme léger on ne la revit plus dans les bois sur les rives pourtant la douce vierge aux paroles plaintives n’était pas avec l’étranger janvier 1821 à m ulric guttinguer ode huitième l’homme heureux beatus qui non prosper je vous abhorre ô dieux hélas si jeune encore je puis déjà ce que je veux accablé de vos dons ô dieux je vous abhorre que vous ai je donc fait pour combler tous mes vœux du détroit de léandre aux colonnes d’alcide mes vaisseaux parcourent les mers mon palais engloutit ainsi qu’un gouffre avide les trésors des cités et les fruits des déserts je dors au bruit des eaux au son lointain des lyres sur un lit aux pieds de vermeil et sur mon front brûlant appelant les zéphires dix vierges de l’indus veillent pour mon sommeil je laisse en mes banquets à l’ingrat parasite des mets que repousse ma main et dans les plats dorés ma faim que rien n’excite dédaigne des poissons nourris de sang humain aux bords du tibre aux monts qui vomissent les laves j’ai des jardins délicieux mes domaines partout couverts de mes esclaves fatiguent mes coursiers importunent mes yeux je vois les grands me craindre et césar me sourire je protège les suppliants j’ai des pavés de marbre et des bains de porphyre mon char est salué d’un peuple de clients je m’ennuie au forum je m’ennuie aux arènes je demande à tous que fait on je fais jeter par jour un esclave aux murènes et je m’amuse à peine à ce jeu de caton les femmes de l’europe et celles de l’asie touchent peu mon cœur déjà mort dans une coupe d’or l’ennui me rassasie et le pauvre qui pleure est jaloux de mon sort d’implacables faveurs me poursuivant sans cesse vous m’avez flétri dans ma fleur dieux donnez l’espérance à ma froide jeunesse je vous rends tous ces biens pour un peu de bonheur dans le temple traînant sa langueur opulente ainsi parlait celsus de sa couche indolente il blasphémait ses dieux et bénissant le ciel un martyr expirait devant l’impur autel 1822 ode neuvième l’âme je ne sais quel destin trouble l’esprit des mortels semblables à des cylindres ils roulent çà et là accablés d’une infinité de maux… mais prends courage la race des hommes est divine lorsque dépouillé de ton corps tu t’élèveras dans les régions éthérées la mort n’aura plus sur toi de pouvoir tu seras un dieu immortel et incorruptible vers dorés de pythagore i fils du ciel je fuirai les honneurs de la terre dans mon abaissement je mettrai mon orgueil je suis le roi banni superbe et solitaire qui veut le trône ou le cercueil je hais le bruit du monde et je crains sa poussière la retraite paisible et fière réclame un cœur indépendant je ne veux point d’esclave et ne veux point de maître laissez moi rêver seul au désert de mon être — j’y cherche le buisson ardent toi qu’aux douleurs de l’homme un dieu caché convie compagne sous les cieux de l’humble humanité passagère immortelle esclave de la vie et reine de l’éternité âme aux instants heureux comme aux heures funèbres rayonne au fond de mes ténèbres règne sur mes sens combattus oh de ton sceptre d’or romps leur chaîne fatale et nuit et jour pareille à l’antique vestale veille au feu sacré des vertus est ce toi dont le souffle a visité ma lyre ma lyre chaste sœur des harpes de sion et qui viens dans ma nuit avec un doux sourire comme une belle vision sur mes terrestres fers ô vierge glorieuse pose l’aile mystérieuse qui t’emporte au ciel dévoilé viens tu m’apprendre écho de la voix infinie quelque secret d’amour de joie ou d’harmonie que les anges t’ont révélé ii vis tu ces temps d’innocence où quand rien n’était maudit dieu content de sa puissance fit le monde et s’applaudit vis tu dans ces jours prospères du jeune aïeul de nos pères ève enchanter le réveil et dans la sainte phalange au front du premier archange luire le premier soleil vis tu des torrents de l’être parmi de brûlants sillons les astres joyeux de naître s’échapper en tourbillons quand dieu dans sa paix féconde penché de loin sur le monde contemplait ces grands tableaux lui centre commun des âmes foyer de toutes les flammes océan de tous les flots iii suivais tu du seigneur la marche solennelle lorsque l’esprit porta la parole éternelle de l’abîme des eaux aux régions du feu au jour où menaçant la terre virginale comme d’un char léger pressant l’ardent essieu un roi vaincu refuse une lutte inégale le chaos éperdu s’enfuyait devant dieu as tu vu loin des cieux châtiant ses complices le roi du mal armé du sceptre des supplices dans le gouffre où jamais la terreur ne s’endort lieu funèbre où pleurant les songes de la terre le crime se réveille enfantant le remord et qu’un dieu visita revêtu de mystère quand d’enfer en enfer il poursuivit la mort iv montre moi l’éternel donnant comme un royaume le temps à l’éphémère et l’espace à l’atome le vide obscur des nuits tombeau silencieux les foudres se croisant dans leur sphère tonnante et la comète rayonnante traînant sa chevelure éparse dans les cieux mon esprit sur ton aile ô puissante compagne vole de fleur en fleur de montagne en montagne remonte aux champs d’azur d’où l’homme fut banni du secret éternel lève le voile austère car il voit plus loin que la terre ma pensée est un monde errant dans l’infini v mais la vie ô mon âme a des pièges dans l’ombre sois le guerrier captif qui garde sa prison des feux de l’ennemi compte avec soin le nombre et sous le jour brûlant ainsi qu’en la nuit sombre surveille au loin tout l’horizon je ne suis point celui qu’une ardeur vaine enflamme qui refuse à son cœur un amour chaste et saint porte à dagon l’encens que jéhovah réclame et voyageur sans guide erre autour de son âme comme autour d’un cratère éteint il n’ose offrant à dieu sa nudité parée flétrir les fleurs d’éden d’un souffle criminel fils banni qui traînant sa misère ignorée mendie et pleure assis sur la borne sacrée de l’héritage paternel et les anges entre eux disent voilà l’impie il a bu des faux biens le philtre empoisonneur devant le juste heureux que son crime s’expie dieu rejette son âme elle s’est assoupie durant la veille du seigneur toi puisses tu bientôt secouant ma poussière retourner radieuse au radieux séjour tu remonteras pure à la source première et comme le soleil emporte sa lumière tu n’emporteras que l’amour vi malheureux l’insensé dont la vue asservie ne sent point qu’un esprit s’agite dans la vie mortel il reste sourd à la voix du tombeau sa pensée est sans aile et son cœur est sans flamme car il marche ignorant son âme tel qu’un aveugle errant qui porte un vain flambeau 24 juin 1823 ode dixième le chant de l’arène généreux grecs voilà les prix que remporteront les vainqueurs homère l’athlète vainqueur dans l’arène est en honneur dans la cité son nom sans que le temps l’entraîne par les peuples est répété depuis cette plage inféconde où dort sur la borne du monde l’hiver vieillard au dur sommeil jusqu’aux lieux où quand naît l’aurore on entend sous l’onde sonore hennir les coursiers du soleil voici la fête d’olympie tressez l’acanthe et le laurier que les dieux confondent l’impie que l’antique audace assoupie se réveille au cœur du guerrier venez vous que la gloire enchaîne voyez les prêtres d’apollon pour votre victoire prochaine ravir des couronnes au chêne qui jadis a vaincu milon venez de corinthe et de crète de tyr aux tissus précieux de scylla que bat la tempête et d’athos où l’aigle s’arrête pour voir de plus haut dans les cieux venez de l’île des colombes venez des mers de l’archipel de rhode aux riches hécatombes dont les guerriers jusqu’en leurs tombes de bellone entendent l’appel venez du palais centenaire dont cécrops a fondé la tour d’argos de sparte qu’on vénère de lemnos où naît le tonnerre d’amathonte où naquit l’amour les temples saints les gynécées chargés de verdoyants festons tels que de jeunes fiancées sous des guirlandes enlacées ont caché leurs chastes frontons les archontes et les éphores dans le stade se sont assis les vierges et les canéphores ont purifié les amphores suivant les rites d’éleusis on a consulté la pythie et ceux qui parlent en rêvant à l’heure où s’éveille clytie d’un vautour fauve de scythie on a jeté la plume au vent le vainqueur de la course agile recevra deux trépieds divins et la coupe agreste et fragile dont bacchus a touché l’argile lorsqu’il goûta les premiers vins celui dont le disque mobile renversera les trois faisceaux aura cette urne indélébile que sculpta d’une main habile phlégon du pays de naxos juges de la gloire innocente nous offrons au lutteur ardent une chlamyde éblouissante de sydon qui riche et puissante joint le caducée au trident lutteurs discoboles athlètes réparez vos forces au bain puis venez vaincre dans nos fêtes afin d’obtenir des poëtes un chant sur le mode thébain l’athlète vainqueur dans l’arène est en honneur dans la cité son nom sans que le temps l’entraîne par les peuples est répété depuis cette plage inféconde où dort sur la borne du monde l’hiver vieillard au dur sommeil jusqu’aux lieux où quand naît l’aurore on entend sous l’onde sonore hennir les coursiers du soleil janvier 1824 ode onzième le chant du cirque panem et circenses juvénal cependant le peuple s’assemblait à l’amphithéâtre de vespasien chateaubriand les martyrs césar empereur magnanime le monde à te plaire unanime à tes fêtes doit concourir éternel héritier d’auguste salut prince immortel et juste césar sois salué par ceux qui vont mourir seul entre tous les rois césar aux dieux de rome peut en libations offrir le sang de l’homme à nos solennités nous invitons la mort de monstres pour nos jeux nous dépeuplons le monde nous mêlons dans le cirque où fume un sang immonde les tigres d’hyrcanie aux barbares du nord des colosses d’airain des vases de porphyre des ancres des drapeaux que gonfle le zéphire parent du champ fatal les murs éblouissants les parfums chargent l’air d’un odorant nuage car le peuple romain aime que le carnage exhale ses vapeurs parmi des flots d’encens des portes tout à coup les gonds d’acier gémissent la foule entre en froissant les grilles qui frémissent les panthères dans l’ombre ont tressailli d’effroi et poussant mille cris qu’un long bruit accompagne comme un fleuve épandu de montagne en montagne de degrés en degrés roule le peuple roi les deux chaises d’ivoire ont reçu les édiles l’hippopotame informe et les noirs crocodiles nagent autour du cirque en un large canal dans leurs cages de fer les cinq cents lions grondent les vestales en chœur dont les chants se répondent apportent l’autel chaste et le feu virginal l’œil ardent le sein nu l’impure courtisane près du foyer sacré pose un trépied profane on voile de cyprès l’autel des suppliants à travers leur cortège et de rois et d’esclaves les sénateurs vêtus d’augustes laticlaves dans la foule de loin comptent tous leurs clients chaque vierge est assise auprès d’une matrone à la voix des tribuns on voit autour du trône les soldats du prétoire en cercle se ranger les prêtres de cybèle entonnent la louange et sur de vils tréteaux les histrions du gange chantent en attendant ceux qui vont s’égorger les voilà … — tout le peuple applaudit et menace ces captifs que césar d’un bras puissant ramasse des temples de manès aux antres d’irmensul ils entrent tour à tour et le licteur les nomme vil troupeau que la mort garde aux plaisirs de rome et que d’un fer brûlant a marqué le consul on découvre en leurs rangs à leur tête penchée des juifs traînant partout une honte cachée plus loin d’altiers gaulois que nul péril n’abat et d’infâmes chrétiens qui dépouillés d’armures refusant aux bourreaux leurs chants ou leurs murmures vont souffrir sans orgueil et mourir sans combat bientôt quand rugiront les bêtes échappées les murs tout hérissés de piques et d’épées livreront cette proie entière à leur fureur — du trône de césar la pourpre orne le faîte afin qu’un jour plus doux durant l’ardente fête flatte les yeux divins du clément empereur césar empereur magnanime le monde à te plaire unanime à tes fêtes doit concourir éternel héritier d’auguste salut prince immortel et juste césar sois salué par ceux qui vont mourir janvier 1824 ode douzième le chant du tournoi le beffroi de la prochaine tour appelle aux jeux guerriers les seigneurs d’alentour a soumet servants d’amour regardez doucement aux échafauds anges de paradis lors jouterez fort et joyeusement et vous serez honorés et chéris ancienne ballade largesse ô chevaliers largesse aux suivants d’armes venez tous soit qu’au sein des jeux ou des alarmes votre écu de milan porte le vert dragon le manteau noir d’agra semé de blanches larmes la fleur de lys de france ou la croix d’aragon déjà la lice est ouverte les clercs en ont fait le tour la bannière blanche et verte flotte au front de chaque tour la foule éclate en paroles les légères banderoles se mêlent en voltigeant et le héros du portique sur l’or de sa dalmatique suspend le griffon d’argent les maisons peuplent leur faîte au loin gronde le beffroi tout nous promet une fête digne des regards du roi la reine à ce jour suprême a de son épargne même consacré douze deniers et pour l’embellir encore racheté des fers du maure douze chrétiens prisonniers or comme la loi l’ordonne chevaliers au cœur loyal avant que le clairon sonne écoutez l’édit royal car sans l’entendre en silence celui qui saisit la lance n’a plus qu’un glaive maudit croyez ces conseils prospères c’est ce qu’ont dit à vos pères ceux à qui dieu l’avait dit d’abord des saintes louanges chantez les versets bénis chantez jésus les archanges et monseigneur saint denis jurez sur les évangiles que si vos bras sont fragiles rien ne ternit votre honneur que vous pourrez s’il se lève montrer au roi votre glaive comme votre âme au seigneur d’un saint touchez la dépouille jurez comtes et barons que nulle fange ne souille l’or pur de vos éperons que de ses vassaux fidèles dans ses noires citadelles nul de vous n’est le bourreau que du sort bravant l’épreuve pour l’orphelin et la veuve votre épée est sans fourreau preux que l’honneur accompagne n’oubliez pas les vertus des vieux pairs de charlemagne des vieux champions d’artus malheur au vainqueur sans gloire qui doit sa lâche victoire à de hideux nécromants honte au guerrier sans vaillance qui combat la noble lance avec d’impurs talismans un jour sur les murs funestes de son infâme château on voit pendre ses vils restes aux bras d’un sanglant poteau éternisant ses supplices les enchanteurs ses complices dans les ombres déchaînés parmi d’affreux sortilèges à leurs festins sacrilèges mêlent ses os décharnés mais gloire au guerrier austère gloire au pieux châtelain chaque belle sans mystère brode son nom sur le lin le mélodieux trouvère à son glaive qu’on révère consacre un chant immortel dans sa tombe est une fée et l’on donne à son trophée pour piédestal un autel donc en vos âmes courtoises gravez pairs et damoisels la loi des joutes gauloises et des galants carrousels par les juges de l’épée par leur belle détrompée les félons seront honnis leur opprobre est sans refuges ceux que condamnent les juges par les dames sont punis largesse ô chevaliers largesse aux suivants d’armes venez tous soit qu’au sein des jeux ou des alarmes votre écu de milan porte le vert dragon le manteau noir d’agra semé de blanches larmes la fleur de lys de france ou la croix d’aragon janvier 1824 ode treizième l’antéchrist après que les mille ans seront accomplis satan sera délié il sortira de sa prison et il séduira les nations qui sont aux quatre coins du monde gog et magog saint jean apocalypse i il viendra — quand viendront les dernières ténèbres que la source des jours tarira ses torrents qu’on verra les soleils au front des nuits funèbres pâlir comme des yeux mourants quand l’abîme inquiet rendra des bruits dans l’ombre que l’enfer comptera le nombre de ses soldats audacieux et qu’enfin le fardeau de la suprême voûte fera comme un vieux char tout poudreux de sa route crier l’axe affaibli des cieux il viendra — quand la mère au fond de ses entrailles sentira tressaillir son fruit épouvanté quand nul ne suivra plus les saintes funérailles du juste en sa tombe attristé lorsqu’approchant des mers sans lit et sans rivages l’homme entendra gronder sous le vaisseau des âges la vague de l’éternité il viendra — quand l’orgueil et le crime et la haine de l’antique alliance enfreint le vœu quand les peuples verront craignant leur fin prochaine du monde décrépit se détacher la chaîne les astres se heurter dans leurs chemins de feu et dans le ciel — ainsi qu’en ses salles oisives un hôte se promène attendant ses convives — passer et repasser l’ombre immense de dieu ii parmi les nations il luira comme un signe il viendra des captifs dissiper la rançon le seigneur l’enverra pour dévaster la vigne et pour disperser la moisson les peuples ne sauront dans leur stupeur profonde si ses mains dans quelque autre monde ont porté le sceptre ou les fers et dans leurs chants de deuil et leurs hymnes de fête ils se demanderont si les feux de sa tête sont des rayons ou des éclairs tantôt ses traits au ciel emprunteront leurs charmes tel qu’un ange vêtu de radieuses armes tout son corps brillera de reflets éclatants et ses yeux souriront baignés de douces larmes comme la jeune aurore au front du beau printemps tantôt hideux amant de la nuit solitaire noir dragon déployant l’aile aux ongles de fer pâle et s’épouvantant de son propre mystère du sein profané de la terre ses pas feront monter les vapeurs de l’enfer la nature entendra sa voix miraculeuse son souffle emportera les cités aux déserts il guidera des vents la course nébuleuse il aura des chars dans les airs il domptera la flamme il marchera sur l’onde on verra l’arène inféconde sous ses pieds de fleurs s’émailler et les astres sur lui descendre en auréole et les morts tressaillir au bruit de sa parole comme s’ils allaient s’éveiller fleuve aux flots débordés volcan aux noires laves il n’aura point d’amis pour avoir plus d’esclaves il pèsera sur tous de toute sa hauteur le monde où passera le funeste fantôme paraîtra sa conquête et non pas son royaume il ne sera qu’un maître où dieu fut un pasteur il semblera courbé sur la terre asservie porter un autre poids vivre d’une autre vie il ne pourra vieillir il ne pourra changer les fleurs que nous cueillons pour lui seront flétries sans tendresse et sans foi dans toutes nos patries il sera comme un étranger son attente jamais ne sera l’espérance battu de ses désirs comme d’un flot des mers sa science en secret envîra l’ignorance et n’aura que des fruits amers il bravera l’arrêt suspendu sur sa tête calme comme avant la tempête et muet comme après la mort et son cœur ne sera qu’une arène insensible où dans le noir combat d’un hymen impossible le crime étreindra le remord du temps prêt à finir il saisira le reste son bras du dernier port éteindra le fanal dieu qui combla de maux son envoyé céleste accablera de biens le messie infernal couché sur ses plaisirs ainsi que sur des proies ses yeux n’exprimeront durant son vain pouvoir que la honte cachée au sein des fausses joies et l’orgueil qui se lève au fond du désespoir de l’enfer aux mortels apportant les messages sa main semant l’erreur au champ de la raison mêlera dans sa coupe où boiront les faux sages les venins aux parfums et le miel au poison comme un funèbre mur entre le ciel et l’homme il osera placer un effroyable adieu ses forfaits n’auront pas de langue qui les nomme et l’athée effrayé dira voilà mon dieu iii enfin quand ce héraut du suprême mystère aura de crime en crime usé ses noirs destins que la sainte vertu que la foi salutaire trouveront tous les cœurs éteints quand du signe du meurtre et du sceau des supplices il aura marqué ses complices que son troupeau sera compté il quittera la vie ainsi qu’une demeure et son règne ici bas n’aura pour dernière heure que l’heure de l’éternité 1823 ode quatorzième épitaphe hic præteritos commemora dies æternos meditare jeune ou vieux imprudent ou sage toi qui de cieux en cieux errant comme un nuage suis l’instinct d’un plaisir ou l’appel d’un besoin voyageur où vas tu si loin — n’est ce donc pas ici le but de ton voyage la mort qui partout pose un pied victorieux a couvert mes splendeurs d’ombres expiatoires mon nom même a subi son voile injurieux et le morne oubli cache à ton œil curieux s’il est dans mon néant quelqu’une de tes gloires passant comme toi j’ai passé le fleuve est revenu se perdre dans sa source fais silence assieds toi sur ce marbre brisé pose un instant le poids qui fatigue ta course j’eus de même un fardeau qu’ici j’ai déposé si tu veux du repos si tu cherches de l’ombre ta couche est prête accours loin du bruit on y dort si ton fragile esquif lutte sur la mer sombre viens c’est ici l’écueil viens c’est ici le port ne sens tu rien ici dont tressaille ton âme rien qui borne tes pas d’un cercle impérieux sur l’asile qui te réclame ne lis tu pas ton nom en mots mystérieux éphémère histrion qui sait son rôle à peine chaque homme ivre d’audace ou palpitant d’effroi sous le sayon du pâtre ou la robe du roi vient passer à son tour son heure sur la scène ne foule pas les morts d’un pied indifférent comme moi dans leur ville il te faudra descendre l’homme de jour en jour s’en va pâle et mourant et tu ne sais quel vent doit emporter ta cendre mais devant moi ton cœur à peine est agité quoi donc pas un soupir pas même une prière tout ton néant te parle et n’est point écouté tu passes — en effet qu’importe cette pierre que peut cacher la tombe à ton œil attristé quelques os desséchés un reste de poussière rien peut être — et l’éternité 1823 à m le comte alfred de v ode quinzième un chant de fête de néron nescio quid molle atque facetum horace amis l’ennui nous tue et le sage l’évite venez tous admirer la fête où vous invite néron césar consul pour la troisième fois néron maître du monde et dieu de l’harmonie qui sur le mode d’ionie chante en s’accompagnant de la lyre à dix voix que mon joyeux appel sur l’heure vous rassemble jamais vous n’aurez eu tant de plaisirs ensemble chez pallas l’affranchi chez le grec agénor ni dans ces gais festins d’où s’exilait la gêne où l’austère sénèque en louant diogène buvait le falerne dans l’or ni lorsque sur le tibre aglaé de phalère demi nue avec nous voguait dans sa galère sous des tentes d’asie aux brillantes couleurs ni quand au son des luths le préfet des bataves jetait aux lions vingt esclaves dont on avait caché les chaînes sous des fleurs venez rome à vos yeux va brûler — rome entière j’ai fait sur cette tour apporter ma litière pour contempler la flamme en bravant ses torrents que sont les vains combats des tigres et de l’homme les sept monts aujourd’hui sont un grand cirque où rome lutte avec les feux dévorants c’est ainsi qu’il convient au maître de la terre de charmer son ennui profond et solitaire il doit lancer parfois la foudre comme un dieu mais venez la nuit tombe et la fête commence déjà l’incendie hydre immense lève son aile sombre et ses langues de feu voyez vous voyez vous sur sa proie enflammée il déroule en courant ses replis de fumée il semble caresser ces murs qui vont périr dans ses embrassements les palais s’évaporent… — oh que n’ai je aussi moi des baisers qui dévorent des caresses qui font mourir écoutez ces rumeurs voyez ces vapeurs sombres ces hommes dans les feux errant comme des ombres ce silence de mort par degrés renaissant les colonnes d’airain les portes d’or s’écroulent des fleuves de bronze qui roulent portent des flots de flamme au tibre frémissant tout périt jaspe marbre et porphyre et statues malgré leurs noms divins dans la cendre abattues le fléau triomphant vole au gré de mes vœux il va tout envahir dans sa course agrandie et l’aquilon joyeux tourmente l’incendie comme une tempête de feux fier capitole adieu — dans les feux qu’on excite l’aqueduc de sylla semble un pont du cocyte néron le veut ces tours ces dômes tomberont bien sur rome à la fois partout la flamme gronde — rends lui grâces reine du monde vois quel beau diadème il attache à ton front enfant on me disait que les voix sibyllines promettaient l’avenir aux murs des sept collines qu’aux pieds de rome enfin mourrait le temps dompté que son astre immortel n’était qu’à son aurore… — mes amis dites moi combien d’heures encore peut durer son éternité qu’un incendie est beau lorsque la nuit est noire érostrate lui même eût envié ma gloire d’un peuple à mes plaisirs qu’importent les douleurs il fuit de toutes parts le brasier l’environne… — ôtez de mon front ma couronne le feu qui brûle rome en flétrirait les fleurs quand le sang rejaillit sur vos robes de fête amis lavez la tache avec du vin de crète l’aspect du sang n’est doux qu’au regard des méchants couvrons un jeu cruel de voluptés sublimes malheur à qui se plaît au cri de ses victimes — il faut l’étouffer dans des chants je punis cette rome et je me venge d’elle ne poursuit elle pas d’un encens infidèle tour à tour jupiter et ce christ odieux qu’enfin à leur niveau sa terreur me contemple je veux avoir aussi mon temple puisque ces vils romains n’ont point assez de dieux j’ai détruit rome afin de la fonder plus belle mais que sa chute au moins brise la croix rebelle plus de chrétiens allez exterminez les tous que rome de ses maux punisse en eux les causes exterminez … — esclave apporte moi des roses le parfum des roses est doux mars 1825 ode seizième la demoiselle un rien sait l’animer curieuse et volage elle va parcourant tous les objets flatteurs sans se fixer jamais non plus que sur les fleurs les zéphyrs vagabonds doux rivaux des abeilles ou le baiser ravi sur des lèvres vermeilles andré chénier quand la demoiselle dorée s’envole au départ des hivers souvent sa robe diaprée souvent son aile est déchirée aux mille dards des buissons verts ainsi jeunesse vive et frêle qui t’égarant de tous côtés voles où ton instinct t’appelle souvent tu déchires ton aile aux épines des voluptés mai 1827 ode dix septième à mon ami s b perseverando devise des ducie l’aigle c’est le génie oiseau de la tempête qui des monts les plus hauts cherche le plus haut faîte dont le cri fier du jour chante l’ardent réveil qui ne souille jamais sa serre dans la fange et dont l’œil flamboyant incessamment échange des éclairs avec le soleil son nid n’est pas un nid de mousse c’est une aire quelque rocher creusé par un coup de tonnerre quelque brèche d’un pic épouvantable aux yeux quelque croulant asile aux flancs des monts sublimes qu’on voit battu des vents pendre entre deux abîmes le noir précipice et les cieux ce n’est pas l’humble ver les abeilles dorées la verte demoiselle aux ailes bigarrées qu’attendent ses petits béants de faim pressés non c’est l’oiseau douteux qui dans la nuit végète c’est l’immonde lézard c’est le serpent qu’il jette hideux aux aiglons hérissés nid royal palais sombre et que d’un flot de neige la roulante avalanche en bondissant assiège le génie y nourrit ses fils avec amour et tournant au soleil leurs yeux remplis de flammes sous son aile de feu couve de jeunes âmes qui prendront des ailes un jour pourquoi donc t’étonner ami si sur ta tête lourd de foudres déjà le nuage s’arrête si quelque impur reptile en ton nid se débat ce sont tes premiers jeux c’est ta première fête pour vous autres aiglons chaque heure a sa tempête chaque festin est un combat rayonne il en est temps et s’il vient un orage en prisme éblouissant change le noir nuage que ta haute pensée accomplisse sa loi viens joins ta main de frère à ma main fraternelle poëte prends ta lyre aigle ouvre ta jeune aile étoile étoile lève toi la brume de ton aube ami va se dissoudre fais toi connaître aiglon du soleil de la foudre viens arracher un nom par tes chants inspirés viens cette gloire en butte à tant de traits vulgaires ressemble aux fiers drapeaux qu’on rapporte des guerres plus beaux quand ils sont déchirés vois l’astre chevelu qui royal météore roule en se grossissant des mondes qu’il dévore tel ô jeune géant qui t’accrois tous les jours tel ton génie ardent loin des routes tracées entraînant dans son cours des mondes de pensées toujours marche et grandit toujours décembre 1827 ode dix huitième jéhovah domini enim sunt cardines terræ et posuit super eos orbem cant annæ i jéhovah est le maître des deux pôles et sur eux il fait tourner le monde joseph de maistre soirées de saint pétersbourg gloire à dieu seul son nom rayonne en ses ouvrages il porte dans sa main l’univers réuni il mit l’éternité par delà tous les âges par delà tous les cieux il jeta l’infini il a dit au chaos sa parole féconde et d’un mot de sa voix laissé tomber le monde l’archange auprès de lui compte les nations quand des jours et des lieux franchissant les espaces il dispense aux siècles leurs races et mesure leur temps aux générations rien n’arrête en son cours sa puissance prudente soit que son souffle immense aux ouragans pareil pousse de sphère en sphère une comète ardente ou dans un coin du monde éteigne un vieux soleil soit qu’il sème un volcan sous l’océan qui gronde courbe ainsi que des flots le front altier des monts ou de l’enfer troublé touchant la voûte immonde au fond des mers de feu chasse les noirs démons oh la création se meut dans ta pensée seigneur tout suit la voie en tes desseins tracée ton bras jette un rayon au milieu des hivers défend la veuve en pleurs du publicain avide ou dans un ciel lointain séjour désert du vide crée en passant un univers l’homme n’est rien sans lui l’homme débile proie que le malheur dispute un moment au trépas dieu lui donne le deuil ou lui reprend la joie du berceau vers la tombe il a compté ses pas son nom que des élus la harpe d’or célèbre est redit par les voix de l’univers sauvé et lorsqu’il retentit dans son écho funèbre l’enfer maudit son roi par les cieux réprouvé oui les anges les saints les sphères étoilées et les âmes des morts devant toi rassemblées ô dieu font de ta gloire un concert solennel et tu veux bien que l’homme être humble et périssable marchant dans la nuit sur le sable mêle un chant éphémère à cet hymne éternel gloire à dieu seul son nom rayonne en ses ouvrages il porte dans sa main l’univers réuni il mit l’éternité par delà tous les âges par delà tous les cieux il jeta l’infini décembre 1822 livre cinquième 1819 1828 prend moi tel que je suy devise des ély ode première premier soupir c’est que j’ai rencontré des regards dont la flamme semble avec mes regards ou briller ou mourir et cette âme sœur de mon âme hélas que j’attendais pour aimer et souffrir émile deschamps sois heureuse ô ma douce amie salue en paix la vie et jouis des beaux jours sur le fleuve du temps mollement endormie laisse les flots suivre leur cours va le sort te sourit encore le ciel ne peut vouloir dissipe tout effroi qu’un jour triste succède à ta joyeuse aurore le ciel doit m’écouter quand pour toi je l’implore notre avenir commun ne pèse que sur moi bientôt tu peux m’être ravie peut être loin de toi demain j’irai languir quoi déjà tout est sombre et fatal dans ma vie j’ai dû t’aimer je dois te fuir puis — hélas sur mon front que le malheur retombe il faudra qu’à l’absence à de nouveaux désirs un sentiment bien doux succombe tu m’oublîras dans les plaisirs je me souviendrai dans la tombe oui je mourrai déjà ma lyre en est en deuil jeune je m’éteindrai laissant peu de mémoire sans peur puisque de front j’ai contemplé la gloire je puis voir de près le cercueil l’élysée immortel est près des noirs royaumes et la gloire et la mort ne sont que deux fantômes en habits de fête ou de deuil vis heureuse ô ma jeune amie jouis en paix de tes beaux jours sur le fleuve du temps mollement endormie laisse les flots suivre leur cours décembre 1819 ode deuxième regret il s’est trouvé parfois comme pour faire voir que du bonheur en nous est encor le pouvoir deux âmes s’élevant sur les plaines du monde toujours l’une pour l’autre existence féconde puissantes à sentir avec un feu pareil double et brûlant rayon né d’un même soleil vivant comme un seul être intime et pur mélange semblables dans leur vol aux deux ailes d’un ange ou telles que des nuits les jumeaux radieux d’un fraternel éclat illuminent les cieux si l’homme a séparé leur ardeur mutuelle c’est alors que l’on voit et rapide et fidèle chacune de la foule écartant l’épaisseur traverser l’univers et voler à sa sœur alfred de vigny héléna oui le bonheur bien vite a passé dans ma vie on le suit dans ses bras on se livre au sommeil puis comme cette vierge aux champs crétois ravie on se voit seul à son réveil on le cherche de loin dans l’avenir immense on lui crie — oh reviens compagnon de mes jours et le plaisir accourt mais sans remplir l’absence de celui qu’on pleure toujours moi si l’impur plaisir m’offre sa vaine flamme je lui dirai — va fuis et respecte mon sort le bonheur a laissé le regret dans mon âme mais toi tu laisses le remord — pourtant je ne dois point troubler votre délire amis je veux paraître ignorer les douleurs je souris avec vous je vous cache ma lyre lorsqu’elle est humide de pleurs chacun de vous peut être en son cœur solitaire sous des ris passagers étouffe un long regret hélas nous souffrons tous ensemble sur la terre et nous souffrons tous en secret tu n’as qu’une colombe à tes lois asservie tu mets tous tes amours vierge dans une fleur mais à quoi bon la fleur passe comme la vie l’oiseau fuit comme le bonheur on est honteux des pleurs on rougit de ses peines des innocents chagrins des souvenirs touchants comme si nous n’étions sous les terrestres chaînes que pour la joie et pour les chants hélas il m’a donc fui sans me laisser de trace mais pour le retenir j’ai fait ce que j’ai pu ce temps où le bonheur brille et soudain s’efface comme un sourire interrompu février 1821 ode troisième au vallon de chérizy factus sum peregrinus… et quæsivi qui simul contristaretur et non fuit ps lxviii perfice gressus meos semitis tuis ps xvi je suis devenu voyageur… et j’ai cherché qui s’affligerait avec moi et nul n’est venu permets à mes pas de suivre ta trace le voyageur s’assied sous votre ombre immobile beau vallon triste et seul il contemple en rêvant l’oiseau qui fuit l’oiseau l’eau que souille un reptile et le jonc qu’agite le vent hélas l’homme fuit l’homme et souvent avant l’âge dans un cœur noble et pur se glisse le malheur heureux l’humble roseau qu’alors un prompt orage en passant brise dans sa fleur cet orage ô vallon le voyageur l’implore déjà las de sa course il est bien loin encore du terme où ses maux vont finir il voit devant ses pas seul pour se soutenir aux rayons nébuleux de sa funèbre aurore le grand désert de l’avenir de dégoûts en dégoûts il va traîner sa vie que lui font ces faux biens qu’un faux orgueil envie il cherche un cœur fidèle ami de ses douleurs mais en vain nuls secours n’aplaniront sa voie nul parmi les mortels ne rira de sa joie nul ne pleurera de ses pleurs son sort est l’abandon et sa vie isolée ressemble au noir cyprès qui croît dans la vallée loin de lui le lys vierge ouvre au jour son bouton et jamais égayant son ombre malheureuse une jeune vigne amoureuse à ses sombres rameaux n’enlace un vert feston avant de gravir la montagne un moment au vallon le voyageur a fui le silence du moins répond à son ennui il est seul dans la foule ici douce compagne la solitude est avec lui isolés comme lui mais plus que lui tranquilles arbres gazons riants asiles sauvez ce malheureux du regard des humains ruisseaux livrez vos bords ouvrez vos flots dociles à ses pieds qu’a souillés la fange de leurs villes et la poudre de leurs chemins ah laissez lui chanter consolé sous vos ombres ce long songe idéal de nos jours les plus sombres la vierge au front si pur au sourire si beau si pour l’hymen d’un jour c’est en vain qu’il l’appelle laissez du moins rêver à son âme immortelle l’éternel hymen du tombeau la terre ne tient point sa pensée asservie le bel espoir l’enlève au triste souvenir deux ombres désormais dominent sur sa vie l’une est dans le passé l’autre dans l’avenir oh dis quand viendras tu quel dieu va te conduire être charmant et doux vers celui que tu plains astre ami quand viendras tu luire comme un soleil nouveau sur ses jours orphelins il ne t’obtiendra point chère et noble conquête au prix de ces vertus qu’il ne peut oublier il laisse au gré du vent le jonc courber sa tête il sera le grand chêne et devant la tempête il saura rompre et non plier elle approche il la voit mais il la voit sans crainte adieu flots purs berceaux épais beau vallon où l’on trouve un écho pour sa plainte bois heureux où l’on souffre en paix heureux qui peut au sein du vallon solitaire naître vivre et mourir dans le champ paternel il ne connaît rien de la terre et ne voit jamais que le ciel juillet 1821 ode quatrième à toi sub umbra alarum tuarum protege me ps xvi couvre moi de l’ombre de tes ailes lyre longtemps oisive éveillez vous encore il se lève et nos chants le salueront toujours ce jour que son doux nom décore ce jour sacré parmi les jours ô vierge à mon enfance un dieu t’a révélée belle et pure et rêvant mon sort mystérieux comme une blanche étoile aux nuages mêlée dès mes plus jeunes ans je te vis dans mes cieux je te disais alors — ô toi mon espérance viens partage un bonheur qui ne doit pas finir — car de ma vie encor dans ces jours d’ignorance le passé n’avait point obscurci l’avenir ce doux penchant devint une indomptable flamme et je pleurai ce temps écoulé sans retour où la vie était pour mon âme le songe d’un enfant que berce un vague amour aujourd’hui réveillant sa victime endormie sombre au lieu du bonheur que j’avais tant rêvé devant mes yeux troublés par l’espérance amie avec un rire affreux le malheur s’est levé quand seul dans cette vie hélas d’écueils semée il faut boire le fiel dont le calice est plein sans les pleurs de sa bien aimée que reste t il à l’orphelin si les heureux d’un jour parent de fleurs leurs têtes il fuit souillé de cendre et vêtu de lambeaux et pour lui la coupe des fêtes ressemble à l’urne des tombeaux il est chez les vivants comme une lampe éteinte le monde en ses douleurs se plaît à l’exiler seulement vers le ciel il élève sans crainte ses yeux chargés de pleurs qui ne peuvent couler mais toi console moi viens consens à me suivre arrache de mon sein le trait envenimé daigne vivre pour moi pour toi laisse moi vivre j’ai bien assez souffert vierge pour être aimé oh de ton doux sourire embellis moi la vie le plus grand des bonheurs est encor dans l’amour la lumière à jamais ne me fut point ravie viens je suis dans la nuit mais je puis voir le jour mes chants ne cherchent pas une illustre mémoire et s’il me faut courber sous ce fatal honneur ne crains rien ton époux ne veut pas que sa gloire retentisse dans son bonheur goûtons du chaste hymen le charme solitaire que la félicité nous cache à tous les yeux le serpent couché sur la terre n’entend pas deux oiseaux qui volent dans les cieux mais si ma jeune vie à tant de flots livrée si mon destin douteux t’inspire un juste effroi alors fuis toi qui fus mon épouse adorée — toi qui fus ma mère attends moi bientôt j’irai dormir d’un sommeil sans alarmes heureux si dans la nuit dont je serai couvert un œil indifférent donne en passant des larmes à mon luth oublié sur mon tombeau désert toi que d’aucun revers les coups n’osent t’atteindre et puisses tu jamais gémissant à ton tour ne regretter celui qui mourut sans se plaindre et qui t’aimait de tant d’amour décembre 1821 ode cinquième la chauve souris fille de la nuit brumeuse pourquoi voles tu ainsi sur ma tête avec tes ailes noires et froides edda que me veux tu un ange planait sur mon cœur et tu l’as effrayé… viens donc je te chanterai des chansons que les esprits des cimetières m’ont apprises mathurin bertram oui je te reconnais je t’ai vu dans mes songes triste oiseau mais sur moi vainement tu prolonges les cercles inégaux de ton vol ténébreux des spectres réveillés porte ailleurs les messages va pour craindre tes noirs présages je ne suis point coupable et ne suis point heureux attends qu’enfin la vierge à mon sort asservie que le ciel comme un ange envoya dans ma vie de ma longue espérance ait couronné l’orgueil alors tu reviendras troublant la douce fête joyeuse déployer tes ailes sur ma tête ainsi que deux voiles de deuil sœur du hibou funèbre et de l’orfraie avide mêlant le houx lugubre au nénuphar livide les filles de satan t’invoquent sans remords fuis l’abri qui me cache et l’air que je respire de ton ongle hideux ne touche pas ma lyre de peur de réveiller des morts la nuit quand les démons dansent sous le ciel sombre tu suis le chœur magique en tournoyant dans l’ombre l’hymne infernal t’invite au conseil malfaisant fuis car un doux parfum sort de ces fleurs nouvelles fuis il faut à tes mornes ailes l’air du tombeau natal et la vapeur du sang qui t’amène vers moi viens tu de ces collines où la lune s’enfuit sur de blanches ruines son front est comme toi sombre dans sa pâleur tes yeux dans leur route incertaine ont donc suivi les feux de ma lampe lointaine attiré par la gloire ainsi vient le malheur sors tu de quelque tour qu’habite le vertige nain bizarre et cruel qui sur les monts voltige prête aux feux du marais leur errante rougeur rit dans l’air des grands pins courbe en criant les cimes et chaque soir rôdant sur le bord des abîmes jette aux vautours du gouffre un pâle voyageur en vain autour de moi ton vol qui se promène sème une odeur de tombe et de poussière humaine ton aspect m’importune et ne peut m’effrayer fuis donc fuis ou demain je livre aux yeux profanes ton corps sombre et velu tes ailes diaphanes dont le pâtre conteur orne son noir foyer des enfants se joueront de ta dent furieuse une vierge viendra tremblante et curieuse de son rire craintif t’effrayer à grand bruit et le jour te verra dans le ciel exilée à mille oiseaux joyeux mêlée d’un vol aveugle et lourd chercher en vain la nuit avril 1822 ode sixième le nuage j’erre au hasard en tous lieux d’un mouvement plus doux que la sphère de la lune shakespeare ce beau nuage ô vierge aux hommes est pareil bientôt tu le verras grondant sur notre tête aux champs de la lumière amasser la tempête et leur rendre en éclairs les rayons du soleil oh qu’un ange longtemps d’un souffle salutaire le soutienne en son vol tel que l’ont vu tes yeux car s’il descend vers nous le nuage des cieux n’est plus qu’un brouillard sur la terre vois pour orner le soir ce matin il est né l’astre géant fécond en splendeurs inconnues change en cortège ardent l’amas jaloux des nues le génie est plus grand d’envieux couronné la tempête qui fuit d’un orage est suivie l’âme a peu de beaux jours mais dans son ciel obscur l’amour soleil divin peut dorer d’un feu pur le nuage errant de la vie hélas ton beau nuage aux hommes est pareil bientôt tu le verras grondant sur notre tête aux champs de la lumière amasser la tempête et leur rendre en éclairs les rayons du soleil avril 1822 ode septième le cauchemar ægri somnia horace oh j’ai fait un songe … il est au dessus des facultés de l’homme de dire ce qu’était mon songe… l’œil de l’homme n’a jamais vu l’oreille de l’homme n’a jamais ouï la main de l’homme ne peut jamais tâter ni ses sens concevoir ni sa langue exprimer en paroles ce qu’était mon rêve shakespeare il… soulève sa tête énorme et rit ch nodier smarra sur mon sein haletant sur ma tête inclinée écoute cette nuit il est venu s’asseoir posant sa main de plomb sur mon âme enchaînée dans l’ombre il la montrait comme une fleur fanée aux spectres qui naissent le soir ce monstre aux éléments prend vingt formes nouvelles tantôt d’une eau dormante il lève son front bleu tantôt son rire éclate en rouges étincelles deux éclairs sont ses yeux deux flammes sont ses ailes il vole sur un lac de feu comme d’impurs miroirs des ténèbres mouvantes répètent son image en cercle autour de lui son front confus se perd dans des vapeurs vivantes il remplit le sommeil de vagues épouvantes et laisse à l’âme un long ennui vierge ton doux repos n’a point de noir mensonge la nuit d’un pas léger court sur ton front vermeil jamais jusqu’à ton cœur un rêve affreux ne plonge et quand ton âme au ciel s’envole dans un songe un ange garde ton sommeil avril 1822 ode huitième le matin moriturus morituræ le voile du matin sur les monts se déploie vois un rayon naissant blanchit la vieille tour et déjà dans les cieux s’unit avec amour ainsi que la gloire à la joie le premier chant des bois aux premiers feux du jour oui souris à l’éclat dont le ciel se décore — tu verras si demain le cercueil me dévore un soleil aussi beau luire à ton désespoir et les mêmes oiseaux chanter la même aurore sur mon tombeau muet et noir mais dans l’autre horizon l’âme alors est ravie l’avenir sans fin s’ouvre à l’être illimité au matin de l’éternité on se réveille de la vie comme d’une nuit sombre ou d’un rêve agité avril 1822 ode neuvième mon enfance …primus labor …animos atque arma videre bellantûm… virgile géorgiques voilà que tout cela est passé… mon enfance n’est plus elle est morte pour ainsi dire quoique je vive encore saint augustin confessions i j’ai des rêves de guerre en mon âme inquiète j’aurais été soldat si je n’étais poëte ne vous étonnez point que j’aime les guerriers souvent pleurant sur eux dans ma douleur muette j’ai trouvé leur cyprès plus beau que nos lauriers enfant sur un tambour ma crèche fut posée dans un casque pour moi l’eau sainte fut puisée un soldat m’ombrageant d’un belliqueux faisceau de quelques vieux lambeau d’une bannière usée fit les langes de mon berceau parmi les chars poudreux les armes éclatantes une muse des camps m’emporta sous les tentes je dormis sur l’affût des canons meurtriers j’aimai les fiers coursiers aux crinières flottantes et l’éperon froissant les rauques étriers j’aimai les forts tonnants aux abords difficiles le glaive nu des chefs guidant les rangs dociles la vedette perdue en un bois isolé et les vieux bataillons qui passaient dans les villes avec un drapeau mutilé mon envie admirait et le hussard rapide parant de gerbes d’or sa poitrine intrépide et le panache blanc des agiles lanciers et les dragons mêlant sur leur casque gépide le poil taché du tigre aux crins noirs des coursiers et j’accusais mon âge — ah dans une ombre obscure grandir vivre laisser refroidir sans murmure tout ce sang jeune et pur bouillant chez mes pareils qui dans un noir combat sur l’acier d’une armure coulerait à flots si vermeils — et j’invoquais la guerre aux scènes effrayantes je voyais en espoir dans les plaines bruyantes avec mille rumeurs d’hommes et de chevaux secouant à la fois leurs ailes foudroyantes l’un sur l’autre à grands cris fondre deux camps rivaux j’entendais le son clair des tremblantes cymbales le roulement des chars le sifflement des balles et de monceaux de morts semant leurs pas sanglants je voyais se heurter au loin par intervalles les escadrons étincelants ii avec nos camps vainqueurs dans l’europe asservie j’errai je parcourus la terre avant la vie et tout enfant encor les vieillards recueillis m’écoutaient racontant d’une bouche ravie mes jours si peu nombreux et déjà si remplis chez dix peuples vaincus je passai sans défense et leur respect craintif étonnait mon enfance dans l’âge où l’on est plaint je semblais protéger quand je balbutiais le nom chéri de france je faisais pâlir l’étranger je visitai cette île en noirs débris féconde plus tard premier degré d’une chute profonde le haut cenis dont l’aigle aime les rocs lointains entendit de son antre où l’avalanche gronde ses vieux glaçons crier sous mes pas enfantins vers l’adige et l’arno je vins des bords du rhône je vis de l’occident l’auguste babylone rome toujours vivante au fond de ses tombeaux reine du monde encor sur un débris de trône avec une pourpre en lambeaux puis turin puis florence aux plaisirs toujours prête naple aux bords embaumés où le printemps s’arrête et que vésuve en feu couvre d’un dais brûlant comme un guerrier jaloux qui témoin d’une fête jette au milieu des fleurs son panache sanglant l’espagne m’accueillit livrée à la conquête je franchis le bergare où mugit la tempête de loin pour un tombeau je pris l’escurial et le triple aqueduc vit s’incliner ma tête devant son front impérial là je voyais les feux des haltes militaires noircir les murs croulants des villes solitaires la tente de l’église envahissait le seuil les rires des soldats dans les saints monastères par l’écho répétés semblaient des cris de deuil iii je revins rapportant de mes courses lointaines comme un vague faisceau de lueurs incertaines je rêvais comme si j’avais durant mes jours rencontré sur mes pas les magiques fontaines dont l’onde enivre pour toujours l’espagne me montrait ses couvents ses bastilles burgos sa cathédrale aux gothiques aiguilles irun ses toits de bois vittoria ses tours et toi valladolid tes palais de familles fiers de laisser rouiller des chaînes dans leurs cours mes souvenirs germaient dans mon âme échauffée j’allais chantant des vers d’une voix étouffée et ma mère en secret observant tous mes pas pleurait et souriait disant c’est une fée qui lui parle et qu’on ne voit pas 1823 ode dixième à g… y o rus virgile il est pour tout mortel soit que loin de l’envie un astre aux rayons purs illumine sa vie soit qu’il suive à pas lents un cercle de douleurs et regrettant quelque ombre à son amour ravie veille auprès de sa lampe et répande des pleurs il est des jours de paix d’ivresse et de mystère où notre cœur savoure un charme involontaire où l’air vibre animé d’ineffables accords comme si l’âme heureuse entendait de la terre le bruit vague et lointain de la cité des morts souvent ici domptant mes douleurs étouffées mon bonheur s’éleva comme un château de fées avec ses murs de nacre aux mobiles couleurs ses tours ses portes d’or ses pièges ses trophées et ses fruits merveilleux et ses magiques fleurs puis soudain tout fuyait sur d’informes décombres tout à tour à mes yeux passaient de pâles ombres d’un crêpe nébuleux le ciel était voilé et de spectres en deuil peuplant ces déserts sombres un tombeau dominait le palais écroulé vallon j’ai bien souvent laissé dans ta prairie comme une eau murmurante errer ma rêverie je n’oublîrai jamais ces fugitifs instants ton souvenir sera dans mon âme attendrie comme un son triste et doux qu’on écoute longtemps 1823 ode onzième paysage hoc erat in votis horace lorsque j’étais enfant viens me disait la muse viens voir le beau génie assis sur mon autel il n’est dans mes trésors rien que je te refuse soit que l’altier clairon ou l’humble cornemuse attendent ton souffle immortel mais fuis d’un monde étroit l’impure turbulence là rampent les ingrats là règnent les méchants sur un luth inspiré lorsqu’une âme s’élance il faut que l’écoutant dans un chaste silence l’écho lui rende tous ses chants choisis quelque désert pour y cacher ta vie dans une ombre sacrée emporte ton flambeau heureux qui loin des pas d’une foule asservie dérobant ses concerts aux clameurs de l’envie lègue sa gloire à son tombeau l’horizon de ton âme est plus haut que la terre mais cherche à ta pensée un monde harmonieux où tout en l’exaltant charme ton cœur austère où des saintes clartés que nulle ombre n’altère le doux reflet suive tes yeux qu’il soit un frais vallon ton paisible royaume où parmi l’églantier le saule et le glaïeul tu penses voir parfois errant comme un fantôme ces magiques palais qui naissent sous le chaume dans les beaux contes de l’aïeul qu’une tour en ruine au flanc de la montagne pende et jette son ombre aux flots d’un lac d’azur le soir qu’un feu de pâtre au fond de la campagne comme un ami dont l’œil de loin nous accompagne perce le crépuscule obscur quand guidant sur le lac deux rames vagabondes le ciel dans ce miroir t’offrira ses tableaux qu’une molle nuée en déroulant ses ondes montre à tes yeux baissés sur les vagues profondes des flots se jouant dans les flots que visitant parfois une île solitaire et des bords ombragés de feuillages mouvants tu puisses savourant ton exil volontaire en silence épier s’il est quelque mystère dans le bruit des eaux et des vents qu’à ton réveil joyeux les chants des jeunes mères t’annoncent et l’enfance et la vie et le jour qu’un ruisseau passe auprès de tes fleurs éphémères comme entre les doux soins et les tendres chimères passent l’espérance et l’amour qu’il soit dans la contrée un souvenir fidèle de quelque bon seigneur de hauteur dépourvu ami de l’indigence et toujours aimé d’elle et que chaque vieillard le citant pour modèle dise vous ne l’avez pas vu loin du monde surtout mon culte te réclame sois le prophète ardent qui vit le ciel ouvert dont l’œil au sein des nuits brillait comme une flamme et qui de l’esprit sain ayant rempli son âme allait parlant dans le désert tu le disais ô muse et la cité bruyante autour de moi pourtant mêle ses mille voix muse et je ne fuis pas la sphère tournoyante où le sort agitant la foule imprévoyante meut tant de destins à la fois c’est que pour m’amener au terme où tout aspire il m’est venu du ciel un guide au front joyeux pour moi l’air le plus pur est l’air qu’elle respire je vois tous mes bonheurs muse dans son sourire et tous mes rêves dans ses yeux 1823 ode douzième encore à toi et nunc et semper ahora y siempre devise des pomfret à toi toujours à toi que chanterait ma lyre à toi l’hymne d’amour à toi l’hymne d’hymen quel autre nom pourrait éveiller mon délire ai je appris d’autres chants sais je un autre chemin c’est toi dont le regard éclaire ma nuit sombre toi dont l’image luit sur mon sommeil joyeux c’est toi qui tiens ma main quand je marche dans l’ombre et les rayons du ciel me viennent de tes yeux mon destin est gardé par ta douce prière elle veille sur moi quand mon ange s’endort lorsque mon cœur entend ta voix modeste et fière au combat de la vie il provoque le sort n’est il pas dans le ciel de voix qui te réclame n’es tu pas une fleur étrangère à nos champs sœur des vierges du ciel ton âme est pour mon âme le reflet de leurs feux et l’écho de leurs chants quand ton œil noir et doux me parle et me contemple quand ta robe m’effleure avec un léger bruit je crois avoir touché quelque voile du temple je dis comme tobie un ange est dans ma nuit lorsque de mes douleurs tu chassas le nuage je compris qu’à ton sort mon sort devait s’unir pareil au saint pasteur lassé d’un long voyage qui vit vers la fontaine une vierge venir je t’aime comme un être au dessus de ma vie comme une antique aïeule aux prévoyants discours comme une sœur craintive à mes maux asservie comme un dernier enfant qu’on a dans ses vieux jours hélas je t’aime tant qu’à ton nom seul je pleure je pleure car la vie est si pleine de maux dans ce morne désert tu n’as point de demeure et l’arbre où l’on s’assied lève ailleurs ses rameaux mon dieu mettez la paix et la joie auprès d’elle ne troublez pas ses jours ils sont à vous seigneur vous devez la bénir car son âme fidèle demande à la vertu le secret du bonheur 1823 ode treizième son nom nomen aut numen le parfum d’un lys pur l’éclat d’une auréole la dernière rumeur du jour la plainte d’un ami qui s’afflige et console l’adieu mystérieux de l’heure qui s’envole le doux bruit d’un baiser d’amour l’écharpe aux sept couleurs que l’orage en la nue laisse comme un trophée au soleil triomphant l’accent inespéré d’une voix reconnue le vœu le plus secret d’une vierge ingénue le premier rêve d’un enfant le chant d’un chœur lointain le soupir qu’à l’aurore rendait le fabuleux memnon le murmure d’un son qui tremble et s’évapore… tout ce que la pensée a de plus doux encore ô lyre est moins doux que son nom prononce le tout bas ainsi qu’une prière mais que dans tous nos chants il résonne à la fois qu’il soit du temple obscur la secrète lumière qu’il soit le mot sacré qu’au fond du sanctuaire redit toujours la même voix ô mes amis avant qu’en paroles de flamme ma muse égarant son essor ose aux noms profanés qu’un vain orgueil proclame mêler ce chaste nom que l’amour dans mon âme a caché comme un saint trésor il faudra que le chant de mes hymnes fidèles soit comme un de ces chants qu’on écoute à genoux et que l’air soit ému de leurs voix solennelles comme si secouant ses invisibles ailes un ange passait près de nous 1823 ode quatorzième actions de grâces j’ai présenté mon cœur au dieu de l’innocence gilbert ceux qui auront semé dans les larmes moissonneront dans l’allégresse ps cxxv 5 vous avez dans le port poussé ma voile errante ma tige a refleuri de sève et de verdeur seigneur je vous bénis de ma lampe mourante votre souffle vivant rallume la splendeur surpris par l’ouragan comme un aiglon sans ailes qui tombe du grand chêne au pied de l’arbrisseau faible enfant du malheur j’ai su les lois cruelles l’orage m’assaillit voguant dans mon berceau oui la vie a pour moi commencé dès l’enfance quoique le ciel jamais n’ait foudroyé de fleurs et qu’il ne veuille pas qu’un être sans défense mêle à ses premiers jours l’amertume des pleurs la jeunesse en riant m’apporta ses mensonges son avenir de gloire et d’amour et d’orgueil mais quand mon cœur brûlant poursuivait ces beaux songes hélas je m’éveillai dans la nuit d’un cercueil alors je m’exilai du milieu de mes frères calme car ma douleur n’était pas le remords j’accompagnais de loin les pompes funéraires l’hymne de l’orphelin est écouté des morts l’œil tourné vers le ciel je marchais dans l’abîme bien souvent de mon sort bravant l’injuste affront les flammes ont jailli de ma pensée intime et la langue de feu descendit sur mon front mon esprit de pathmos connut le saint délire l’effroi qui le précède et l’effroi qui le suit et mon âme était triste et les chants de ma lyre étaient comme ces voix qui pleurent dans la nuit j’ai vu sans murmurer la fuite de ma joie seigneur à l’abandon vous m’aviez condamné j’ai sans plainte au désert tenté la triple voie et je n’ai pas maudit le jour où je suis né voici la vérité qu’au monde je révèle du ciel dans mon néant je me suis souvenu louez dieu la brebis vient quand l’agneau l’appelle j’appelais le seigneur le seigneur est venu il m’a dit — va mon fils ma loi n’est pas pesante toi qui dans la nuit même as suivi mes chemins tu ceindras des heureux la robe éblouissante parmi les innocents tu laveras tes mains — je ne veux plus de loin t’offrir ma vie obscure gloire immortel reflet de l’éternel flambeau du génie en son cours trace éclatante et pure ou rayon merveilleux émané d’un tombeau un ange sur mon cœur ploie aujourd’hui ses ailes pour elle un orphelin n’est pas un étranger les heures de mes jours à ses côtés sont belles car son joug est aimable et son fardeau léger vous avez dans le port poussé ma voile errante ma tige a refleuri de sève et de verdeur seigneur je vous bénis de ma lampe mourante votre souffle vivant rallume la splendeur août 1823 ode quinzième à mes amis et in arcadiâ ego oh combien est heureux celui qui solitaire ne va point mendiant de ce sot populaire l’appui ni la faveur qui paisible s’étant retiré de la cour et du monde inconstant ne s’entremêlant point des affaires publiques ne s’assujettissant aux plaisirs tyranniques d’un seigneur ignorant et ne vivant qu’à soi est lui même sa cour son seigneur et son roi jean de la taille sans monter au char de victoire meurt le poëte créateur son siècle est trop près de sa gloire pour en mesurer la hauteur c’est bélisaire au capitole la foule court à quelque idole et jette en passant une obole au mendiant triomphateur amis dans ma douce retraite à tous vos maux je dis adieu là ma vie est molle et secrète j’ai des autels pour chaque dieu le myrte qu’au laurier j’enchaîne y croît sous l’ombrage du chêne j’y mets horace avec mécène et corneille sans richelieu là dans l’ombre descend ma muse à l’œil fier aux traits ingénus image éclatante et confuse des anges à l’homme inconnus ses rayons cherchent le mystère son aile chaste et solitaire jamais ne permet à la terre d’effleurer ses pieds blancs et nus là je cache un hymen prospère et sur mon seuil hospitalier parfois tu t’assieds ô mon père comme un antique chevalier ma famille est ton humble empire et mon fils avec un sourire dort aux sons de ma jeune lyre bercé dans ton vieux bouclier août 1823 ode seizième à l’ombre d’un enfant qui es in cælis oh parmi les soleils les sphères les étoiles les portiques d’azur les palais de saphir parmi les saints rayons parmi les sacrés voiles qu’agite un éternel zéphyr dans le torrent d’amour où toute âme se noie où s’abreuve de feux le séraphin brûlant dans l’orbe flamboyant qui sans cesse tournoie autour du trône étincelant parmi les jeux sans fin des âmes enfantines quand leurs soins d’un vieil astre égaré dans les cieux avec de longs efforts et des voix argentines guident les chancelants essieux ou lorsqu’entre ses bras quelque vierge ravie les prend d’un sain baiser leur imprime le sceau et rit leur demandant si l’aspect de la vie les effrayait dans leur berceau ou qu’enfin dans son arche éclatante et profonde rangeant de cieux en cieux son cortège ébloui jésus pour accomplir ce qui fut dit au monde les place le plus près de lui oh dans ce monde auguste où rien n’est éphémère dans ces flots de bonheur que ne trouble aucun fiel enfant loin du sourire et des pleurs de ta mère n’es tu pas orphelin au ciel octobre 1823 ode dix septième à une jeune fille pourquoi te plaindre tendre fille tes jours n’appartiennent ils pas à la première jeunesse daïno lithuanien vous qui ne savez pas combien l’enfance est belle enfant n’enviez point notre âge de douleurs où le cœur tour à tour est esclave et rebelle où le rire est souvent plus triste que vos pleurs votre âge insouciant est si doux qu’on l’oublie il passe comme un souffle au vaste champ des airs comme une voix joyeuse en fuyant affaiblie comme un alcyon sur les mers oh ne vous hâtez point de mûrir vos pensées jouissez du matin jouissez du printemps vos heures sont des fleurs l’une à l’autre enlacées ne les effeuillez pas plus vite que le temps laissez venir les ans le destin vous dévoue comme nous aux regrets à la fausse amitié à ces maux sans espoir que l’orgueil désavoue à ces plaisirs qui font pitié riez pourtant du sort ignorez la puissance riez n’attristez pas votre front gracieux votre œil d’azur miroir de paix et d’innocence qui révèle votre âme et réfléchit les cieux février 1825 ode dix huitième aux ruines de montfort l’amaury nec potuit ferrum neque edax abolere vetustas la voyez vous croître la tour du vieux cloître et le grand mur noir du royal manoir alfred de vigny i je vous aime ô débris et surtout quand l’automne prolonge en vos échos sa plainte monotone sous vos abris croulants je voudrais habiter vieilles tours que le temps l’une vers l’autre incline et qui semblez de loin sur la haute colline deux noirs géants prêts à lutter lorsque d’un pas rêveur foulant les grandes herbes je monte jusqu’à vous restes forts et superbes je contemple longtemps vos créneaux meurtriers et la tour octogone et ses briques rougies et mon œil à travers vos brèches élargies voit jouer des enfants où mouraient des guerriers écartez de vos murs ceux que leur chute amuse laissez le seul poëte y conduire sa muse lui qui donne du moins une larme au vieux fort et si l’air froid des nuits sous vos arceaux murmure croit qu’une ombre a froissé la gigantesque armure d’amaury comte de monfort ii là souvent je m’assieds aux jours passés fidèle sur un débris qui fut un mur de citadelle je médite longtemps en mon cœur replié et la ville à mes pieds d’arbres enveloppée étend ses bras en croix et s’allonge en épée comme le fer d’un preux dans la plaine oublié mes yeux errent du pied de l’antique demeure sur les bois éclairés ou sombres suivant l’heure sur l’église gothique hélas prête à crouler et je vois dans le champ où la mort nous appelle sous l’arcade de pierre et devant la chapelle le sol immobile onduler foulant créneaux ogive écussons astragales m’attachant comme un lierre aux pierres inégales au faîte des grands murs je m’élève parfois là je mêle des chants au sifflement des brises et dans les cieux profonds suivant ses ailes grises jusqu’à l’aigle effrayé j’aime à lancer ma voix là quelquefois j’entends le luth doux et sévère d’un ami qui sait rendre aux vieux temps un trouvère nous parlons des héros du ciel des chevaliers de ces âmes en deuil dans le monde orphelines et le vent qui se brise à l’angle des ruines gémit dans les hauts peupliers octobre 1825 ode dix neuvième le voyage … je veux que mon retour te paraisse bien long je veux que nuit et jour tu m’aimes nuit et jour hélas je me tourmente — présente au milieu d’eux sois seule sois absente dors en pensant à moi rêve moi près de toi ne vois que moi sans cesse et sois toute avec moi andré chénier i le cheval fait sonner son harnois qu’il secoue et l’éclair du pavé va jaillir sous la roue il faut partir adieu de ton cœur inquiet chasse la crainte amère adieu point de faiblesse mais quoi le char s’ébranle et m’emporte et te laisse… hélas j’ai cru qu’il t’oubliait oh suis le bien longtemps d’une oreille attentive ne t’en va pas avant d’avoir triste et pensive écouté des coursiers s’évanouir le bruit l’un à l’autre déjà l’espace nous dérobe je ne vois plus de loin flotter ta blanche robe et toi tu n’entends plus rouler le char qui fuit … quoi plus même un vain bruit plus même une vaine ombre l’absence a sur mon âme étendu sa nuit sombre c’en est fait chaque pas m’y plonge plus avant et dans cet autre enfer plein de douleurs amères de tourments insensés d’angoisses de chimères me voilà descendu vivant ii que faire maintenant de toutes mes pensées de mon front qui dormait dans tes mains enlacées de tout ce que j’entends de tout ce que je vois que faire de mes maux sans toi pleins d’amertume de mes yeux dont la flamme à tes regards s’allume de ma voix qui ne sait parler qu’après ta voix et mon œil tour à tour distrait suit dans l’espace chaque arbre du chemin qui paraît et qui passe les bois verts le flot d’or de la jaune moisson et les monts et du soir l’étincelante étoile et les clochers aigus et les villes que voile un dais de brume à l’horizon qu’importent les bois verts la moisson la colline et l’astre qui se lève et l’astre qui décline et la plaine et les monts si tu ne les vois pas que me font ces châteaux ruines féodales si leur donjon moussu n’entend point sur ses dalles tes pas légers courir à côté de mes pas ainsi donc aujourd’hui demain après encore il faudra voir sans toi naître et mourir l’aurore sans toi sans ton sourire et ton regard joyeux sans t’entendre marcher près de moi quand je rêve sans que ta douce main quand mon front se soulève se pose en jouant sur mes yeux pourtant il faut encore à tant d’ennuis en proie dans mes lettres du soir t’envoyer quelque joie dire console toi le calme m’est rendu — quand je crains chaque instant qui loin de toi s’écoule et qu’inventant des maux qui t’assiégent en foule chaque heure est sur ma tête un glaive suspendu iii que fais tu maintenant près du foyer sans doute la carte est déployée et ton œil suit ma route tu dis où peut il être ah qu’il trouve en tous lieux de tendres soins un cœur qui l’estime et qui l’aime et quelque bonne hôtesse ayant comme moi même un être cher sous d’autres cieux comme il s’éloigne vite hélas j’en suis certaine il a déjà franchi cette ville lointaine ces forêts ce vieux pont d’un grand exploit témoin peut être en ce moment il roule en ces vallées par une croix sinistre aux passants signalées où l’an dernier… — pourvu qu’il soit déjà plus loin et mon père essuyant une larme qui brille t’invite en souriant à sourire à ta fille rassurez vous bientôt nous le reverrons tous il rit il est tranquille il visite à cette heure de quelque vieux héros la tombe ou la demeure il prie à quelque autel pour vous car vous le savez bien ma fille il aime encore ces créneaux ces portails qu’un art naïf décore il nous a dit souvent assis à vos côtés l’ogive chez les goths de l’orient venue et la flèche romane aiguisant dans la nue ses huit angles de pierre en écailles sculptés iv et puis le vétéran à ta douleur trompée conte sa vie errante et nos grands coups d’épée et quelque ancien combat du tage ou du tésin et l’empereur du siècle imposante merveille — tout en baissant sa voix de peur qu’elle n’éveille ton enfant qui dort sur ton sein 5 9 octobre 1825 ode vingtième promenade ni dans la grande salle ni dans la chambre peinte mais dans le riant et vert bocage parmi les lys en fleur ballade de robin hood voici les lieux chers à ma rêverie voici les prés dont j’ai chanté les fleurs… amable tastu la lyre égarée ceins le voile de gaze aux pudiques couleurs où ta féconde aiguille a semé tant de fleurs viens respirer sous les platanes couvre toi du tissu trésor de cachemir qui peut être a caché le poignard d’un émir ou le sein jaloux des sultanes aux lueurs du couchant vois fumer les hameaux la vapeur monte et passe ainsi s’en vont nos maux gloire ambition renommée nous brillons tour à tour jouets d’un fol espoir tel ce dernier rayon ce dernier vent du soir dore et berce un peu de fumée à l’heure où le jour meurt à l’horizon lointain qu’il m’est doux près d’un cœur qui bat pour mon destin d’égarer mes pas dans la plaine qu’il m’est doux près de toi d’errer libre d’ennuis quand tu mêles pensive à la brise des nuits le parfum de ta douce haleine c’est pour un tel bonheur dès l’enfance rêvé que j’ai longtemps souffert et que j’ai tout bravé dans nos temps de fureurs civiles je te dois une paix que rien ne peut troubler plus de vide en mes jours pour moi tu sais peupler tous les déserts même les villes chaque étoile à son tour vient apparaître au ciel tels quand un grand festin d’ambroisie et de miel embaume une riche demeure souvent sur le velours et le damas soyeux on voit les plus hâtifs des convives joyeux s’asseoir au banquet avant l’heure vois — c’est un météore il éclate et s’éteint plus d’un grand homme aussi d’un mal secret atteint rayonne et descend dans la tombe le vulgaire l’ignore et suit le tourbillon au laboureur courbé le soir sur le sillon qu’importe l’étoile qui tombe ah tu n’es point ainsi toi dont les nobles pleurs de toute âme sublime honorent les malheurs toi qui gémis sur le poëte toi qui plains la victime et surtout les bourreaux qui visites souvent la tombe des héros silencieuse et non muette si quelque ancien château devant tes pas distraits lève son donjon noir sur les noires forêts bien loin de la ville importune tu t’arrêtes soudain et ton œil tour à tour cherche et perd à travers les créneaux de la tour le pâle croissant de la lune c’est moi qui t’inspirai d’aimer ces vieux piliers ces temples où jadis les jeunes chevaliers priaient armés par leur marraine ces palais où parfois le poëte endormi a senti sur sa bouche entr’ouverte à demi tomber le baiser d’une reine mais rentrons vois le ciel d’ombres s’environner déjà le frêle esquif qui nous doit ramener sur les eaux du lac étincelle cette barque ressemble à nos jours inconstants qui flottent dans la nuit sur l’abîme des temps le gouffre porte la nacelle la vie à chaque instant fuit vers l’éternité et le corps sur la terre où l’âme l’a quitté reste comme un fardeau frivole ainsi quand meurt la rose aux royales couleurs sa feuille que l’aurore en vain baigne de pleurs tombe et son doux parfum s’envole 12 octobre 1825 ode vingt et unième à ramon duc de benav la tristesse accompagne toujours la gloire du monde imitation de jésus christ latet alto pectore vulnus virgile por la boca de su berida guilien de castro hélas j’ai compris ton sourire semblable au ris du condamné quand le mot qui doit le proscrire à son oreille a résonné en pressant ta main convulsive j’ai compris ta douleur pensive et ton regard morne et profond qui pareil à l’éclair des nues brille sur des mers inconnues mais ne peut en montrer le fond pourquoi faut il donc qu’on me plaigne m’as tu dit je n’ai pas gémi jamais de mes pleurs je ne baigne la main d’un frère ou d’un ami je n’en ai pas puisqu’à ma vie la joie est pour toujours ravie qu’on m’épargne au moins la pitié je paye assez mon infortune pour que nulle voix importune n’ose en réclamer la moitié d’ailleurs vaut elle tant de larmes appelle t on cela malheur — oui ce qui pour l’homme a des charmes pour moi n’a qu’ennuis et douleur sur mon passé rien ne surnage des vains rêves de mon jeune âge que le sort chaque jour dément l’amour éteint pour moi sa flamme et jamais la voix d’une femme ne dira mon nom doucement jamais d’enfants jamais d’épouse nul cœur près du mien n’a battu jamais une bouche jalouse ne m’a demandé d’où viens tu point d’espérance qui me reste mon avenir sombre et funeste ne m’offre que des jours mauvais dans cet horizon de ténèbres ont passé vingt spectres funèbres jamais l’ombre que je rêvais ma tête ne s’est point courbée mais la main du sort ennemi est plus lourdement retombée sur mon front toujours raffermi à la jeunesse qui s’envole à la gloire au plaisir frivole j’ai dit l’adieu fier de caton toutes fleurs pour moi sont fanées mais c’est l’ordre des destinées et si je souffre qu’en sait on esclaves d’une loi fatale sachons taire les maux soufferts pourquoi veux tu donc que j’étale la meurtrissure de mes fers aux yeux que la misère effraie qu’importe ma secrète plaie passez je dois vivre isolé vos voix ne sont qu’un bruit sonore passez tous j’aime mieux encore souffrir que d’être consolé je n’appartiens plus à la vie qu’importe si parfois mes yeux soit qu’on me plaigne ou qu’on m’envie lancent un feu sombre ou joyeux qu’importe quand la coupe est vide que ses bords sur la lèvre avide laissent encore un goût amer a t il vaincu le flot qui gronde le vaisseau qui perdu sous l’onde lève encore son mât sur la mer qu’importe mon deuil solitaire d’autres coulent des jours meilleurs qu’est ce que le bruit de la terre un concert de ris et de pleurs je veux comme tous les fils d’ève sans qu’une autre main le soulève porter mon fardeau jusqu’au soir à la foule qui passe et tombe qu’importe au seuil de quelle tombe mon ombre un jour ira s’asseoir ainsi quand tout bas tu soupires de ton cœur partent des sanglots comme un son s’échappe des lyres comme un murmure sort des flots va ton infortune est ta gloire les fronts marqués par la victoire ne se couronnent pas de fleurs de ton sein la joie est bannie mais tu sais bien que le génie prélude à ses chants par des pleurs comme un soc de fer dès l’aurore fouille le sol de son tranchant et l’ouvre et le sillonne encore aux derniers rayons du couchant sur chaque heure qui t’est donnée revient l’infortune acharnée infatigable à t’obséder mais si de son glaive de flamme le malheur déchire ton âme ami c’est pour la féconder 1er novembre 1825 à mlle j d de m ode vingt deuxième le portrait d’une enfant pictura poesis horace quand ie voy tant de couleurs et de fleurs qui esmaillent un riuage ie pense voir le beau teint qui est peint si vermeil en son visage quand ie sens parmi les prez diaprez les fleurs dont la terre est pleine lors ie fais croire à mes sens que ie sens la douceur de son haleine ronsard i oui ce front ce sourire et cette fraîche joue c’est bien l’enfant qui pleure et joue et qu’un esprit du ciel défend de ses doux traits ravis à la sainte phalange c’est bien le délicat mélange poëte j’y crois voir un ange père j’y trouve mon enfant on devine à ses yeux pleins d’une pure flamme qu’au paradis d’où vient son âme elle a dit un récent adieu son regard rayonnant d’une joie éphémère semble en suivre encor la chimère et revoir dans sa douce mère l’humble mère de l’enfant dieu on dirait qu’elle écoute un chœur de voix célestes que de loin des vierges modestes elle entend l’appel gracieux à son joyeux regard à son naïf sourire on serait tenté de lui dire — jeune ange quel fut ton martyre et quel est ton nom dans les cieux ii ô toi dont le pinceau me la fit si touchante tu me la peins je te la chante car tes nobles travaux vivront une force virile à ta grâce est unie tes couleurs sont une harmonie et dans ton enfance un génie mit une flamme sur ton front sans doute quelque fée à ton berceau venue des sept couleurs que dans la nue suspend le prisme aérien des roses de l’aurore humide et matinale des feux de l’aube boréale fit une palette idéale pour ton pinceau magicien 6 novembre 1825 ode vingt troisième à madame la comtesse a h sur ma lyre l’autre fois dans un bois ma main préludait à peine une colombe descend en passant blanche sur le luth d’ébène mais au lieu d’accords touchants de doux chants la colombe gémissante me demande par pitié sa moitié sa moitié loin d’elle absente sainte beuve oh quel que soit le rêve ou paisible ou joyeux qui dans l’ombre à cette heure illumine tes yeux c’est le bonheur qu’il te signale loin des bras d’un époux qui n’est encor qu’amant dors tranquille ma sœur passe la doucement ta dernière nuit virginale dors nous prîrons pour toi jusqu’à ce beau matin tu devais être à nous et c’était ton destin et rien ne pouvait t’y soustraire oui la voix de l’autel va te nommer ma sœur mais ce n’est que l’écho d’une voix de mon cœur qui déjà me nommait ton frère dors cette nuit encor d’un sommeil pur et doux demain serments transports caresses d’un époux festins que la joie environne et soupirs inquiets dans ton sein renaissant quand une main fera de ton front rougissant tomber la tremblante couronne ah puisse dès demain se lever sur tes jours un bonheur qui jamais ne s’éclipse et toujours brille plus beau qu’un rêve même vers le ciel étoilé laisse monter nos vœux dors en paix cette nuit où nous veillons tous deux moi qui te chante et lui qui t’aime nuit du 19 au 20 décembre 1827 ode vingt quatrième pluie d’été l’aubépine et l’églantin et le thym l’œillet le lys et les roses en cette belle saison à foison montrent leurs robes écloses le gentil rossignolet doucelet découpe dessous l’ombrage mille fredons babillards frétillards aux doux sons de son ramage rémi belleau que la soirée est fraîche et douce oh viens il a plu ce matin les humides tapis de mousse verdissent tes pieds de satin l’oiseau vole sous les feuillées secouant ses ailes mouillées pauvre oiseau que le ciel bénit il écoute le vent bruire chante et voit des gouttes d’eau luire comme des perles dans son nid la pluie a versé ses ondées le ciel reprend son bleu changeant les terres luisent fécondées comme sous un réseau d’argent le petit ruisseau de la plaine pour une heure enflé roule et traîne brins d’herbe lézards endormis court et précipitant son onde du haut d’un caillou qu’il inonde fait des niagaras aux fourmis tourbillonnant dans ce déluge des insectes sans avirons voguent pressés frêle refuge sur des ailes de moucherons d’autres pendent comme à des îles à des feuilles errants asiles heureux dans leur adversité si perçant les flots de sa cime une paille au bord de l’abîme retient leur flottante cité les courants ont lavé le sable au soleil montent les vapeurs et l’horizon insaisissable tremble et fuit sous leurs plis trompeurs on voit seulement sous leurs voiles comme d’incertaines étoiles des points lumineux scintiller et les monts de la brume enfuie sortir et ruisselants de pluie les toits d’ardoise étinceler viens errer dans la plaine humide à cette heure nous serons seuls mets sur mon bras ton bras timide viens nous prendrons par les tilleuls le soleil rougissant décline avant de quitter la colline tourne un moment tes yeux pour voir avec ses palais ses chaumières rayonnants des mêmes lumières la ville d’or sur le ciel noir oh vois voltiger les fumées sur les toits de brouillards baignés là sont des épouses aimées là des cœurs doux et résignés la vie hélas dont on s’ennuie c’est le soleil après la pluie… le voilà qui baisse toujours de la ville que ses feux noient toutes les fenêtres flamboient comme des yeux au front des tours l’arc en ciel l’arc en ciel regarde — comme il s’arrondit pur dans l’air quel trésor le dieu bon nous garde après le tonnerre et l’éclair que de fois sphères éternelles mon âme a demandé ses ailes implorant quelque ithuriel hélas pour savoir à quel monde mène cette courbe profonde arche immense d’un pont du ciel 7 juin 1828 ode vingt cinquième rêves en la amena soledad de aquesta apacible estancia bellisimo laberinto de arboles flores y plantas podeis dexarme dexando conmigo que ellos me bastan por companîa los libros que os mande sacar de casa que yo en tanto que antioquia cèlebra con fiestas tantas la fabrica de esse templo que oy à jupiter consagra · · · · · · · · · · · · · · · huyendo del gran bullicio que hay en sus calles y plazas passar estudiando quiero la edad que al dia le falta calderon el magico prodigioso i amis loin de la ville loin des palais de roi loin de la cour servile loin de la foule vile trouvez moi trouvez moi aux champs où l’âme oisive se recueille en rêvant sur une obscure rive où du monde n’arrive ni le flot ni le vent quelque asile sauvage quelque abri d’autrefois un port sur le rivage un nid sous le feuillage un manoir dans les bois trouvez le moi bien sombre bien calme bien dormant couvert d’arbres sans nombre dans le silence et l’ombre caché profondément que là sur toute chose fidèle à ceux qui m’ont mon vers plane et se pose tantôt sur une rose tantôt sur un grand mont qu’il puisse avec audace de tout nœud détaché d’un vol que rien ne lasse s’égarer dans l’espace comme un oiseau lâché ii qu’un songe au ciel m’enlève que plein d’ombre et d’amour jamais il ne s’achève et que la nuit je rêve à mon rêve du jour aussi blanc que la voile qu’à l’horizon je voi qu’il recèle une étoile et qu’il soit comme un voile entre la vie et moi que la muse qui plonge en ma nuit pour briller le dore et le prolonge et de l’éternel songe craigne de m’éveiller que toutes mes pensées viennent s’y déployer et s’asseoir empressées se tenant embrassées en cercle à mon foyer qu’à mon rêve enchaînées toutes l’œil triomphant le bercent inclinées comme des sœurs aînées bercent leur frère enfant iii on croit sur la falaise on croit dans les forêts tant on respire à l’aise et tant rien ne nous pèse voir le ciel de plus près là tout est comme un rêve chaque voix a des mots tout parle un chant s’élève de l’onde sur la grève de l’air dans les rameaux c’est une voix profonde un chœur universel c’est le globe qui gronde c’est le roulis du monde sur l’océan du ciel c’est l’écho magnifique des voix de jéhova c’est l’hymne séraphique du monde pacifique où va ce qui s’en va où sourde aux cris de femmes aux plaintes aux sanglots l’âme se mêle aux âmes comme la flamme aux flammes comme le flot aux flots iv ce bruit vaste à toute heure on l’entend au désert paris folle demeure pour cette voix qui pleure nous donne un vain concert oh la bretagne antique quelque roc écumant dans la forêt celtique quelque donjon gothique pourvu que seulement la tour hospitalière où je pendrai mon nid ait vieille chevalière un panache de lierre sur son front de granit pourvu que blasonnée d’un écusson altier la haute cheminée béante illuminée dévore un chêne entier que l’été la charmille me dérobe un ciel bleu que l’hiver ma famille dans l’âtre assise brille toute rouge au grand feu dans les bois mes royaumes si le soir l’air bruit qu’il semble à voir leurs dômes des têtes de fantômes se heurtant dans la nuit que des vierges abeilles dont les cieux sont remplis viennent sur moi vermeilles secouer dans mes veilles leur robe à mille plis qu’avec des voix plaintives les ombres des héros repassent fugitives blanches sous mes ogives sombres sur mes vitraux v si ma muse envolée porte son nid si cher et sa famille ailée dans la salle écroulée d’un vieux baron de fer c’est que j’aime ces âges plus beaux sinon meilleurs que nos siècles plus sages à leurs débris sauvages je m’attache et d’ailleurs l’hirondelle enlevée par son vol sur la tour parfois des vents sauvée choisit pour sa couvée un vieux nid de vautour sa famille humble et douce souvent en se jouant du bec remue et pousse tout brisé sur la mousse l’œuf de l’oiseau géant dans les armes antiques mes vers ainsi joueront et remuant des piques riront nains fantastiques de grands casques au front vi ainsi noués en gerbe reverdiront mes jours dans le donjon superbe comme une touffe d’herbe dans les brèches des tours mais donjon ou chaumière du monde délié je vivrai de lumière d’extase et de prière oubliant oublié 4 juin 1828 ballades 1823 1828 renouvelons aussi toute vieille pensée joachim du bellay iambes qu’il est doux qu’il est doux de conter des histoires des histoires du temps passé alfred de vigny ballade première une fée elle apparaît… comme ces figures dont le poëte voit les yeux étinceler à travers le feuillage sombre quand dans sa promenade du soir il rêve de l’amour et du ciel th moore amours des anges … la reine mab m’a visité c’est elle qui fait dans le sommeil veiller l’âme immortelle émile deschamps roméo et juliette que ce soit urgèle ou morgane j’aime en un rêve sans effroi qu’une fée au corps diaphane ainsi qu’une fleur qui se fane vienne pencher son front sur moi c’est elle dont le luth d’ivoire me redit sur un mâle accord vos contes qu’on n’oserait croire bons paladins si votre histoire n’était plus merveilleuse encor c’est elle aux choses qu’on révère qui m’ordonne de m’allier et qui veut que ma main sévère joigne la harpe du trouvère au gantelet du chevalier dans le désert qui me réclame cachée en tout ce que je vois c’est elle qui fait pour mon âme de chaque rayon une flamme et de chaque bruit une voix elle — qui dans l’onde agitée murmure en sortant du rocher et de me plaire tourmentée suspend la cigogne argentée au faîte aigu du noir clocher quand l’hiver mon foyer pétille c’est elle qui vient s’y tapir et me montre au ciel qui scintille l’étoile qui s’éteint et brille comme un œil prêt à s’assoupir qui lorsqu’en des manoirs sauvages j’erre cherchant nos vieux berceaux m’environnant de mille images comme un bruit du torrent des âges fait mugir l’air sous les arceaux elle — qui la nuit quand je veille m’apporte de confus abois et pour endormir mon oreille dans le calme du soir éveille un cor lointain au fond des bois que ce soit urgèle ou morgane j’aime en un rêve sans effroi qu’une fée au corps diaphane ainsi qu’une fleur qui se fane vienne pencher son front sur moi 1824 ballade deuxième le sylphe le vent le froid et l’orage contre l’enfant faisaient rage — ouvrez dit il je suis nu la fontaine imitation d’anacréon toi qu’en ces murs pareille aux rêveuses sylphides ce vitrage éclairé montre à mes yeux avides jeune fille ouvre moi voici la nuit j’ai peur la nuit qui peuplant l’air de figures livides donne aux âmes des morts des robes de vapeur vierge je ne suis point de ces pèlerins sages qui font de longs récits après de longs voyages ni de ces paladins qu’aime et craint la beauté dont le cor éveillant les varlets et les pages porte un appel de guerre à l’hospitalité je n’ai ni lourd bâton ni lance redoutée point de longs cheveux noirs point de barbe argentée ni d’humble chapelet ni de glaive vainqueur mon souffle dont une herbe est à peine agitée n’arrache au cor des preux qu’un murmure moqueur je suis l’enfant de l’air un sylphe moins qu’un rêve fils du printemps qui naît du matin qui se lève l’hôte du clair foyer durant les nuits d’hiver l’esprit que la lumière à la rosée enlève diaphane habitant de l’invisible éther ce soir un couple heureux d’une voix solennelle parlait tout bas d’amour et de flamme éternelle j’entendais tout près d’eux je m’étais arrêté ils ont dans un baiser pris le bout de mon aile et la nuit est venue avant ma liberté hélas il est trop tard pour rentrer dans ma rose châtelaine ouvre moi car ma demeure est close recueille un fils du jour égaré dans la nuit permets jusqu’à demain qu’en ton lit je repose je tiendrai peu de place et ferai peu de bruit mes frères ont suivi la lumière éclipsée ou les larmes du soir dont l’herbe est arrosée les lys leur ont ouvert leurs calices de miel où fuir … je ne vois plus de gouttes de rosée plus de fleurs dans les champs plus de rayons au ciel damoiselle entends moi de peur que la nuit sombre comme en un grand filet ne me prenne en son ombre parmi les spectres blancs et les fantômes noirs les démons dont l’enfer même ignore le nombre les hiboux du sépulcre et l’autour des manoirs voici l’heure où les morts dansent d’un pied débile la lune au pâle front les regarde immobile et le hideux vampire ô comble de frayeur soulevant d’un bras fort une pierre inutile traîne en sa tombe ouverte un tremblant fossoyeur bientôt nains monstrueux noirs de poudre et de cendre dans leur gouffre sans fond les gnômes vont descendre le follet fantastique erre sur les roseaux au frais ondin s’unit l’ardente salamandre et de bleuâtres feux se croisent sur les eaux oh … si pour amuser son ennui taciturne un mort parmi ses os m’enfermait dans son urne si quelque nécromant riant de mon effroi dans la tour d’où minuit lève sa voix nocturne liait mon vol paisible au sinistre beffroi que ta fenêtre s’ouvre … ah si tu me repousses il me faudra chercher quelques vieux nids de mousses à des lézards troublés livrer de grands combats… ouvre … mes yeux sont purs mes paroles sont douces comme ce qu’à sa belle un amant dit tout bas et je suis si joli si tu voyais mes ailes trembler aux feux du jour transparentes et frêles … j’ai la blancheur des lys où le soir nous fuyons et les roses nos sœurs se disputent entre elles mon souffle de parfums et mon corps de rayons je veux qu’un rêve heureux te révèle ma gloire près de moi ma sylphide en garde la mémoire les papillons sont lourds les colibris sont laids quand roi vêtu d’azur et de nacre et de moire je vais de fleurs en fleurs visiter mes palais j’ai froid l’ombre me glace et vainement je pleure si je pouvais t’offrir pour m’ouvrir ta demeure ma goutte de rosée ou mes corolles d’or mais non je n’ai plus rien il faudra que je meure chaque soleil me donne et me prend mon trésor que veux tu qu’en dormant je t’apporte en échange l’écharpe d’une fée ou le voile d’un ange j’embellirai ta nuit des prestiges du jour ton sommeil passera sans que ton bonheur change des beaux songes du ciel aux doux rêves d’amour mais mon haleine en vain ternit la vitre humide ô vierge crois tu donc que dans la nuit perfide la voix du sylphe errant cache un amant trompeur ne me crains pas c’est moi qui suis faible et timide et si j’avais une ombre hélas j’en aurais peur il pleurait tout à coup devant la tour antique s’éleva murmurant comme un appel mystique une voix… ce n’était sans doute qu’un esprit bientôt parut la dame à son balcon gothique — on ne sait si ce fut au sylphe qu’elle ouvrit 1823 ballade troisième la grand’mère to die — to sleep shakespeare dors tu … réveille toi mère de notre mère d’ordinaire en dormant ta bouche remuait car ton sommeil souvent ressemble à ta prière mais ce soir on dirait la madone de pierre ta lèvre est immobile et ton souffle est muet pourquoi courber ton front plus bas que de coutume quel mal avons nous fait pour ne plus nous chérir vois la lampe pâlit l’âtre scintille et fume si tu ne parles pas le feu qui se consume et la lampe et nous deux nous allons tous mourir tu nous trouveras morts près de la lampe éteinte alors que diras tu quand tu t’éveilleras tes enfants à leur tour seront sourds à ta plainte pour nous rendre la vie en invoquant ta sainte il faudra bien longtemps nous serrer dans tes bras donne nous donc tes mains dans nos mains réchauffées chante nous quelque chant de pauvre troubadour dis nous ces chevaliers qui servis par les fées pour bouquets à leur dame apportaient des trophées et dont le cri de guerre était un nom d’amour dis nous quel divin signe est funeste aux fantômes quel ermite dans l’air vit lucifer volant quel rubis étincelle au front du roi des gnômes et si le noir démon craint plus dans ses royaumes les psaumes de turpin que le fer de roland ou montre nous ta bible et les belles images le ciel d’or les saints bleus les saintes à genoux l’enfant jésus la crèche et le bœuf et les mages fais nous lire du doigt dans le milieu des pages un peu de ce latin qui parle à dieu de nous mère … — hélas par degrés s’affaisse la lumière l’ombre joyeuse danse autour du noir foyer les esprits vont peut être entrer dans la chaumière… oh sors de ton sommeil interromps ta prière toi qui nous rassurais veux tu nous effrayer dieu que tes bras sont froids rouvre les yeux… naguère tu nous parlais d’un monde où nous mènent nos pas et de ciel et de tombe et de vie éphémère tu parlais de la mort… dis nous ô notre mère qu’est ce donc que la mort … — tu ne nous réponds pas leur gémissante voix longtemps se plaignit seule la jeune aube parut sans réveiller l’aïeule la cloche frappa l’air de ses funèbres coups et le soir un passant par la porte entr’ouverte vit devant le saint livre et la couche déserte les deux petits enfants qui priaient à genoux 1823 ballade quatrième à trilby le lutin d’argail à vous ombre légère qui d’aile passagère par le monde volez et d’un sifflant murmure l’ombrageuse verdure doucement esbranlez j’offre ces violettes ces lys et ces fleurettes et ces roses ici ces vermeillettes roses tout fraischement escloses et ces œillets aussi vieille chanson c’est toi lutin — qui t’amène sur ce rayon du couchant es tu venu ton haleine me caresse en me touchant à mes yeux tu te révèles tu m’inondes d’étincelles et tes frémissantes ailes ont un bruit doux comme un chant ta voix de soupirs mêlée m’apporte un accent connu dans ma cellule isolée beau trilby sois bienvenu ma demeure hospitalière n’a point d’humble batelière dont ta bouche familière baise le sein demi nu viens tu dans l’âtre perfide chercher mon follet qui fuit et ma fée et ma sylphide qui me visitent sans bruit et m’apportent empressées sur leurs ailes nuancées le jour de douces pensées et de doux rêves la nuit viens tu pas voir mes ondines ceintes d’algue et de glaïeul mes nains dont les voix badines n’osent parler qu’à moi seul viens tu réveiller mes gnômes poursuivre en l’air les atomes et lutiner mes fantômes en jouant dans leur linceul hélas fuis … ces lieux que j’aime n’ont plus ces hôtes chéris des cruels à l’anathème ont livré tous mes esprits mon ondine est étouffée et comme un double trophée leurs mains ont cloué ma fée près de ma chauve souris mes spectres mes nains si frêles quand leur courroux gronde encor n’osent plus sur les tourelles s’appeler au son du cor ma cour magique en alarmes a fui leurs pesantes armes ils ont de mon sylphe en larmes arraché les ailes d’or toi même crains leur tonnerre crains un combat inégal plus que la voix centenaire qui jadis vengea dougal dont la cabane fumeuse voit durant la nuit brumeuse sur une roche écumeuse s’asseoir l’ombre de fingal celui qui de ta montagne t’a rapporté dans nos champs eut comme toi pour compagne l’espérance aux vœux touchants longtemps la france sa mère vit fuir sa jeunesse amère dans l’exil où comme homère il n’emportait que ses chants à la fois triste et sublime grave en son vol gracieux le poëte aime l’abîme où fuit l’aigle audacieux le parfum des fleurs mourantes l’or des comètes errantes et les cloches murmurantes qui se plaignent dans les cieux aime un désert sauvage où rien ne borne ses pas son cœur pour fuir l’esclavage vit plus loin que le trépas quand l’opprimé le réclame des peuples il devient l’âme il est pour eux une flamme que le tyran n’éteint pas tel est nodier le poëte — va dis à ce noble ami que ma tendresse inquiète de tes périls a frémi dis lui bien qu’il te surveille de tes jeux charme sa veille enfant et lorsqu’il sommeille dors sur son front endormi n’erre pas à l’aventure car on en veut aux trilbys crains les maux et la torture que mon doux sylphe a subis s’ils te prenaient quelle gloire ils souilleraient d’encre noire hélas ton manteau de moire ton aigrette de rubis ou pour danser avec faune contraignant tes pas tremblants leurs satyres au pied jaune leurs vieux sylvains pétulants joindraient tes mains enchaînées aux vieilles mains décharnées de leurs naïades fanées mortes depuis deux mille ans 8 10 avril 1825 ballade cinquième le géant les nuées du ciel elles mêmes craignent que je ne vienne chercher mes ennemis dans leur sein… mottenabi ô guerriers je suis né dans le pays des gaules mes aïeux franchissaient le rhin comme un ruisseau ma mère me baigna dans la neige des pôles tout enfant et mon père aux robustes épaules de trois grandes peaux d’ours décora mon berceau car mon père était fort l’âge à présent l’enchaîne de son front tout ridé tombent ses cheveux blancs il est faible il est vieux sa fin est si prochaine qu’à peine il peut encor déraciner un chêne pour soutenir ses pas tremblants c’est moi qui le remplace et j’ai sa javeline ses bœufs son arc de fer ses haches ses colliers moi qui peux succédant au vieillard qui décline les pieds dans le vallon m’asseoir sur la colline et de mon souffle au loin courber les peupliers à peine adolescent sur les alpes sauvages de rochers en rochers je m’ouvrais des chemins ma tête ainsi qu’un mont arrêtait les nuages et souvent dans les cieux épiant leurs passages j’ai pris des aigles dans mes mains je combattais l’orage et ma bruyante haleine dans leur vol anguleux éteignait les éclairs ou joyeux devant moi chassant quelque baleine l’océan à mes pas ouvrait sa vaste plaine et mieux que l’ouragan mes jeux troublaient les mers j’errais je poursuivais d’une atteinte trop sûre le requin dans les flots dans les airs l’épervier l’ours étreint dans mes bras expirait sans blessure et j’ai souvent l’hiver brisé dans leur morsure les dents blanches du loup cervier ces plaisirs enfantins pour moi n’ont plus de charmes j’aime aujourd’hui la guerre et son mâle appareil les malédictions des familles en larmes les camps et le soldat bondissant dans ses armes qui vient du cri d’alarme égayer mon réveil dans la poudre et le sang quand l’ardente mêlée broie et roule une armée en bruyants tourbillons je me lève je suis sa course échevelée et comme un cormoran fond sur l’onde troublée je plonge dans les bataillons ainsi qu’un moissonneur parmi des gerbes mûres dans les rangs écrasés seul debout j’apparais leurs clameurs dans ma voix se perdent en murmures et mon poing désarmé martelle les armures mieux qu’un chêne noueux choisi dans les forêts je marche toujours nu ma valeur souveraine rit des soldats de fer dont vos camps sont peuplés je n’emporte au combat que ma pique de frêne et ce casque léger que traîneraient sans peine dix taureaux au joug accouplés sans assiéger les forts d’échelles inutiles des chaînes de leurs ponts je brise les anneaux mieux qu’un bélier d’airain je bats leurs murs fragiles je lutte corps à corps avec les tours des villes pour combler les fossés j’arrache les créneaux oh quand mon tour viendra de suivre mes victimes guerriers ne laissez pas ma dépouille au corbeau ensevelissez moi parmi des monts sublimes afin que l’étranger cherche en voyant leurs cimes quelle montagne est mon tombeau mars 1825 à m j f — ballade sixième la fiancée du timbalier douce est la mort qui vient en bien aimant desportes sonnet monseigneur le duc de bretagne a pour les combats meurtriers convoqué de nante à mortagne dans la plaine et sur la montagne l’arrière ban de ses guerriers ce sont des barons dont les armes ornent des forts ceints d’un fossé des preux vieillis dans les alarmes des écuyers des hommes d’armes l’un d’entre eux est mon fiancé il est parti pour l’aquitaine comme timbalier et pourtant on le prend pour un capitaine rien qu’à voir sa mine hautaine et son pourpoint d’or éclatant depuis ce jour l’effroi m’agite j’ai dit joignant son sort au mien — ma patronne sainte brigitte pour que jamais il ne le quitte surveillez son ange gardien — j’ai dit à notre abbé messire priez bien pour tous nos soldats et comme on sait qu’il le désire j’ai brûlé trois cierges de cire sur la châsse de saint gildas à notre dame de lorette j’ai promis dans mon noir chagrin d’attacher sur ma gorgerette fermée à la vue indiscrète les coquilles du pèlerin il n’a pu par d’amoureux gages absent consoler mes foyers pour porter les tendres messages la vassale n’a point de pages le vassal n’a pas d’écuyers il doit aujourd’hui de la guerre revenir avec monseigneur ce n’est plus un amant vulgaire je lève un front baissé naguère et mon orgueil est du bonheur le duc triomphant nous rapporte son drapeau dans les camps froissé venez tous sous la vieille porte voir passer la brillante escorte et le prince et mon fiancé venez voir pour ce jour de fête son cheval caparaçonné qui sous son poids hennit s’arrête et marche en secouant la tête de plumes rouges couronné mes sœurs à vous parer si lentes venez voir près de mon vainqueur ces timbales étincelantes qui sous sa main toujours tremblantes sonnent et font bondir le cœur venez surtout le voir lui même sous le manteau que j’ai brodé qu’il sera beau c’est lui que j’aime il porte comme un diadème son casque de crins inondé l’égyptienne sacrilège m’attirant derrière un pilier m’a dit hier dieu nous protège qu’à la fanfare du cortège il manquerait un timbalier mais j’ai tant prié que j’espère quoique me montrant de la main un sépulcre son noir repaire la vieille aux regards de vipère m’ait dit — je t’attends là demain volons plus de noires pensées ce sont les tambours que j’entends voici les dames entassées les tentes de pourpre dressées les fleurs et les drapeaux flottants sur deux rangs le cortège ondoie d’abord les piquiers aux pas lourds puis sous l’étendard qu’on déploie les barons en robe de soie avec leurs toques de velours voici les chasubles des prêtres les hérauts sur un blanc coursier tous en souvenir des ancêtres portent l’écusson de leurs maîtres peint sur leur corselet d’acier admirez l’armure persane des templiers craints de l’enfer et sous la longue pertuisane les archers venus de lausanne vêtus de buffle armés de fer le duc n’est pas loin ses bannières flottent parmi les chevaliers quelques enseignes prisonnières honteuses passent les dernières… mes sœurs voici les timbaliers … elle dit et sa vue errante plonge hélas dans les rangs pressés puis dans la foule indifférente elle tomba froide et mourante… les timbaliers étaient passés 18 octobre 1825 ballade septième la mêlée les armées s’ébranlent le choc est terrible les combattants sont terribles les blessures sont terribles la mêlée est terrible gonzalo berceo la bataille de simancas pâtre change de route — au pied de ces collines vois onduler deux rangs d’épaisses javelines vois ces deux bataillons l’un vers l’autre marchant au signal de leurs chefs que divise la haine ils se sont pour combattre arrêtés dans la plaine écoute ces clameurs… tu frémis c’est leur chant  accourez tous oiseaux de proie aigles hiboux vautours corbeaux volez volez tous pleins de joie à ces champs comme à des tombeaux que l’ennemi sous notre glaive tombe avec le jour qui s’achève les psaumes du soir sont finis le prêtre qui suit leurs bannières leur a dit leurs vêpres dernières et le nôtre nous a bénis halbert baron normand ronan prince de galles vont mesurer ici leurs forces presque égales les normands sont adroits les gallois sont ardents ceux là viennent chargés d’une armure sonore ceux ci font pour couvrir leur front sauvage encore de la gueule des loups un casque armé de dents  que nous fait la plainte des veuves et de l’orphelin gémissant demain nous laverons aux fleuves nos bras teints de fange et de sang serrons nos rangs brûlons nos tentes que nos trompettes éclatantes glacent l’ennemi méprisé en vain leurs essaims se déroulent pour eux chaque sillon qu’ils foulent est un sépulcre tout creusé le signal est donné — parmi des flots de poudre leurs pas courts et pressés roulent comme la foudre… comme deux chevaux noirs qui dévorent le frein comme deux grands taureaux luttant dans les vallées les deux masses de fer à grand bruit ébranlées brisent d’un même choc leur double front d’airain  allons guerriers la charge sonne courez frappez c’est le moment aux sons de la trompe saxonne aux accords du clairon normand dagues hallebardes épées pertuisanes de sang trempées haches poignards à deux tranchants parmi les cuirasses froissées mêlez vos pointes hérissées comme la ronce dans les champs donc est le soleil — il luit dans la fumée comme un bouclier rouge en la forge enflammée dans des vapeurs de sang on voit briller le fer la vallée au loin semble une fournaise ardente on dirait qu’au milieu de la plaine grondante s’est ouverte soudain la bouche de l’enfer  le jeu des héros se prolonge les rangs s’enfoncent dans les rangs le pied des combattants se plonge dans la blessure des mourants avançons avançons courage le fantassin mord avec rage le poitrail de fer du coursier les chevaux blanchissants frissonnent et les masses d’armes résonnent sur leurs caparaçons d’acier noir chaos de coursiers d’hommes d’armes heurtées les gallois tout couverts de peaux ensanglantées se roulent sur le dard des écus meurtriers à mourir sur leurs morts obstinés et fidèles ils semblent assiéger comme des citadelles les cavaliers normands sur leurs grands destriers  que ceux qui brisent leur épée luttent des ongles et des dents s’ils veulent fuir la faim trompée des loups autour de nous rôdants point de prisonniers point d’esclaves s’il faut mourir mourons en braves sur nos compagnons immolés que demain le jour s’il se lève voie encor des tronçons de glaive étreints par nos bras mutilés … viens berger la nuit tombe et plus de sang ruisselle de coups plus furieux chaque armure étincelle les chevaux éperdus se dérobent au mors viens laissons achever cette lutte brûlante ces hommes acharnés à leur tâche sanglante se reposeront tous demain vainqueurs ou morts 18 19 septembre 1825 à m louis boulanger — ballade huitième les deux archers dames oyez un conte lamentable baïf écoutez l’étrange aventure… émile deschamps un feu vengeur s’alluma au milieu des rebelles la flamme dévora les impies genèse c’était l’instant funèbre où la nuit est si sombre qu’on tremble à chaque pas de réveiller dans l’ombre un démon ivre encor du banquet des sabbats le moment où liant à peine sa prière le voyageur se hâte à travers la clairière c’était l’heure où l’on parle bas deux francs archers passaient au fond de la vallée là bas où vous voyez une tour isolée qui lorsqu’en palestine allaient mourir nos rois fut bâtie en trois nuits au dire de nos pères par un ermite saint qui remuait les pierres avec le signe de la croix tous deux sans craindre l’heure en ce lieu taciturne allumèrent un feu pour leur repas nocturne puis ils vinrent s’asseoir en déposant leur cor sur un saint de granit dont l’image grossière les mains jointes le front couché dans la poussière avait l’air de prier encor cependant sur la tour les monts les bois antiques l’ardent foyer jetait des clartés fantastiques les hiboux s’effrayaient au fond des vieux manoirs et les chauves souris que tout sabbat réclame volaient et par moments épouvantaient la flamme de leur grande aile aux ongles noirs le plus vieux des archers alors dit au plus jeune — portes tu le cilice — observes tu le jeûne reprit l’autre et leur rire accompagna leur voix d’autres rires de loin tout à coup s’entendirent le val était désert l’ombre épaisse ils se dirent — c’est l’écho qui rit dans les bois soudain à leurs regards une lueur rampante en bleuâtres sillons sur la hauteur serpente les deux blasphémateurs hélas sans s’effrayer jetèrent au brasier d’autres branches de chênes disant — c’est au miroir des cascades prochaines le reflet de notre foyer or cet écho d’effroi qu’ici chacun s’incline c’était satan riant tout haut sur la colline ce reflet émané du corps de lucifer c’était le pâle jour qu’il traîne en nos ténèbres le rayon sulfureux qu’en des songes funèbres il nous apporte de l’enfer aux profanes éclats de leur coupable joie il était accouru comme un loup vers sa proie sur les archers dans l’ombre erraient ses yeux ardents riez et blasphémez dans vos heures oisives moi je ferai passer vos bouches convulsives du rire au grincement de dents  à l’aube du matin un peu de cendre éteinte d’un pied large et fourchu portait l’étrange empreinte le val fut tout le jour désert silencieux mais au lieu du foyer à minuit même un pâtre vit soudain apparaître une flamme bleuâtre qui ne montait pas vers les cieux dès qu’au sol attachée elle rampa livide de longs rires soudain éclatant dans le vide glacèrent le berger d’un grand effroi saisi il ne vit point satan et ceux de l’autre monde et ne put concevoir dans sa terreur profonde ce qu’ils souffraient pour rire ainsi dès lors toutes les nuits aux monts aux bois antiques l’ardent foyer jeta ses clartés fantastiques des rires effrayaient les hiboux des manoirs et les chauves souris que tout sabbat réclame volaient et par moments épouvantaient la flamme de leur grande aile aux ongles noirs rien avant le rayon de l’aube matinale enfants rien n’éteignait cette flamme infernale si l’orage à grands flots tombant grondait dans l’air les rires éclataient aussi haut que la foudre la flamme en tournoyant s’élançait de la poudre comme pour s’unir à l’éclair mais enfin une nuit vêtu du scapulaire se leva du vieux saint le marbre séculaire il fit trois pas armé de son rameau bénit de l’effrayant prodige effrayant exorciste de ses lèvres de pierre il dit que dieu m’assiste en ouvrant ses bras de granit alors tout s’éteignit flammes rires phosphore tout et le lendemain on trouva dès l’aurore les deux gens d’armes morts sur la statue assis on les ensevelit et suivant sa promesse le seigneur du hameau pour fonder une messe légua trois deniers parisis  si quelque enseignement se cache en cette histoire qu’importe il ne faut pas la juger mais la croire la croire qu’ai je dit ces temps sont loin de nous ce n’est plus qu’à demi qu’on se livre aux croyances nul dans notre âge aveugle et vain de ses sciences ne sait plier les deux genoux juillet 1825 ballade neuvième écoute moi madeleine pource aimez moy cependant qu’estes belle ronsard écoute moi madeleine l’hiver a quitté la plaine qu’hier il glaçait encor viens dans ces bois d’où ma suite se retire au loin conduite par les sons errants du cor viens on dirait madeleine que le printemps dont l’haleine donne aux roses leurs couleurs a cette nuit pour te plaire secoué sur la bruyère sa robe pleine de fleurs si j’étais ô madeleine l’agneau dont la blanche laine se démêle sous tes doigts … si j’étais l’oiseau qui passe et que poursuit dans l’espace un doux appel de ta voix … si j’étais ô madeleine l’ermite de tombelaine dans son pieux tribunal quand ta bouche à son oreille de tes péchés de la veille livre l’aveu virginal … si j’avais ô madeleine l’œil du nocturne phalène lorsqu’au sommeil tu te rends et que son aile indiscrète de ta cellule secrète bat les vitraux transparents quand ton sein ô madeleine sort du corset de baleine libre enfin du velours noir quand de peur de te voir nue tu jettes fille ingénue ta robe sur ton miroir si tu voulais madeleine ta demeure serait pleine de pages et de vassaux et ton splendide oratoire déroberait sous la moire la pierre de ses arceaux si tu voulais madeleine au lieu de la marjolaine qui pare ton chaperon tu porterais la couronne de comtesse ou de baronne dont la perle est le fleuron si tu voulais madeleine je te ferais châtelaine je suis le comte roger quitte pour moi ces chaumières à moins que tu ne préfères que je me fasse berger 14 septembre 1825 ballade dixième à un passant au soleil couchant toi qui vas cherchant fortune prends garde de choir la terre le soir est brune l’océan trompeur couvre de vapeur la dune vois à l’horizon aucune maison aucune maint voleur te suit la chose est la nuit commune les dames des bois nous gardent parfois rancune elles vont errer crains d’en rencontrer quelqu’une les lutins de l’air vont danser au clair de lune la chanson du fou voyageur qui la nuit sur le pavé sonore de ton chien inquiet passes accompagné après le jour brûlant pourquoi marcher encore où mènes tu si tard ton cheval résigné la nuit — ne crains tu pas d’entrevoir la stature du brigand dont un sabre a chargé la ceinture ou qu’un de ces vieux loups près des routes rôdants qui du fer des coursiers méprisent l’étincelle d’un bond brusque et soudain s’attachant à ta selle ne mêle à ton sang noir l’écume de ses dents ne crains tu pas surtout qu’un follet à cette heure n’allonge sous tes pas le chemin qui te leurre et ne te fasse hélas ainsi qu’aux anciens jours rêvant quelque logis dont la vitre scintille et le faisan doré par l’âtre qui pétille marcher vers des clartés qui reculent toujours crains d’aborder la plaine où le sabbat s’assemble où les démons hurlants viennent danser ensemble ces murs maudits par dieu par satan profanés ce magique château dont l’enfer sait l’histoire et qui désert le jour quand tombe la nuit noire enflamme ses vitraux dans l’ombre illuminés voyageur isolé qui t’éloignes si vite de ton chien inquiet la nuit accompagné après le jour brûlant quand le repos t’invite où mènes tu si tard ton cheval résigné 22 octobre 1825 à paul — ballade onzième la chasse du burgrave un vieux faune en riait dans sa grotte sauvage segrais daigne protéger notre chasse châsse de monseigneur saint godefroi roi si tu fais ce que je désire sire nous t’édifierons un tombeau beau puis je te donne un cor d’ivoire voire un dais neuf à pans de velours lourds avec dix chandelles de cire sire donc te prions à deux genoux nous nous qui né de bons gentilshommes sommes le seigneur burgrave alexis six voilà ce que dit le burgrave grave au tombeau de saint godefroi froid mon page emplis mon escarcelle selle mon cheval de calatrava va piqueur va convier le comte conte que ma meute aboie en mes cours cours archers mes compagnons de fêtes faites votre épieu lisse et vos cornets nets nous ferons ce soir une chère chère vous n’y recevrez maître queux qu’eux en chasse amis je vous invite vite en chasse allons courre les cerfs serfs il part et madame isabelle belle dit gaiement du haut des remparts  pars tous les chasseurs sont dans la plaine pleine d’ardents seigneurs de sénéchaux chauds ce ne sont que baillis et prêtres reîtres qui savent traquer à pas lourds l’ours dames en brillants équipages pages fauconniers clercs et peu bénins nains en chasse — le maître en personne sonne fuyez voici les paladins daims il n’est pour vous comte d’empire pire que le vieux burgrave alexis six fuyez — mais un cerf dans l’espace passe et disparaît comme l’éclair clair taïaut les chiens taïaut les hommes sommes d’argent et d’or paieront sa chair cher mon château pour ce cerf — marraine reine des beaux sylphes et des follets laids donne moi son bois pour trophée fée mère du brave et du chasseur sœur tout ce qu’un prêtre à sa madone donne moi je te le promets ici si notre main ta serve et sujette jette ce beau cerf qui s’enfuit là bas bas du chasseur noir craignant l’injure jure le vieux burgrave haletant tant que déjà sa meute qui jappe happe et fête le pauvre animal mal il fuit la bande malévole vole sur sa trace et par le plus court court adieu clos plaines diaprées prées vergers fleuris jardins sablés blés le cerf s’échappant de plus belle bêle un bois à sa course est ouvert vert il entend venir sur ses traces races de chiens dont vous seriez jaloux loups piqueurs ardentes haquenées nées de ces étalons aux longs crins craints leurs flancs que de blancs harnois ceignent saignent des coups fréquents des éperons prompts le cerf que le son de la trompe trompe se jette dans les bois épais… paix hélas en vain … la meute cherche cherche et là tu retentis encor cor où fuir dans le lac il s’y plonge longe le bord où maint buisson rampant pend ah dans les eaux du lac agreste reste hélas pauvre cerf aux abois bois contre toi la fanfare ameute meute et veneurs sonnant du hautbois… bois les archers sournois qui t’attendent tendent leurs arcs dans l’épaisseur du bois … bois ils sont avides de carnage nage c’est ton seul espoir désormais mais l’essaim que sa chair palpitante tente après lui dans le lac profond fond il sort — plus d’espoir qui te leurre l’heure vient où pour toi tout est fini ni tes pieds vifs ni saint marc de leyde l’aide du cerf qu’un chien à demi mort mord ne te sauveront des morsures sûres des limiers ardents de courroux roux vois ces chiens qu’un serf bas et lâche lâche vois les épieux à férir prêts près meurs donc la fanfare méchante chante ta chute au milieu des clameurs meurs et ce soir sur les délectables tables tu feras un excellent mets mais on t’a vengé — fille d’autriche triche quand l’hymen lui donne un barbon bon or sans son hôte le bon comte compte il revient quoique fatigué gai et tandis que ton sang ruisselle celle qu’épousa le comte alexis six sur le front ride du burgrave grave pauvre cerf des rameaux aussi si qu’au burg vous rentrez à la brune brune après un jour si hasardeux deux janvier 1828 ballade douzième le pas d’armes du roi jean plus de six cents lances y furent brisées on se battit à pied et à cheval à la barrière à coups d’épée et de pique où partout les tenants et les assaillants ne firent rien qui ne répondît à la haute estime qu’ils s’étaient déjà acquise ce qui fit éclater ces tournois doublement enfin au dernier un gentilhomme nommé de fontaines beau frère de chandiou grand prévôt des maréchaux fut blessé à mort et au second encore saint aubin autre gentilhomme fut tué d’un coup de lance ancienne chronique çà qu’on selle écuyer mon fidèle destrier mon cœur ploie sous la joie quand je broie l’étrier par saint gille viens nous en mon agile alezan viens écoute par la route voir la joute du roi jean qu’un gros carme chartrier ait pour arme l’encrier qu’une fille sous la grille s’égosille à prier nous qui sommes de par dieu gentilshommes de haut lieu il faut faire bruit sur terre et la guerre n’est qu’un jeu ma vieille âme enrageait car ma lame que rongeait cette rouille qui la souille en quenouille se changeait cette ville aux longs cris qui profile son front gris des toits frêles cent tourelles clochers grêles c’est paris quelle foule par mon sceau qui s’écoule en ruisseau et se rue incongrue par la rue saint marceau notre dame que c’est beau sur mon âme de corbeau voudrais être clerc ou prêtre pour y mettre mon tombeau les quadrilles les chansons mêlent filles aux garçons quelles fêtes que de têtes sur les faîtes des maisons un maroufle mis à neuf joue et souffle comme un bœuf une marche de luzarche sur chaque arche du pont neuf le vieux louvre large et lourd il ne s’ouvre qu’au grand jour emprisonne la couronne et bourdonne dans sa tour los aux dames au roi los vois les flammes du champ clos où la foule qui s’écroule hurle et roule à grands flots sans attendre çà piquons l’œil bien tendre attaquons de nos selles les donzelles roses belles aux balcons saulx tavane le ribaud se pavane et chabot qui ferraille bossu raille mons fontraille le pied bot là bas serge qui fit vœu d’aller vierge au saint lieu là lothaire duc sans terre sauveterre diable et dieu le vidame de conflans suit sa dame à pas lents et plus d’une s’importune de la brune aux bras blancs là haut brille sur ce mur yseult fille au front pur là bas seules force aïeules portant gueules sur azur dans la lice vois encor berthe alice léonor dame irène ta marraine et la reine toute en or dame irène parle ainsi quoi la reine triste ici son altesse dit comtesse j’ai tristesse et souci on commence le beffroi coups de lance cris d’effroi on se forge on s’égorge par saint george par le roi la cohue flot de fer frappe hue remplit l’air et profonde tourne et gronde comme une onde sur la mer dans la plaine un éclair se promène vaste et clair quels mélanges sang et franges plaisirs d’anges bruit d’enfer sus ma bête de façon que je fête ce grison je te baille pour ripaille plus de paille plus de son qu’un gros frère gai friand ne peut faire mendiant par les places où tu passes de grimaces en priant dans l’orage lys courbé un beau page est tombé il se pâme il rend l’âme il réclame un abbé la fanfare aux sons d’or qui t’effare sonne encor pour sa chute triste lutte de la flûte et du cor moines vierges porteront de grands cierges sur son front et dans l’ombre du lieu sombre deux yeux d’ombre pleureront car madame isabeau suit son âme au tombeau que d’alarmes que de larmes … un pas d’armes c’est très beau çà mon frère viens rentrons dans notre aire de barons va plus vite car au gîte qui t’invite trouverons toi l’avoine du matin moi le moine augustin ce saint homme suivant rome qui m’assomme de latin et rédige en romain tout prodige de ma main qu’à ma charge il émarge sur un large parchemin un vrai sire châtelain laisse écrire le vilain sa main digne quand il signe égratigne le vélin 24 26 juin 1828 à m louis boulanger — ballade treizième la légende de la nonne acobose vuestro bien y vuestros males no acaban reproches al rey rodrigo venez vous dont l’œil étincelle pour entendre une histoire encor approchez je vous dirai celle de doña padilla del flor elle était d’alanje où s’entassent les collines et les halliers — enfants voici des bœufs qui passent cachez vos rouges tabliers il est des filles à grenade il en est à séville aussi qui pour la moindre sérénade à l’amour demandent merci il en est que d’abord embrassent le soir les hardis cavaliers — enfants voici des bœufs qui passent cachez vos rouges tabliers ce n’est pas sur ce ton frivole qu’il faut parler de padilla car jamais prunelle espagnole d’un feu plus chaste ne brilla elle fuyait ceux qui pourchassent les filles sous les peupliers — enfants voici des bœufs qui passent cachez vos rouges tabliers rien ne touchait ce cœur farouche ni doux soins ni propos joyeux pour un mot d’une belle bouche pour un signe de deux beaux yeux on sait qu’il n’est rien que ne fassent les seigneurs et les bacheliers — enfants voici des bœufs qui passent cachez vos rouges tabliers elle prit le voile à tolède au grand soupir des gens du lieu comme si quand on n’est pas laide on avait droit d’épouser dieu peu s’en fallut que ne pleurassent les soudards et les écoliers — enfants voici des bœufs qui passent cachez vos rouges tabliers mais elle disait loin du monde vivre et prier pour les méchants quel bonheur quelle paix profonde dans la prière et dans les chants là si les démons nous menacent les anges sont nos boucliers — enfants voici des bœufs qui passent cachez vos rouges tabliers or la belle à peine cloîtrée amour dans son cœur s’installa un fier brigand de la contrée vint alors et dit me voilà quelquefois les brigands surpassent en audace les chevaliers — enfants voici des bœufs qui passent cachez vos rouges tabliers il était laid des traits austères la main plus rude que le gant mais l’amour a bien des mystères et la nonne aima le brigand on voit des biches qui remplacent leurs beaux cerfs par des sangliers — enfants voici des bœufs qui passent cachez vos rouges tabliers pour franchir la sainte limite pour approcher du saint couvent souvent le brigand d’un ermite prenait le cilice et souvent la cotte de maille où s’enchâssent les croix noires des templiers — enfants voici des bœufs qui passent cachez vos rouges tabliers la nonne osa dit la chronique au brigand par l’enfer conduit aux pieds de sainte véronique donner un rendez vous la nuit à l’heure où les corbeaux croassent volant dans l’ombre par milliers — enfants voici des bœufs qui passent cachez vos rouges tabliers padilla voulait anathème oubliant sa vie en un jour se livrer dans l’église même sainte à l’enfer vierge à l’amour jusqu’à l’heure pâle où s’effacent les cierges sur les chandeliers — enfants voici des bœufs qui passent cachez vos rouges tabliers or quand dans la nef descendue la nonne appela le bandit au lieu de la voix attendue c’est la foudre qui répondit dieu voulut que ses coups frappassent les amants par satan liés — enfants voici des bœufs qui passent cachez vos rouges tabliers aujourd’hui des fureurs divines le pâtre enflammant ses récits vous montre au penchant des ravines quelques tronçons de murs noircis deux clochers que les ans crevassent dont l’abri tuerait ses béliers — enfants voici des bœufs qui passent cachez vos rouges tabliers quand la nuit du cloître gothique brunissant les portails béants change à l’horizon fantastique les deux clochers en deux géants à l’heure où les corbeaux croassent volant dans l’ombre par milliers… — enfants voici des bœufs qui passent cachez vos rouges tabliers une nonne avec une lampe sort d’une cellule à minuit le long des murs le spectre rampe un autre fantôme le suit des chaînes sur leurs pieds s’amassent de lourds carcans sont leurs colliers — enfants voici des bœufs qui passent cachez vos rouges tabliers la lampe vient s’éclipse brille sous les arceaux court se cacher puis tremble derrière une grille puis scintille au bout d’un clocher et ses rayons dans l’ombre tracent des fantômes multipliés — enfants voici des bœufs qui passent cachez vos rouges tabliers les deux spectres qu’un feu dévore traînant leur suaire en lambeaux se cherchent pour s’unir encore en trébuchant sur des tombeaux leurs pas aveugles s’embarrassent dans les marches des escaliers — enfants voici des bœufs qui passent cachez vos rouges tabliers mais ce sont des escaliers fées qui sous eux s’embrouillent toujours l’un est aux caves étouffées quand l’autre marche au front des tours sous leurs pieds sans fin se déplacent les étages et les paliers — enfants voici des bœufs qui passent cachez vos rouges tabliers élevant leurs voix sépulcrales se cherchant les bras étendus ils vont… les magiques spirales mêlent leurs pas toujours perdus ils s’épuisent et se harassent en détours sans cesse oubliés — enfants voici des bœufs qui passent cachez vos rouges tabliers la pluie alors à larges gouttes bat les vitraux frêles et froids le vent siffle aux brèches des voûtes une plainte sort des beffrois on entend des soupirs qui glacent des rires d’esprits familiers — enfants voici des bœufs qui passent cachez vos rouges tabliers une voix faible une voix haute disent quand finiront les jours ah nous souffrons par notre faute mais l’éternité c’est toujours là les mains des heures se lassent à retourner les sabliers… — enfants voici des bœufs qui passent cachez vos rouges tabliers l’enfer hélas ne peut s’éteindre toutes les nuits dans ce manoir se cherchent sans jamais s’atteindre une ombre blanche un spectre noir jusqu’à l’heure pâle où s’effacent les cierges sur les chandeliers — enfants voici des bœufs qui passent cachez vos rouges tabliers si tremblant à ces bruits étranges quelque nocturne voyageur en se signant demande aux anges sur qui sévit le dieu vengeur des serpents de feu qui s’enlacent tracent deux noms sur les piliers — enfants voici des bœufs qui passent cachez vos rouges tabliers cette histoire de la novice saint ildefonse abbé voulut qu’afin de préserver du vice les vierges qui font leur salut les prieures la racontassent dans tous les couvents réguliers — enfants voici des bœufs qui passent cachez vos rouges tabliers avril 1828 à m charles n — ballade quatorzième la ronde du sabbat hic chorus ingenus … colit orgia avienus n’est ce pas comme une légion de squelettes sortant horribles de leurs tombeaux alph rabbe la lune qui les voit venir en est toute confuse sa lueur prête à se ternir à ses yeux se refuse et son visage à cet abord sent comme une espèce de mort saint amand voyez devant les murs de ce noir monastère la lune se voiler comme pour un mystère l’esprit de minuit passe et répandant l’effroi douze fois se balance au battant du beffroi le bruit ébranle l’air roule et longtemps encore gronde comme enfermé sous la cloche sonore le silence retombe avec l’ombre… écoutez qui pousse ces clameurs qui jette ces clartés dieu les voûtes les tours les portes découpées d’un long réseau de feu semblent enveloppées et l’on entend l’eau sainte où trempe un buis bénit bouillonner à grands flots dans l’urne de granit à nos patrons du ciel recommandons nos âmes parmi les rayons bleus parmi les rouges flammes avec des cris des chants des soupirs des abois voilà que de partout des eaux des monts des bois les larves les dragons les vampires les gnômes des monstres dont l’enfer rêve seul les fantômes la sorcière échappée aux sépulcres déserts volant sur le bouleau qui siffle dans les airs les nécromants parés de tiares mystiques où brillent flamboyants les mots cabalistiques et les graves démons et les lutins rusés tous par les toits rompus par les portails brisés par les vitraux détruits que mille éclairs sillonnent entrent dans le vieux cloître où leurs flots tourbillonnent debout au milieu d’eux leur prince lucifer cache un front de taureau sous la mître de fer la chasuble a voilé son aile diaphane et sur l’autel croulant il pose un pied profane ô terreur les voilà qui chantent dans ce lieu où veille incessamment l’œil éternel de dieu les mains cherchent les mains… soudain la ronde immense comme un ouragan sombre en tournoyant commence à l’œil qui n’en pourrait embrasser le contour chaque hideux convive apparaît à son tour on croirait voir l’enter tourner dans les ténèbres son zodiaque affreux plein de signes funèbres tous volent dans le cercle emportes à la fois satan règle du pied les éclats de leur voix et leurs pas ébranlant les arches colossales troublent les morts couchés sous le pavé des salles mêlons nous sans choix tandis que la foule autour de lui roule satan joyeux foule l’autel et la croix l’heure est solennelle la flamme éternelle semble sur son aile la pourpre des rois et leurs pas ébranlant les arches colossales troublent les morts couches sous le pavé des salles oui nous triomphons venez sœurs et frères de cent points contraires des lieux funéraires des antres profonds l’enfer vous escorte venez en cohorte sur des chars qu’emporte le vol des griffons et leurs pas ébranlant les arches colossales troublent les morts couches sous le pavé des salles venez sans remords nains aux pieds de chèvre goules dont la lèvre jamais ne se sèvre du sang noir des morts femmes infernales accourez rivales pressez vos cavales qui n’ont point de mors et leurs pas ébranlant les arches colossales troublent les morts couches sous le pavé des salles juifs par dieu frappés zingaris bohêmes chargés d’anathèmes follets spectres blêmes la nuit échappés glissez sur la brise montez sur la frise du mur qui se brise volez ou rampez et leurs pas ébranlant les arches colossales troublent les morts couches sous le pavé des salles venez boucs méchants psylles aux corps grêles aspioles frêles comme un flot de grêles fondre dans ces champs plus de discordance venez en cadence élargir la danse répéter les chants et leurs pas ébranlant les arches colossales troublent les morts couches sous le pavé des salles qu’en ce beau moment les clercs en magie brillent dans l’orgie leur barbe rougie d’un sang tout fumant que chacun envoie au feu quelque proie et sous ses dents broie un pâle ossement et leurs pas ébranlant les arches colossales troublent les morts couches sous le pavé des salles riant au saint lieu d’une voix hardie satan parodie quelque psalmodie selon saint matthieu et dans la chapelle où son roi l’appelle un démon épèle le livre de dieu et leurs pas ébranlant les arches colossales troublent les morts couches sous le pavé des salles sorti des tombeaux que dans chaque stalle un faux moine étale la robe fatale qui brûle ses os et qu’un noir lévite attache bien vite la flamme maudite aux sacrés flambeaux et leurs pas ébranlant les arches colossales troublent les morts couches sous le pavé des salles satan vous verra de vos mains grossières parmi des poussières écrivez sorcières abracadabra volez oiseaux fauves dont les ailes chauves aux ciels des alcôves suspendent smarra et leurs pas ébranlant les arches colossales troublent les morts couches sous le pavé des salles voici le signal — l’enfer nous réclame puisse un jour toute âme n’avoir d’autre flamme que son noir fanal puisse notre ronde dans l’ombre profonde enfermer le monde d’un cercle infernal l’aube pâle a blanchi les arches colossales il fuit l’essaim confus des démons dispersés et les morts rendormis sous le pavé des salles sur leurs chevets poudreux posent leurs fronts glacés octobre 1825 ballade quinzième la fée et la péri leur ombre vagabonde à travers le feuillage frémira sur les vents ou sur quelque nuage tu les verras descendre ou du sein de la mer s’élevant comme un songe étinceler dans l’air et leur voix toujours tendre et doucement plaintive caresser en fuyant ton oreille attentive andré chénier i enfants si vous mouriez gardez bien qu’un esprit de la route des cieux ne détourne votre âme voici ce qu’autrefois un vieux sage m’apprit — quelques démons sauvés de l’éternelle flamme rebelles moins pervers que l’archange proscrit sur la terre où le feu l’onde ou l’air les réclame attendent exilés le jour de jésus christ il en est qui bannis des célestes phalanges ont de si douces voix qu’on les prend pour des anges craignez les pour mille ans exclus du paradis ils vous entraîneraient enfants au purgatoire — ne me demandez pas d’où me vient cette histoire nos pères l’ont contée et moi je la redis ii la péri où vas tu donc jeune âme … écoute mon palais pour toi veut s’ouvrir suis moi des cieux quitte la route hélas tu t’y perdrais sans doute nouveau né qui viens de mourir tu pourras jouer à toute heure dans mes beaux jardins aux fruits d’or et de ma riante demeure tu verras ta mère qui pleure près de ton berceau tiède encor des péris je suis la plus belle mes sœurs règnent où naît le jour je brille en leur troupe immortelle comme entre les fleurs brille celle que l’on cueille en rêvant d’amour mon front porte un turban de soie mes bras de rubis sont couverts quand mon vol ardent se déploie l’aile de pourpre qui tournoie roule trois yeux de flamme ouverts plus blanc qu’une lointaine voile mon corps n’en a point la pâleur en quelque lieu qu’il se dévoile il l’éclaire comme une étoile il l’embaume comme une fleur la fée viens bel enfant je suis la fée je règne aux bords où le soleil au sein de l’onde réchauffée se plonge éclatant et vermeil les peuples d’occident m’adorent les vapeurs de leur ciel se dorent lorsque je passe en les touchant reine des ombres léthargiques je bâtis mes palais magiques dans les nuages du couchant mon aile bleue est diaphane l’essaim des sylphes enchantés croit voir sur mon dos quand je plane frémir deux rayons argentés ma main luit rose et transparente mon souffle est la brise odorante qui le soir erre dans les champs ma chevelure est radieuse et ma bouche mélodieuse mêle un sourire à tous ses chants j’ai des grottes de coquillages j’ai des tentes de rameaux verts c’est moi que bercent les feuillages moi que berce le flot des mers si tu me suis ombre ingénue je puis t’apprendre où va la nue te montrer d’où viennent les eaux viens sois ma compagne nouvelle si tu veux que je te révèle ce que dit la voix des oiseaux iii la péri ma sphère est l’orient région éclatante où le soleil est beau comme un roi dans sa tente son disque s’y promène en un ciel toujours pur ainsi portant l’émir d’une riche contrée aux sons de la flûte sacrée vogue un navire d’or sur une mer d’azur tous les dons ont comblé la zone orientale dans tout autre climat par une loi fatale près des fruits savoureux croissent les fruits amers mais dieu qui pour l’asie a des yeux moins austères y donne plus de fleurs aux terres plus d’étoiles aux cieux plus de perles aux mers mon royaume s’étend depuis ces catacombes qui paraissent des monts et ne sont que des tombes jusqu’à ce mur qu’un peuple ose en vain assiéger qui tel qu’une ceinture où le cathay respire environnant tout un empire garde dans l’univers comme un monde étranger j’ai de vastes cités qu’en tous lieux on admire lahore aux champs fleuris golconde cachemire la guerrière damas la royale ispahan bagdad que ses remparts couvrent comme une armure alep dont l’immense murmure semble au pâtre lointain le bruit d’un océan mysore est sur son trône une reine placée médine aux mille tours d’aiguilles hérissée avec ses flèches d’or ses kiosques brillants est comme un bataillon arrêté dans les plaines qui parmi ses tentes hautaines élève une forêt de dards étincelants on dirait qu’au désert thèbes debout encore attend son peuple entier absent depuis l’aurore madras a deux cités dans ses larges contours plus loin brille delhy la ville sans rivales et sous ses portes triomphales douze éléphants de front passent avec leurs tours bel enfant viens errer parmi tant de merveilles sur ces toits pleins de fleurs ainsi que des corbeilles dans le camp vagabond des arabes ligués viens nous verrons danser les jeunes bayadères le soir lorsque les dromadaires près du puits du désert s’arrêtent fatigués là sous de verts figuiers sous d’épais sycomores luit le dôme d’étain du minaret des maures la pagode de nacre au toit rose et changeant la tour de porcelaine aux clochettes dorées et dans les jonques azurées le palanquin de pourpre aux longs rideaux d’argent j’écarterai pour toi les rameaux du platane qui voile dans son bain la rêveuse sultane viens nous rassurerons contre un ingrat oubli la vierge qui timide ouvrant la nuit sa porte écoute si le vent lui porte la voix qu’elle préfère au chant du bengali l’orient fut jadis le paradis du monde un printemps éternel de ses roses l’inonde et ce vaste hémisphère est un riant jardin toujours autour de nous sourit la douce joie toi qui gémis suis notre voie que t’importe le ciel quand je t’ouvre l’eden la fée l’occident nébuleux est ma patrie heureuse là variant dans l’air sa forme vaporeuse fuit la blanche nuée — et de loin bien souvent le mortel isolé qui radieux ou sombre poursuit un songe ou pleure une ombre assis la contemple en rêvant car il est des douceurs pour les âmes blessées dans les brumes du lac sur nos bois balancées dans nos monts où l’hiver semble à jamais s’asseoir dans l’étoile pareille à l’espoir solitaire qui vient quand le jour fuit la terre mêler son orient au soir nos cieux voilés plairont à ta douleur amère enfant que dieu retire et qui pleures ta mère viens l’écho des vallons les soupirs du ruisseau et la voix des forêts au bruit des vents unie te rendront la vague harmonie qui t’endormait dans ton berceau crains des bleus horizons le cercle monotone les brouillards les vapeurs le nuage qui tonne tempèrent le soleil dans nos cieux parvenu et l’œil voit au loin fuir leurs lignes nébuleuses comme des flottes merveilleuses qui viennent d’un monde inconnu c’est pour moi que les vents font sur nos mers bruyantes tournoyer l’air et l’onde en trombes foudroyantes la tempête à mes chants suspend son vol fatal l’arc en ciel pour mes pieds qu’un or fluide arrose comme un pont de nacre se pose sur les cascades de cristal du moresque alhambra j’ai les frêles portiques j’ai la grotte enchantée aux piliers basaltiques où la mer de staffa brise un flot inégal et j’aide le pêcheur roi des vagues brumeuses à bâtir ses huttes fumeuses sur les vieux palais de fingal épouvantant les nuits d’une trompeuse aurore là souvent à ma voix un rouge météore croise en voûte de feu ses gerbes dans les airs et le chasseur debout sur la roche pendante croit voir une comète ardente baignant ses flammes dans les mers viens jeune âme avec moi de mes sœurs obéie peupler de gais follets la morose abbaye mes nains et mes géants te suivront à ma voix viens troublant de ton cor les monts inaccessibles guider ces meutes invisibles qui la nuit chassent dans nos bois tu verras les barons sous leurs tours féodales de l’humble pèlerin détachant les sandales et les sombres créneaux d’écussons décorés et la dame tout bas priant pour un beau page quelque mystérieuse image peinte sur des vitraux dorés c’est nous qui visitant les gothiques églises ouvrons leur nef sonore au murmure des brises quand la lune du tremble argente les rameaux le pâtre voit dans l’air avec des chants mystiques folâtrer nos chœurs fantastiques autour du clocher des hameaux de quels enchantements l’occident se décore — viens le ciel est bien loin ton aile est faible encore oublie en notre empire un voyage fatal un charme s’y révèle aux lieux les plus sauvages et l’étranger dit nos rivages plus doux que le pays natal iv et l’enfant hésitait et déjà moins rebelle écoutait des esprits l’appel fallacieux la terre qu’il fuyait semblait pourtant si belle soudain il disparut à leur vue infidèle… il avait entrevu les