https fr wikisource org wiki les orientales texte entier i le feu du ciel 24 alors le seigneur fit descendre du ciel sur sodome et sur gomorrhe une pluie de soufre et de feu 25 et il perdit ces villes avec tous leurs habitants tout le pays à l’entour avec ceux qui l’habitaient et tout ce qui avait quelque verdeur sur la terre genèse i la voyez vous passer la nuée au flanc noir tantôt pâle tantôt rouge et splendide à voir morne comme un été stérile on croit voir à la fois sur le vent de la nuit fuir toute la fumée ardente et tout le bruit de l’embrasement d’une ville d’où vient elle des cieux de la mer ou des monts est ce le char de feu qui porte des démons à quelque planète prochaine ô terreur de son sein chaos mystérieux d’où vient que par moments un éclair furieux comme un long serpent se déchaîne ii la mer partout la mer des flots des flots encor l’oiseau fatigue en vain son inégal essor ici les flots là bas les ondes toujours des flots sans fin par des flots repoussés l’œil ne voit que des flots dans l’abîme entassés rouler sous les vagues profondes parfois de grands poissons à fleur d’eau voyageant font reluire au soleil leurs nageoires d’argent ou l’azur de leurs larges queues la mer semble un troupeau secouant sa toison mais un cercle d’airain ferme au loin l’horizon le ciel bleu se mêle aux eaux bleues — faut il sécher ces mers dit le nuage en feu — non — il reprit son vol sous le souffle de dieu iii un golfe aux vertes collines se mirant dans le flot clair — des buffles des javelines et des chants joyeux dans l’air c’était la tente et la crèche la tribu qui chasse et pêche qui vit libre et dont la flèche jouterait avec l’éclair pour ces errantes familles jamais l’air ne se corrompt les enfants les jeunes filles les guerriers dansaient en rond autour d’un feu sur la grève que le vent courbe et relève pareils aux esprits qu’en rêve on voit tourner sur son front les vierges aux seins d’ébène belles comme les beaux soirs riaient de se voir à peine dans le cuivre des miroirs d’autres joyeuses comme elles faisaient jaillir des mamelles de leurs dociles chamelles un lait blanc sous leurs doigts noirs les hommes les femmes nues se baignaient au gouffre amer — ces peuplades inconnues où passaient elles hier — la voix grêle des cymbales qui fait hennir les cavales se mêlait par intervalles aux bruits de la grande mer la nuée un moment hésita dans l’espace — est ce là — nul ne sait qui lui répondit — passe iv l’égypte — elle étalait toute blonde d’épis ses champs bariolés comme un riche tapis plaines que des plaines prolongent l’eau vaste et froide au nord au sud le sable ardent se disputent l’égypte elle rit cependant entre ces deux mers qui la rongent trois monts bâtis par l’homme au loin perçaient les cieux d’un triple angle de marbre et dérobaient aux yeux leurs bases de cendre inondées et de leur faîte aigu jusqu’aux sables dorés allaient s’élargissant leurs monstrueux degrés faits pour des pas de six coudées un sphinx de granit rose un dieu de marbre vert les gardaient sans qu’il fût vent de flamme au désert qui leur fît baisser la paupière dix vaisseaux au flanc large entraient dans un grand port une ville géante assise sur le bord baignait dans l’eau ses pieds de pierre on entendait mugir le semoun meurtrier et sur les cailloux blancs les écailles crier sous le ventre des crocodiles les obélisques gris s’élançaient d’un seul jet comme une peau de tigre au couchant s’allongeait le nil jaune tacheté d’îles l’astre roi se couchait calme à l’abri du vent la mer réfléchissait ce globe d’or vivant ce monde âme et flambeau du nôtre et dans le ciel rougeâtre et dans les flots vermeils comme deux rois amis on voyait deux soleils venir au devant l’un de l’autre — où faut il s’arrêter dit la nuée encor — cherche dit une voix dont trembla le thabor v du sable puis du sable le désert noir chaos toujours inépuisable en monstres en fléaux ici rien ne s’arrête ces monts à jaune crête quand souffle la tempête roulent comme des flots parfois de bruits profanes troublant ce lieu sacré passent les caravanes d’ophir ou de membré l’œil de loin suit leur foule qui sur l’ardente houle ondule et se déroule comme un serpent marbré ces solitudes mornes ces déserts sont à dieu lui seul en sait les bornes en marque le milieu toujours plane une brume sur cette mer qui fume et jette pour écume une cendre de feu — faut il changer en lac ce désert dit la nue — plus loin dit l’autre voix du fond des cieux venue vi comme un énorme écueil sur les vagues dressé comme un amas de tours vaste et bouleversé voici babel déserte et sombre du néant des mortels prodigieux témoin aux rayons de la lune elle couvrait au loin quatre montagnes de son ombre l’édifice écroulé plongeait aux cieux profonds les ouragans captifs sous ses larges plafonds jetaient une étrange harmonie le genre humain jadis bourdonnait à l’entour et sur le globe entier babel devait un jour asseoir sa spirale infinie ses escaliers devaient monter jusqu’au zénith chacun des plus grands monts à ses flancs de granit n’avait pu fournir qu’une dalle et des sommets nouveaux d’autres sommets chargés sans cesse surgissaient aux yeux découragés sur sa tête pyramidale les boas monstrueux les crocodiles verts moindres que des lézards sur ses murs entr’ouverts glissaient parmi les blocs superbes et colosses perdus dans ses larges contours les palmiers chevelus pendant au front des tours semblaient d’en bas des touffes d’herbes des éléphants passaient aux fentes de ses murs une forêt croissait sous ses piliers obscurs multipliés par la démence des essaims d’aigles roux et de vautours géants jour et nuit tournoyaient à ses porches béants comme autour d’une ruche immense — faut il l’achever dit la nuée en courroux — marche — seigneur dit elle où donc m’emportez vous vii voilà que deux cités étranges inconnues et d’étage en étage escaladant les nues apparaissent dormant dans la brume des nuits avec leurs dieux leur peuple et leurs chars et leurs bruits dans le même vallon c’étaient deux sœurs couchées l’ombre baignait leurs tours par la lune ébauchées puis l’œil entrevoyait dans le chaos confus aqueducs escaliers piliers aux larges fûts chapiteaux évasés puis un groupe difforme d’éléphants de granit portant un dôme énorme des colosses debout regardant autour d’eux ramper des monstres nés d’accouplements hideux des jardins suspendus pleins de fleurs et d’arcades et d’arbres noirs penchés sur de vastes cascades des temples où siégeaient sur de riches carreaux cent idoles de jaspe à têtes de taureaux des plafonds d’un seul bloc couvrant de vastes salles où sans jamais lever leurs têtes colossales veillaient assis en cercle et se regardant tous des dieux d’airain posant leurs mains sur leurs genoux ces rampes ces palais ces sombres avenues où partout surgissaient des formes inconnues ces ponts ces aqueducs ces arcs ces rondes tours effrayaient l’œil perdu dans leurs profonds détours on voyait dans les cieux avec leurs larges ombres monter comme des caps ces édifices sombres immense entassement de ténèbres voilé le ciel à l’horizon scintillait étoilé et sous les mille arceaux du vaste promontoire brillait comme à travers une dentelle noire ah villes de l’enfer folles dans leurs désirs là chaque heure inventait de monstrueux plaisirs chaque toit recélait quelque mystère immonde et comme un double ulcère elles souillaient le monde tout dormait cependant au front des deux cités à peine encor glissaient quelques pâles clartés lampes de la débauche en naissant disparues derniers feux des festins oubliés dans les rues de grands angles de murs par la lune blanchis coupaient l’ombre ou tremblaient dans une eau réfléchis peut être on entendait vaguement dans les plaines s’étouffer des baisers se mêler des haleines et les deux villes sœurs lasses des feux du jour murmurer mollement d’une étreinte d’amour et le vent soupirant sous le frais sycomore allait tout parfumé de sodome à gomorrhe c’est alors que passa le nuage noirci et que la voix d’en haut lui cria — c’est ici viii le nuage éclate la flamme écarlate déchire ses flancs l’ouvre comme un gouffre tombe en flots de soufre aux palais croulants et jette tremblante sa lueur sanglante sur leurs frontons blancs gomorrhe sodome de quel brûlant dôme vos murs sont couverts l’ardente nuée sur vous s’est ruée ô peuple pervers et ses larges gueules sur vos têtes seules soufflent leurs éclairs ce peuple s’éveille qui dormait la veille sans penser à dieu les grands palais croulent mille chars qui roulent heurtent leur essieu et la foule accrue trouve en chaque rue un fleuve de feu sur ces tours altières colosses de pierres trop mal affermis abondent dans l’ombre des mourants sans nombre encore endormis sur des murs qui pendent ainsi se répandent de noires fourmis se peut il qu’on fuie sous l’horrible pluie tout périt hélas le feu qui foudroie bat les ponts qu’il broie crève les toits plats roule tombe et brise sur la dalle grise ses rouges éclats sous chaque étincelle grossit et ruisselle le feu souverain vermeil et limpide il court plus rapide qu’un cheval sans frein et l’idole infâme croulant dans la flamme tord ses bras d’airain il gronde il ondule du peuple incrédule rompt les tours d’argent son flot vert et rose que le soufre arrose fait en les rongeant luire les murailles comme les écailles d’un lézard changeant il fond comme cire agate porphyre pierres du tombeau ploie ainsi qu’un arbre le géant de marbre qu’ils nommaient nabo et chaque colonne brûle et tourbillonne comme un grand flambeau en vain quelques mages portent les images des dieux du haut lieu en vain leur roi penche sa tunique blanche sur le soufre bleu le flot qu’il contemple emporte leur temple dans ses plis de feu plus loin il charrie un palais où crie un peuple à l’étroit l’onde incendiaire mord l’îlot de pierre qui fume et décroît flotte à sa surface puis fond et s’efface comme un glaçon froid le grand prêtre arrive sur l’ardente rive d’où le reste a fui soudain sa tiare prend feu comme un phare et pâle ébloui sa main qui l’arrache à son front s’attache et brûle avec lui le peuple hommes femmes court… partout les flammes aveuglent ses yeux des deux villes mortes assiégeant les portes à flots furieux la foule maudite croit voir interdite l’enfer dans les cieux ix on dit qu’alors ainsi que pour voir un supplice un vieux captif se dresse aux murs de sa prison on vit de loin babel leur fatale complice regarder par dessus les monts de l’horizon on entendit durant cet étrange mystère un grand bruit qui remplit le monde épouvanté si profond qu’il troubla dans leur morne cité jusqu’à ces peuples sourds qui vivent sous la terre x le feu fut sans pitié pas un des condamnés ne put fuir de ces murs croulants et calcinés pourtant ils levaient leurs mains viles et ceux qui s’embrassaient dans un dernier adieu terrassés éblouis se demandaient quel dieu versait un volcan sur leurs villes contre le feu vivant contre le feu divin de larges toits de marbre ils s’abritaient en vain dieu sait atteindre qui le brave ils invoquaient leurs dieux mais le feu qui punit frappait ces dieux muets dont les yeux de granit soudain fondaient en pleurs de lave ainsi tout disparut sous le noir tourbillon l’homme avec la cité l’herbe avec le sillon dieu brûla ces mornes campagnes rien ne resta debout de ce peuple détruit et le vent inconnu qui souffla cette nuit changea la forme des montagnes xi aujourd’hui le palmier qui croît sur le rocher sent sa feuille jaunir et sa tige sécher à cet air qui brûle et qui pèse ces villes ne sont plus et miroir du passé sur leurs débris éteints s’étend un lac glacé qui fume comme une fournaise 1er novembre 1828 ii canaris faire sans dire vieille devise lorsqu’un vaisseau vaincu dérive en pleine mer que ses voiles carrées pendent le long des mâts par les boulets de fer largement déchirées qu’on n’y voit que des morts tombés de toutes parts ancres agrès voilures grands mâts rompus traînant leurs cordages épars comme des chevelures que le vaisseau couvert de fumée et de bruit tourne ainsi qu’une roue qu’un flux et qu’un reflux d’hommes roule et s’enfuit de la poupe à la proue lorsqu’à la voix des chefs nul soldat ne répond que la mer monte et gronde que les canons éteints nagent dans l’entre pont s’entre choquant dans l’onde qu’on voit le lourd colosse ouvrir au flot marin sa blessure béante et saigner à travers son armure d’airain la galère géante qu’elle vogue au hasard comme un corps palpitant la carène entr’ouverte comme un grand poisson mort dont le ventre flottant argente l’onde verte alors gloire au vainqueur son grappin noir s’abat sur la nef qu’il foudroie tel un aigle puissant pose après le combat son ongle sur sa proie puis il pend au grand mât comme au front d’une tour son drapeau que l’air ronge et dont le reflet d’or dans l’onde tour à tour s’élargit et s’allonge et c’est alors qu’on voit les peuples étaler les couleurs les plus fières et la pourpre et l’argent et l’azur onduler aux plis de leurs bannières dans ce riche appareil leur orgueil insensé se flatte et se repose comme si le flot noir par le flot effacé en gardait quelque chose malte arborait sa croix venise peuple roi sur ses poupes mouvantes l’héraldique lion qui fait rugir d’effroi les lionnes vivantes le pavillon de naple est éclatant dans l’air et quand il se déploie on croit voir ondoyer de la poupe à la mer un flot d’or et de soie espagne peint aux plis des drapeaux voltigeant sur ses flottes avares léon aux lions d’or castille aux tours d’argent les chaînes des navarres rome a les clefs milan l’enfant qui hurle encor dans les dents de la guivre et les vaisseaux de france ont des fleurs de lys d’or sur leurs robes de cuivre stamboul la turque autour du croissant abhorré suspend trois blanches queues l’amérique enfin libre étale un ciel doré semé d’étoiles bleues l’autriche a l’aigle étrange aux ailerons dressés qui brillant sur la moire vers les deux bouts du monde à la fois menacés tourne une tête noire l’autre aigle au double front qui des czars suit les lois son antique adversaire comme elle regardant deux mondes à la fois en tient un dans sa serre l’angleterre en triomphe impose aux flots amers sa splendide oriflamme si riche qu’on prendrait son reflet dans les mers pour l’ombre d’une flamme c’est ainsi que les rois font aux mâts des vaisseaux flotter leurs armoiries et condamnent les nefs conquises sur les eaux à changer de patries ils traînent dans leurs rangs ces voiles dont le sort trompa les destinées tout fiers de voir rentrer plus nombreuses au port leurs flottes blasonnées aux navires captifs toujours ils appendront leurs drapeaux de victoire afin que le vaincu porte écrite à son front sa honte avec leur gloire mais le bon canaris dont un ardent sillon suit la barque hardie sur les vaisseaux qu’il prend comme son pavillon arbore l’incendie 7 novembre 1828 iii les têtes du sérail o horrible o horrible most horrible shakespeare hamlet i le dôme obscur des nuits semé d’astres sans nombre se mirait dans la mer resplendissante et sombre la riante stamboul le front d’ombres voilé semblait couchée au bord du golfe qui l’inonde entre les feux du ciel et les reflets de l’onde dormir dans un globe étoilé on eût dit la cité dont les esprits nocturnes bâtissent dans les airs les palais taciturnes à voir ses grands harems séjours des longs ennuis ses dômes bleus pareils au ciel qui les colore et leurs mille croissants que semblaient faire éclore les rayons du croissant des nuits l’œil distinguait les tours par leurs angles marquées les maisons aux toits plats les flèches des mosquées les moresques balcons en trèfles découpés les vitraux se cachant sous des grilles discrètes et les palais dorés et comme des aigrettes les palmiers sur leur front groupés là de blancs minarets dont l’aiguille s’élance tels que des mâts d’ivoire armés d’un fer de lance là des kiosques peints là des fanaux changeants et sur le vieux sérail que ses hauts murs décèlent cent coupoles d’étain qui dans l’ombre étincellent comme des casques de géants ii le sérail … cette nuit il tressaillait de joie au son des gais tambours sur des tapis de soie les sultanes dansaient sous son lambris sacré et tel qu’un roi couvert de ses joyaux de fête superbe il se montrait aux enfants du prophète de six mille têtes paré livides l’œil éteint de noirs cheveux chargées ces têtes couronnaient sur les créneaux rangées les terrasses de rose et de jasmin en fleur triste comme un ami comme lui consolante la lune astre des morts sur leur pâleur sanglante répandait sa douce pâleur dominant le sérail de la porte fatale trois d’entre elles marquaient l’ogive orientale ces têtes que battait l’aile du noir corbeau semblaient avoir reçu l’atteinte meurtrière l’une dans les combats l’autre dans la prière la dernière dans le tombeau on dit qu’alors tandis qu’immobiles comme elles veillaient stupidement les mornes sentinelles les trois têtes soudain parlèrent et leurs voix ressemblaient à ces chants qu’on entend dans les rêves aux bruits confus du flot qui s’endort sur les grèves du vent qui s’endort dans les bois iii la première voix où suis je … mon brûlot à la voile à la rame frères missolonghi fumante nous réclame les turcs ont investi ses remparts généreux renvoyons leurs vaisseaux à leurs villes lointaines et que ma torche ô capitaines soit un phare pour vous soit un foudre pour eux partons adieu corinthe et son haut promontoire mers dont chaque rocher porte un nom de victoire écueils de l’archipel sur tous les flots semés belles îles des cieux et du printemps chéries qui le jour paraissez des corbeilles fleuries la nuit des vases parfumés adieu fière patrie hydra sparte nouvelle ta jeune liberté par des chants se révèle des mâts voilent tes murs ville de matelots adieu j’aime ton île où notre espoir se fonde tes gazons caressés par l’onde tes rocs battus d’éclairs et rongés par les flots frères si je reviens missolonghi sauvée qu’une église nouvelle au christ soit élevée si je meurs si je tombe en la nuit sans réveil si je verse le sang qui me reste à répandre dans une terre libre allez porter ma cendre et creusez ma tombe au soleil missolonghi — les turcs — chassons ô camarades leurs canons de ses forts leurs flottes de ses rades brûlons le capitan sous son triple canon allons que des brûlots l’ongle ardent se prépare sur sa nef si je m’en empare c’est en lettres de feu que j’écrirai mon nom victoire amis… — ô ciel de mon esquif agile une bombe en tombant brise le pont fragile… il éclate il tournoie il s’ouvre aux flots amers ma bouche crie en vain par les vagues couverte adieu je vais trouver mon linceul d’algue verte mon lit de sable au fond des mers mais non je me réveille enfin … mais quel mystère quel rêve affreux … mon bras manque à mon cimeterre quel est donc près de moi ce sombre épouvantail qu’entends je au loin … des chœurs… sont ce des voix de femmes des chants murmurés par des âmes ces concerts … suis je au ciel … — du sang … c’est le sérail iv la deuxième voix oui canaris tu vois le sérail et ma tête arrachée au cercueil pour orner cette fête les turcs m’ont poursuivi sous mon tombeau glacé vois ces os desséchés sont leur dépouille opime voilà de botzaris ce qu’au sultan sublime le ver du sépulcre a laissé écoute je dormais dans le fond de ma tombe quand un cri m’éveilla missolonghi succombe je me lève à demi dans la nuit du trépas j’entends des canons sourds les tonnantes volées les clameurs aux clameurs mêlées les chocs fréquents du fer le bruit pressé des pas j’entends dans le combat qui remplissait la ville des voix crier défends d’une horde servile ombre de botzaris tes grecs infortunés et moi pour m’échapper luttant dans les ténèbres j’achevais de briser sur les marbres funèbres tous mes ossements décharnés soudain comme un volcan le sol s’embrase et gronde… — tout se tait et mon œil ouvert pour l’autre monde voit ce que nul vivant n’eût pu voir de ses yeux de la terre des flots du sein profond des flammes s’échappaient des tourbillons d’âmes qui tombaient dans l’abîme ou s’envolaient aux cieux les musulmans vainqueurs dans ma tombe fouillèrent ils mêlèrent ma tête aux vôtres qu’ils souillèrent dans le sac du tartare on les jeta sans choix mon corps décapité tressaillit d’allégresse il me semblait ami pour la croix et la grèce mourir une seconde fois sur la terre aujourd’hui notre destin s’achève stamboul pour contempler cette moisson du glaive vile esclave s’émeut du fanar aux sept tours et nos têtes qu’on livre aux publiques risées sur l’impur sérail exposées repaissent le sultan convive des vautours voilà tous nos héros costas le palicare christo du mont olympe hellas des mers d’icare kitzos qu’aimait byron le poëte immortel et cet enfant des monts notre ami notre émule mayer qui rapportait aux fils de thrasybule la flèche de guillaume tell mais ces morts inconnus qui dans nos rangs stoïques confondent leurs fronts vils à des fronts héroïques ce sont des fils maudits d’eblis et de satan des turcs obscur troupeau foule au sabre asservie esclaves dont on prend la vie quand il manque une tête au compte du sultan semblable au minotaure inventé par nos pères un homme est seul vivant dans ces hideux repaires qui montrent nos lambeaux aux peuples à genoux car les autres témoins de ces fêtes fétides ses eunuques impurs ses muets homicides ami sont aussi morts que nous quels sont ces cris … — c’est l’heure où ses plaisirs infâmes ont réclamé nos sœurs nos filles et nos femmes ces fleurs vont se flétrir à son souffle inhumain le tigre impérial rugissant dans sa joie tour à tour compte chaque proie nos vierges cette nuit et nos têtes demain v la troisième voix ô mes frères joseph évêque vous salue missolonghi n’est plus à sa mort résolue elle a fui la famine et son venin rongeur enveloppant les turcs dans son malheur suprême formidable victime elle a mis elle même la flamme à son bûcher vengeur voyant depuis vingt jours notre ville affamée j’ai crié venez tous il est temps peuple armée dans le saint sacrifice il faut nous dire adieu recevez de mes mains à la table céleste le seul aliment qui nous reste le pain qui nourrit l’âme et la transforme en dieu quelle communion des mourants immobiles cherchant l’hostie offerte à leurs lèvres débiles des soldats défaillants mais encor redoutés des femmes des vieillards des vierges désolées et sur le sein flétri des mères mutilées des enfants de sang allaités la nuit vint on partit mais les turcs dans les ombres assiégèrent bientôt nos morts et nos décombres mon église s’ouvrit à leurs pas inquiets sur un débris d’autel leur dernière conquête un sabre fit rouler ma tête… j’ignore quelle main me frappa je priais frères plaignez mahmoud né dans sa loi barbare des hommes et de dieu son pouvoir le sépare son aveugle regard ne s’ouvre pas au ciel sa couronne fatale et toujours chancelante porte à chaque fleuron une tête sanglante et peut être il n’est pas cruel le malheureux en proie aux terreurs implacables perd pour l’éternité ses jours irrévocables rien ne marque pour lui les matins et les soirs toujours l’ennui semblable aux idoles qu’ils dorent ses esclaves de loin l’adorent et le fouet d’un spahi règle leurs encensoirs mais pour vous tout est joie honneur fête victoire sur la terre vaincus vous vaincrez dans l’histoire frères dieu vous bénit sur le sérail fumant vos gloires par la mort ne sont pas étouffées vos têtes sans tombeaux deviennent vos trophées vos débris sont un monument que l’apostat surtout vous envie anathème au chrétien qui souilla l’eau sainte du baptême sur le livre de vie en vain il fut compté nul ange ne l’attend dans les cieux où nous sommes et son nom exécré des hommes sera comme un poison des bouches rejeté et toi chrétienne europe entends nos voix plaintives jadis pour nous sauver saint louis vers nos rives eût de ses chevaliers guidé l’arrière ban choisis enfin avant que ton dieu ne se lève de jésus et d’omar de la croix et du glaive de l’auréole et du turban vi oui botzaris joseph canaris ombres saintes elle entendra vos voix par le trépas éteintes elle verra le signe empreint sur votre front et soupirant ensemble un chant expiatoire à vos débris sanglants portant leur double gloire sur la harpe et le luth les deux grèces diront hélas vous êtes saints et vous êtes sublimes confesseurs demi dieux fraternelles victimes votre bras aux combats s’est longtemps signalé morts vous êtes tous trois souillés par des mains viles voici votre calvaire après vos thermopyles pour tous les dévouements votre sang a coulé ah si l’europe en deuil qu’un sang si pur menace ne suit jusqu’au sérail le chemin qu’il lui trace le seigneur la réserve à d’amers repentirs marin prêtre soldat nos autels vous demandent car l’olympe et le ciel à la fois vous attendent pléiade de héros trinité de martyrs juin 1826 iv enthousiasme allons jeune homme allons marche … andré chénier en grèce en grèce adieu vous tous il faut partir qu’enfin après le sang de ce peuple martyr le sang vil des bourreaux ruisselle en grèce ô mes amis vengeance liberté ce turban sur mon front ce sabre à mon côté allons ce cheval qu’on le selle quand partons nous ce soir demain serait trop long des armes des chevaux un navire à toulon un navire ou plutôt des ailes menons quelques débris de nos vieux régiments et nous verrons soudain ces tigres ottomans fuir avec des pieds de gazelles commande nous fabvier comme un prince invoqué toi qui seul fus au poste où les rois ont manqué chef des hordes disciplinées parmi les grecs nouveaux ombre d’un vieux romain simple et brave soldat qui dans ta rude main d’un peuple as pris les destinées de votre long sommeil éveillez vous là bas fusils français et vous musique des combats bombes canons grêles cymbales éveillez vous chevaux au pied retentissant sabres auxquels il manque une trempe de sang longs pistolets gorgés de balles je veux voir des combats toujours au premier rang voir comment les spahis s’épanchent en torrent sur l’infanterie inquiète voir comment leur damas qu’emporte leur coursier coupe une tête au fil de son croissant d’acier allons … — mais quoi pauvre poëte où m’emporte moi même un accès belliqueux les vieillards les enfants m’admettent avec eux que suis je — esprit qu’un souffle enlève comme une feuille morte échappée aux bouleaux qui sur une onde en pente erre de flots en flots mes jours s’en vont de rêve en rêve tout me fait songer l’air les prés les monts les bois j’en ai pour tout un jour des soupirs d’un hautbois d’un bruit de feuilles remuées quand vient le crépuscule au fond d’un vallon noir j’aime un grand lac d’argent profond et clair miroir où se regardent les nuées j’aime une lune ardente et rouge comme l’or se levant dans la brume épaisse ou bien encor blanche au bord d’un nuage sombre j’aime ces chariots lourds et noirs qui la nuit passant devant le seuil des fermes avec bruit font aboyer les chiens dans l’ombre 1827 v navarin ἢ ἢ ἢ ἢ ἢ τρισκάλμοισιν ἢ ἢ ἢ ἢ ἢ βάρισιν ὀλόμενοι eschyle les perses hélas hélas nos vaisseaux hélas hélas sont détruits i canaris canaris pleure cent vingt vaisseaux pleure une flotte entière — où donc démon des eaux où donc était ta main hardie se peut il que sans toi l’ottoman succombât pleure comme crillon exilé d’un combat tu manquais à cet incendie jusqu’ici quand parfois la vague de tes mers soudain s’ensanglantait comme un lac des enfers d’une lueur large et profonde si quelque lourd navire éclatait à nos yeux couronné tout à coup d’une aigrette de feux comme un volcan s’ouvrant dans l’onde si la lame roulait turbans sabres courbés voiles tentes croissants des mâts rompus tombés vestiges de flotte et d’armée pelisses de vizirs sayons de matelots rebuts stigmatisés de la flamme et des flots blancs d’écume et noirs de fumée si partait de ces mers d’égine ou d’iolchos un bruit d’explosion tonnant dans mille échos et roulant au loin dans l’espace l’europe se tournait vers le rouge orient et sur la poupe assis le nocher souriant disait — c’est canaris qui passe jusqu’ici quand brûlaient au sein des flots fumants les capitans pachas avec leurs armements leur flotte dans l’ombre engourdie on te reconnaissait à ce terrible jeu ton brûlot expliquait tous ces vaisseaux en feu ta torche éclairait l’incendie mais pleure aujourd’hui pleure on s’est battu sans toi pourquoi sans canaris sur ces flottes pourquoi porter la guerre et ses tempêtes du dieu qui garde hellé n’est il plus le bras droit on aurait dû l’attendre et n’est il pas de droit convive de toutes ces fêtes ii console toi la grèce est libre entre les bourreaux les mourants l’europe a remis l’équilibre console toi plus de tyrans la france combat le sort change souffre que sa main qui vous venge du moins te dérobe en échange une feuille de ton laurier grèces de byron et d’homère toi notre sœur toi notre mère chantez si votre voix amère ne s’est pas éteinte à crier pauvre grèce qu’elle était belle pour être couchée au tombeau chaque vizir de la rebelle s’arrachait un sacré lambeau où la fable mit ses ménades où l’amour eut ses sérénades grondaient les sombres canonnades sapant les temps du vrai dieu le ciel de cette terre aimée n’avait sous sa voûte embaumée de nuages que la fumée de toutes ses villes en feu voilà six ans qu’ils l’ont choisie six ans qu’on voyait accourir l’afrique au secours de l’asie contre un peuple instruit à mourir ibrahim que rien ne modère vole de l’isthme au belvédère comme un faucon qui n’a plus d’aire comme un loup qui règne au bercail il court où le butin le tente et lorsqu’il retourne à sa tente chaque fois sa main dégouttante jette des têtes au sérail iii enfin — c’est navarin la ville aux maisons peintes la ville aux dômes d’or la blanche navarin sur la colline assise entre les térébinthes qui prête son beau golfe aux ardentes étreintes de deux flottes heurtant leurs carènes d’airain les voilà toutes deux — la mer en est chargée prête à noyer leurs feux prête à boire leur sang chacune par son dieu semble au combat rangée l’une s’étend en croix sur les flots allongée l’autre ouvre ses bras lourds et se courbe en croissant ici l’europe enfin l’europe qu’on déchaîne avec ses grands vaisseaux voguant comme des tours là l’égypte des turcs cette asie africaine ces vivaces forbans mal tués par duquesne qui mit en vain le pied sur ces nids de vautours iv écoutez — le canon gronde il est temps qu’on lui réponde le patient est le fort éclatent donc les bordées sur ces nefs intimidées frégates jetez la mort et qu’au souffle de vos bouches fondent ces vaisseaux farouches broyés aux rochers du port la bataille enfin s’allume tout à la fois tonne et fume la mort vole où nous frappons là tout brûle pêle mêle ici court le brûlot frêle qui jette aux mâts ses crampons et comme un chacal dévore l’éléphant qui lutte encore ronge un navire à trois ponts — l’abordage l’abordage — on se suspend au cordage on s’élance des haubans la poupe heurte la proue la mêlée a dans sa roue rameurs courbés sur leurs bancs fantassins cherchant la terre l’épée et le cimeterre les casques et les turbans la vergue aux vergues s’attache la torche insulte à la hache tout s’attaque en même temps sur l’abîme la mort nage épouvantable carnage champs de bataille flottants qui battus de cent volées s’écroulent sous les mêlées avec tous les combattants v lutte horrible ah quand l’homme à l’étroit sur la terre jusque sur l’océan précipite la guerre le sol tremble sous lui tandis qu’il se débat la mer la grande mer joue avec ses batailles vainqueurs vaincus à tous elle ouvre ses entrailles le naufrage éteint le combat ô spectacle tandis que l’afrique grondante bat nos puissants vaisseaux de sa flotte imprudente qu’elle épuise à leurs flancs sa rage et ses efforts chacun d’eux géant fier sur ces hordes bruyantes ouvrant à temps égaux ses gueules foudroyantes vomit tranquillement la mort de tous ses bords tout s’embrase voyez l’eau de cendre est semée le vent aux mâts en flamme arrache la fumée le feu sur les tillacs s’abat en ponts mouvants déjà brûlent les nefs déjà sourde et profonde la flamme en leurs flancs noirs ouvre un passage à l’onde déjà sur les ailes des vents l’incendie attaquant la frégate amirale déroule autour des mâts sont ardente spirale prend les marins hurlants dans ses brûlants réseaux couronne de ses jets la poupe inabordable triomphe et jette au loin un reflet formidable qui tremble élargissant ses cercles sur les eaux vi où sont enfants du caire ces flottes qui naguère emportaient à la guerre leurs mille matelots ces voiles où sont elles qu’armaient les infidèles et qui prêtaient leurs ailes à l’ongle des brûlots où sont tes mille antennes et tes hunes hautaines et tes fiers capitaines armada du sultan ta ruine commence toi qui dans ta démence battais les mers immense comme léviathan le capitan qui tremble voit éclater ensemble ces chébecs que rassemble alger ou tetuan le feu vengeur embrasse son vaisseau dont la masse soulève quand il passe le fond de l’océan sur les mers irritées dérivent démâtées nefs par les nefs heurtées yachts aux mille couleurs galères capitanes caïques et tartanes qui portaient aux sultanes des têtes et des fleurs adieu sloops intrépides adieu jonques rapides qui sur les eaux limpides berçaient les icoglans adieu la goëlette dont la vague reflète le flamboyant squelette noir dans les feux sanglants adieu la barcarolle dont l’humble banderole autour des vaisseaux vole et qui peureuse fuit quand du souffle des brises les frégates surprises gonflant leurs voiles grises déferlent à grand bruit adieu la caravelle qu’une voile nouvelle aux yeux de loin révèle adieu le dogre ailé le brick dont les amures rendent de sourds murmures comme un amas d’armures par le vent ébranlé adieu la brigantine dont la voile latine du flot qui se mutine fend les vallons amers adieu la balancelle qui sur l’onde chancelle et comme une étincelle luit sur l’azur des mers adieu lougres difformes galéaces énormes vaisseaux de toutes formes vaisseaux de tous climats l’yole aux triples flammes les mahonnes les prames la felouque à six rames la polacre à deux mâts chaloupes canonnières et lanches marinières où flottaient les bannières du pacha souverain bombardes que la houle sur son front qui s’écroule soulève emporte et roule avec un bruit d’airain adieu ces nefs bizarres caraques et gabarres qui de leurs cris barbares troublaient chypre et délos que sont donc devenues ces flottes trop connues la mer les jette aux nues le ciel les rend aux flots vii silence tout est fait tout retombe à l’abîme l’écume des hauts mâts a recouvert la cime des vaisseaux du sultan les flots se sont joués quelques uns bricks rompus prames désemparées comme l’algue des eaux qu’apportent les marées sur la grève noircie expirent échoués ah c’est une victoire — oui l’afrique défaite le vrai dieu sous ses pieds foulant le faux prophète les tyrans les bourreaux criant grâce à leur tour ceux qui meurent enfin sauvés par ceux qui règnent hellé lavant ses flancs qui saignent et six ans vengés dans un jour depuis assez longtemps les peuples disaient grèce grèce grèce tu meurs pauvre peuple en détresse à l’horizon en feu chaque jour tu décroîs en vain pour te sauver patrie illustre et chère nous réveillons le prêtre endormi dans sa chaire en vain nous mendions une armée à nos rois mais les rois restent sourds les chaires sont muettes ton nom n’échauffe ici que des cœurs de poëtes à la gloire à la vie on demande tes droits à la croix grecque hellé ta valeur se confie c’est un peuple qu’on crucifie qu’importe hélas sur quelle croix tes dieux s’en vont aussi parthénon propylées murs de grèce ossements des villes mutilées vous devenez une arme aux mains des mécréants pour battre ses vaisseaux du haut des dardanelles chacun de vos débris ruines solennelles donne un boulet de marbre à leurs canons géants qu’on change cette plainte en joyeuse fanfare une rumeur surgit de l’isthme jusqu’au phare regardez ce ciel noir plus beau qu’un ciel serein le vieux colosse turc sur l’orient retombe la grèce est libre et dans la tombe byron applaudit navarin salut donc albion vieille reine des ondes salut aigle des czars qui planes sur deux mondes gloire à nos fleurs de lys dont l’éclat est si beau l’angleterre aujourd’hui reconnaît sa rivale navarin la lui rend notre gloire navale à cet embrasement rallume son flambeau je te retrouve autriche — oui la voilà c’est elle non pas ici mais là — dans la flotte infidèle parmi les rangs chrétiens en vain on te chercha nous surprenons honteuse et la tête penchée ton aigle au double front cachée sous les crinières d’un pacha c’est bien ta place autriche — on te voyait naguère briller près d’ibrahim ce tamerlan vulgaire tu dépouillais les morts qu’il foulait en passant tu l’admirais mêlée aux eunuques serviles promenant au hasard sa torche dans les villes horrible et n’éteignant le feu qu’avec du sang tu préférais ces feux aux clartés de l’aurore aujourd’hui qu’à leur tour la flamme enfin dévore ses noirs vaisseaux vomis des ports égyptiens rouvre les yeux regarde autriche abâtardie que dis tu de cet incendie est il aussi beau que les siens 23 novembre 1827 vi cri de guerre du mufti hierro despierta te cri de guerre des almogavares fer réveille toi en guerre les guerriers mahomet mahomet les chiens mordent les pieds du lion qui dormait ils relèvent leur tête infâme écrasez ô croyants du prophète divin ces chancelants soldats qui s’enivrent de vin ces hommes qui n’ont qu’une femme meure la race franque et ses rois détestés spahis timariots allez courez jetez à travers les sombres mêlées vos sabres vos turbans le bruit de votre cor vos tranchants étriers larges triangles d’or vos cavales échevelées qu’othman fils d’ortogrul vive en chacun de vous que l’un ait son regard et l’autre son courroux allez allez ô capitaines et nous te reprendrons ville aux dômes d’or pur molle setiniah qu’en leur langage impur les barbares nomment athènes 21 octobre 1828 vii la douleur du pacha séparé de tout ce qui m’était cher je me consume solitaire et désolé biron — qu’a donc l’ombre d’allah disait l’humble derviche son aumône est bien pauvre et son trésor bien riche sombre immobile avare il rit d’un rire amer a t il donc ébréché le sabre de son père ou bien de ses soldats autour de son repaire vu rugir l’orageuse mer — qu’a t il donc le pacha le vizir des armées disaient les bombardiers leurs mèches allumées les imans troublent ils cette tête de fer a t il du ramazan rompu le jeûne austère lui font ils voir en rêve aux bornes de la terre l’ange azraël debout sur le pont de l’enfer — qu’a t il donc murmuraient les icoglans stupides dit on qu’il ait perdu dans les courants rapides le vaisseau des parfums qui le font rajeunir trouve t on à stamboul sa gloire assez ancienne dans les prédictions de quelque égyptienne a t il vu le muet venir — qu’a donc le doux sultan demandaient les sultanes a t il avec son fils surpris sous les platanes sa brune favorite aux lèvres de corail a t on souillé son bain d’une essence grossière dans le sac du fellah vidé sur la poussière manque t il quelque tête attendue au sérail — qu’a donc le maître — ainsi s’agitent les esclaves tous se trompent hélas si perdu pour ses braves assis comme un guerrier qui dévore un affront courbé comme un vieillard sous le poids des années depuis trois longues nuits et trois longues journées il croise ses mains sur son front ce n’est pas qu’il ait vu la révolte infidèle assiégeant son harem comme une citadelle jeter jusqu’à sa couche un sinistre brandon ni d’un père en sa main s’émousser le vieux glaive ni paraître azraël ni passer dans un rêve les muets bigarrés armés du noir cordon hélas l’ombre d’allah n’a pas rompu le jeûne la sultane est gardée et son fils est trop jeune nul vaisseau n’a subi d’orages importuns le tartare avait bien sa charge accoutumée il ne manque au sérail solitude embaumée ni les têtes ni les parfums ce ne sont pas non plus les villes écroulées les ossements humains noircissant les vallées la grèce incendiée en proie aux fils d’omar l’orphelin ni la veuve et ses plaintes amères ni l’enfance égorgée aux yeux des pauvres mères ni la virginité marchandée au bazar non non ce ne sont pas ces figures funèbres qui d’un rayon sanglant luisant dans les ténèbres en passant dans son âme ont laissé le remord qu’a t il donc ce pacha que la guerre réclame et qui triste et rêveur pleure comme une femme … son tigre de nubie est mort 1er décembre 1827 viii chanson de pirates alerte alerte voici les pirates d’ochab qui traversent le détroit le captif d’ochab nous emmenions en esclavage cent chrétiens pêcheurs de corail nous recrutions pour le sérail dans tous les moûtiers du rivage en mer les hardis écumeurs nous allions de fez à catane… dans la galère capitane nous étions quatrevingts rameurs on signale un couvent à terre nous jetons l’ancre près du bord à nos yeux s’offre tout d’abord une fille du monastère près des flots sourde à leurs rumeurs elle dormait sous un platane… dans la galère capitane nous étions quatrevingts rameurs — la belle fille il faut vous taire il faut nous suivre il fait bon vent ce n’est que changer de couvent le harem vaut le monastère sa hautesse aime les primeurs nous vous ferons mahométane… dans la galère capitane nous étions quatrevingts rameurs elle veut fuir vers sa chapelle — osez vous bien fils de satan — nous osons dit le capitan elle pleure supplie appelle malgré sa plainte et ses clameurs on l’emporta dans la tartane… dans la galère capitane nous étions quatrevingts rameurs plus belle encor dans sa tristesse ses yeux étaient deux talismans elle valait mille tomans on la vendit à sa hautesse elle eut beau dire je me meurs de nonne elle devint sultane… dans la galère capitane nous étions quatrevingts rameurs 12 mars 1828 ix la captive on entendait le chant des oiseaux aussi harmonieux que la poésie sadi gulistan si je n’étais captive j’aimerais ce pays et cette mer plaintive et ces champs de maïs et ces astres sans nombre si le long du mur sombre n’étincelait dans l’ombre le sabre des spahis je ne suis point tartare pour qu’un eunuque noir m’accorde ma guitare me tienne mon miroir bien loin de ces sodomes au pays dont nous sommes avec les jeunes hommes on peut parler le soir pourtant j’aime une rive où jamais des hivers le souffle froid n’arrive par les vitraux ouverts l’été la pluie est chaude l’insecte vert qui rôde luit vivante émeraude sous les brins d’herbe verts smyrne est une princesse avec son beau chapel l’heureux printemps sans cesse répond à son appel et comme un riant groupe de fleurs dans une coupe dans ses mers se découpe plus d’un frais archipel j’aime ces tours vermeilles ces drapeaux triomphants ces maisons d’or pareilles à des jouets d’enfants j’aime pour mes pensées plus mollement bercées ces tentes balancées au dos des éléphants dans ce palais de fées mon cœur plein de concerts croit aux voix étouffées qui viennent des déserts entendre les génies mêler les harmonies des chansons infinies qu’ils chantent dans les airs j’aime de ces contrées les doux parfums brûlants sur les vitres dorées les feuillages tremblants l’eau que la source épanche sous le palmier qui penche et la cigogne blanche sur les minarets blancs j’aime en un lit de mousses dire un air espagnol quand mes compagnes douces du pied rasant le sol légion vagabonde où le sourire abonde font tournoyer leur ronde sous un rond parasol mais surtout quand la brise me touche en voltigeant la nuit j’aime être assise être assise en songeant l’œil sur la mer profonde tandis que pâle et blonde la lune ouvre dans l’onde son éventail d’argent 7 juillet 1828 x clair de lune per amica silentia lunæ virgile la lune était sereine et jouait sur les flots — la fenêtre enfin libre est ouverte à la brise la sultane regarde et la mer qui se brise là bas d’un flot d’argent brode les noirs îlots de ses doigts en vibrant s’échappe la guitare elle écoute… un bruit sourd frappe les sourds échos est ce un lourd vaisseau turc qui vient des eaux de cos battant l’archipel grec de sa rame tartare sont ce des cormorans qui plongent tour à tour et coupent l’eau qui roule en perles sur leur aile est ce un djinn qui là haut siffle d’une voix grêle et jette dans la mer les créneaux de la tour qui trouble ainsi les flots près du sérail des femmes — ni le noir cormoran sur la vague bercé ni les pierres du mur ni le bruit cadencé du lourd vaisseau rampant sur l’onde avec des rames ce sont des sacs pesants d’où partent des sanglots on verrait en sondant la mer qui les promène se mouvoir dans leurs flancs comme une forme humaine… — la lune était sereine et jouait sur les flots 2 septembre 1828 xi le voile avez vous prié dieu ce soir desdemona shakespeare la sœur qu’avez vous qu’avez vous mes frères vous baissez des fronts soucieux comme des lampes funéraires vos regards brillent dans vos yeux vos ceintures sont déchirées déjà trois fois hors de l’étui sous vos doigts à demi tirées les lames des poignards ont lui le frère aîné n’avez vous pas levé votre voile aujourd’hui la sœur je revenais du bain mes frères seigneurs du bain je revenais cachée aux regards téméraires des giaours et des albanais en passant près de la mosquée dans mon palanquin recouvert l’air de midi m’a suffoquée mon voile un instant s’est ouvert le second frère un homme alors passait un homme en caftan vert la sœur oui… peut être… mais son audace n’a point vu mes traits dévoilés… mais vous vous parlez à voix basse à voix basse vous vous parlez vous faut il du sang sur votre âme mes frères il n’a pu me voir grâce tuerez vous une femme faible et nue en votre pouvoir le troisième frère le soleil était rouge à son coucher ce soir la sœur grâce qu’ai je fait grâce grâce dieu quatre poignards dans mon flanc ah par vos genoux que j’embrasse… ô mon voile ô mon voile blanc ne fuyez pas mes mains qui saignent mes frères soutenez mes pas car sur mes regards qui s’éteignent s’étend un voile de trépas le quatrième frère c’en est un que du moins tu ne lèveras pas 1er septembre 1828 xii la sultane favorite perfide comme l’onde shakespeare n’ai je pas pour toi belle juive assez dépeuplé mon sérail souffre qu’enfin le reste vive faut il qu’un coup de hache suive chaque coup de ton éventail repose toi jeune maîtresse fais grâce au troupeau qui me suit je te fais sultane et princesse laisse en paix tes compagnes cesse d’implorer leur mort chaque nuit quand à ce penser tu t’arrêtes tu viens plus tendre à mes genoux toujours je comprends dans les fêtes que tu vas demander des têtes quand ton regard devient plus doux ah jalouse entre les jalouses si belle avec ce cœur d’acier pardonne à mes autres épouses voit on que les fleurs des pelouses meurent à l’ombre du rosier ne suis je pas à toi qu’importe quand sur toi mes bras sont fermés que cent femmes qu’un feu transporte consument en vain à ma porte leur souffle en soupirs enflammés dans leur solitude profonde laisse les t’envier toujours vois les passer comme fuit l’onde laisse les vivre à toi le monde à toi mon trône à toi mes jours à toi tout mon peuple — qui tremble à toi stamboul qui sur ce bord dressant mille flèches ensemble se berce dans la mer et semble une flotte à l’ancre qui dort à toi jamais à tes rivales mes spahis aux rouges turbans qui se suivant sans intervalles volent courbés sur leurs cavales comme des rameurs sur leurs bancs à toi bassora trébizonde chypre où de vieux noms sont gravés fez où la poudre d’or abonde mosul où trafique le monde erzeroum aux chemins pavés à toi smyrne et ses maisons neuves où vient blanchir le flot amer le gange redouté des veuves le danube qui par cinq fleuves tombe échevelé dans la mer dis crains tu les filles de grèce les lys pâles de damanhour ou l’œil ardent de la négresse qui comme une jeune tigresse bondit rugissante d’amour que m’importe juive adorée un sein d’ébène un front vermeil tu n’es point blanche ni cuivrée mais il semble qu’on t’a dorée avec un rayon du soleil n’appelle donc plus la tempête princesse sur ces humbles fleurs jouis en paix de ta conquête et n’exige pas qu’une tête tombe avec chacun de tes pleurs ne songe plus qu’aux frais platanes au bain mêlé d’ambre et de nard au golfe où glissent les tartanes… il faut au sultan des sultanes il faut des perles au poignard 22 octobre 1828 xiii le derviche ὅταν ἦναι πεπρωμένος εἰς τὸν οὐρανὸν γραμμένος τοῦ ἀνθρώπου ὁ χαμός ὅ τι κάμῃ ἀποθνήσκει τὸν κρημνὸν παντοῦ εὑρίσκει καὶ ὁ θάνατος αὐτός στὸ κρεϐϐάτι τοῦτον φθάνει ὡσὰν βδέλλα τὸν βυζάνει καὶ τὸν θάπτει μοναχός panago soutzo quand la perte d’un mortel est écrite dans le livre fatal de la destinée quoi qu’il fasse il n’échappera jamais à son funeste avenir la mort le poursuit partout elle le surprend même dans son lit suce de ses lèvres avides son sang et l’emporte sur ses épaules un jour ali passait les têtes les plus hautes se courbaient au niveau des pieds de ses arnautes tout le peuple disait allah un derviche soudain cassé par l’âge aride fendit la foule prit son cheval par la bride et voici comme il lui parla ali tépéléni lumière des lumières qui sièges au divan sur les marches premières dont le grand nom toujours grandit écoute moi vizir de ces guerriers sans nombre ombre du padischah qui de dieu même est l’ombre tu n’es qu’un chien et qu’un maudit un flambeau du sépulcre à ton insu t’éclaire comme un vase trop plein tu répands ta colère sur tout un peuple frémissant tu brilles sur leurs fronts comme une faulx dans l’herbe et tu fais un ciment à ton palais superbe de leur os broyés dans leur sang mais ton jour vient il faut dans janina qui tombe que sous tes pas enfin croule et s’ouvre la tombe dieu te garde un carcan de fer sous l’arbre du segjin chargé d’âmes impies qui sur ses rameaux noirs frissonnent accroupies dans la nuit du septième enfer ton âme fuira nue au livre de tes crimes un démon te lira les noms de tes victimes tu les verras autour de toi ces spectres teints du sang qui n’est plus dans leurs veines se presser plus nombreux que les paroles vaines que balbutiera ton effroi ceci t’arrivera sans que ta forteresse ou ta flotte te puisse aider dans ta détresse de sa rame ou de son canon quand même ali pacha comme le juif immonde pour tromper l’ange noir qui l’attend hors du monde en mourant changerait de nom ali sous sa pelisse avait un cimeterre un tromblon tout chargé s’ouvrant comme un cratère trois longs pistolets un poignard il écouta le prêtre et lui laissa tout dire pencha son front rêveur puis avec un sourire donna sa pelisse au vieillard 8 novembre 1828 xiv le château fort ἔῤῥωσο à quoi pensent ces flots qui baisent sans murmure les flancs de ce rocher luisant comme une armure quoi donc n’ont ils pas vu dans leur propre miroir que ce roc dont le pied déchire leurs entrailles a sur sa tête un fort ceint de blanches murailles roulé comme un turban autour de son front noir que font ils à qui donc gardent ils leur colère allons acharne toi sur ce cap séculaire ô mer trêve un moment aux pauvres matelots ronge ronge ce roc qu’il chancelle qu’il penche et tombe enfin avec sa forteresse blanche la tête la première enfoncé dans les flots dis combien te faut il de temps ô mer fidèle pour jeter bas ce roc avec sa citadelle un jour un an un siècle … au nid du criminel précipite toujours ton eau jaune de sable que t’importe le temps ô mer intarissable un siècle est comme un flot dans ton gouffre éternel engloutis cet écueil que ta vague l’efface et sur son front perdu toujours passe et repasse que l’algue aux verts cheveux dégrade ses contours que sur son flanc couché dans ton lit sombre il dorme qu’on n’y distingue plus sa forteresse informe que chaque flot emporte une pierre à ses tours afin que rien n’en reste au monde et qu’on respire de ne plus voir la tour d’ali pacha d’épire et qu’un jour côtoyant les bords qu’ali souilla si le marin de cos dans la mer ténébreuse voit un grand tourbillon dont le centre se creuse aux passagers muets il dise c’était là 26 novembre 1828 xv marche turque là — allah — ellàllah koran il n’y a d’autre dieu que dieu ma dague d’un sang noir à mon côté ruisselle et ma hache est pendue à l’arçon de ma selle j’aime le vrai soldat effroi de bélial son turban évasé rend son front plus sévère il baise avec respect la barbe de son père il voue à son vieux sabre un amour filial et porte un doliman percé dans les mêlées de plus de coups que n’a de taches étoilées la peau du tigre impérial ma dague d’un sang noir à mon côté ruisselle et ma hache est pendue à l’arçon de ma selle un bouclier de cuivre à son bras sonne et luit rouge comme la lune au milieu d’une brume son cheval hennissant mâche un frein blanc d’écume un long sillon de poudre en sa course le suit quand il passe au galop sur le pavé sonore on fait silence on dit c’est un cavalier maure et chacun se retourne au bruit ma dague d’un sang noir à mon côté ruisselle et ma hache est pendue à l’arçon de ma selle quand dix mille giaours viennent au son du cor il leur répond il vole et d’un souffle farouche fait jaillir la terreur du clairon qu’il embouche tue et parmi les morts sent croître son essor rafraîchit dans leur sang son caftan écarlate et pousse son coursier qui se lasse et le flatte pour en égorger plus encor ma dague d’un sang noir à mon côté ruisselle et ma hache est pendue à l’arçon de ma selle j’aime s’il est vainqueur quand s’est tû le tambour qu’il ait sa belle esclave aux paupières arquées et laissant les imans qui prêchent aux mosquées boire du vin la nuit qu’il en boive au grand jour j’aime après le combat que sa voix enjouée rie et des cris de guerre encor tout enrouée chante les houris et l’amour ma dague d’un sang noir à mon côté ruisselle et ma hache est pendue à l’arçon de ma selle qu’il soit grave et rapide à venger un affront qu’il aime mieux savoir le jeu du cimeterre que tout ce qu’à vieillir on apprend sur la terre qu’il ignore quel jour les soleils s’éteindront quand rouleront les mers sur les sables arides mais qu’il soit brave et jeune et préfère à des rides des cicatrices sur son front ma dague d’un sang noir à mon côté ruisselle et ma hache est pendue à l’arçon de ma selle tel est comparadgis spahis timariots le vrai guerrier croyant mais celui qui se vante et qui tremble au moment de semer l’épouvante qui le dernier arrive aux camps impériaux qui lorsque d’une ville on a forcé la porte ne fait pas sous le poids du butin qu’il rapporte plier l’essieu des chariots ma dague d’un sang noir à mon côté ruisselle et ma hache est pendue à l’arçon de ma selle celui qui d’une femme aime les entretiens celui qui ne sait pas dire dans une orgie quelle est d’un beau cheval la généalogie qui cherche ailleurs qu’en soi force amis et soutiens sur de soyeux divans se couche avec mollesse craint le soleil sait lire et par scrupule laisse tout le vin de chypre aux chrétiens ma dague d’un sang noir à mon côté ruisselle et ma hache est pendue à l’arçon de ma selle celui là c’est un lâche et non pas un guerrier ce n’est pas lui qu’on voit dans la bataille ardente pousser un fier cheval à la housse pendante le sabre en main debout sur le large étrier il n’est bon qu’à presser des talons une mule en murmurant tout bas quelque vaine formule comme un prêtre qui va prier ma dague d’un sang noir à mon côté ruisselle et ma hache est pendue à l’arçon de ma selle 1 2 mai 1828 xvi la bataille perdue sur la plus haute colline il monte et sa javeline soutenant ses membres lourds il voit son armée en fuite et de sa tente détruite pendre en lambeaux le velours em deschamps rodrigue pendant la bataille allah qui me rendra ma formidable armée émirs cavalerie au carnage animée et ma tente et mon camp éblouissant à voir qui la nuit allumait tant de feux qu’à leur nombre on eût dit que le ciel sur la colline sombre laissait ses étoiles pleuvoir qui me rendra mes beys aux flottantes pelisses mes fiers timariots turbulentes milices mes khans bariolés mes rapides spahis et mes bédouins hâlés venus des pyramides qui riaient d’effrayer les laboureurs timides et poussaient leurs chevaux par les champs de maïs tous ces chevaux à l’œil de flamme aux jambes grêles qui volaient dans les blés comme des sauterelles quoi je ne verrai plus franchissant les sillons leurs troupes par la mort en vain diminuées sur les carrés pesants s’abattant par nuées couvrir d’éclairs les bataillons ils sont morts dans le sang traînent leurs belles housses le sang souille et noircit leur croupe aux taches rousses l’éperon s’userait sur leur flanc arrondi avant de réveiller leurs pas jadis rapides et près d’eux sont couchés leurs maîtres intrépides qui dormaient à leur ombre aux haltes de midi allah qui me rendra ma redoutable armée la voilà par les champs tout entière semée comme l’or d’un prodigue épars sur le pavé quoi chevaux cavaliers arabes et tartares leurs turbans leur galop leurs drapeaux leurs fanfares c’est comme si j’avais rêvé ô mes vaillants soldats et leurs coursiers fidèles leurs voix n’a plus de bruit et leurs pieds n’ont plus d’ailes ils ont oublié tout et le sabre et le mors de leurs corps entassés cette vallée est pleine voilà pour bien longtemps une sinistre plaine ce soir l’odeur du sang demain l’odeur des morts quoi c’était une armée et ce n’est plus qu’une ombre ils se sont bien battus de l’aube à la nuit sombre dans le cercle fatal ardents à se presser les noirs linceuls des nuits sur l’horizon se posent les braves ont fini maintenant ils reposent et les corbeaux vont commencer déjà passant leur bec entre leurs plumes noires du fond des bois du haut des chauves promontoires ils accourent des morts ils rongent les lambeaux et cette armée hier formidable et suprême cette puissante armée hélas ne peut plus même effaroucher un aigle et chasser des corbeaux oh si j’avais encor cette armée immortelle je voudrais conquérir des mondes avec elle je la ferais régner sur les rois ennemis elle serait ma sœur ma dame et mon épouse mais que fera la mort inféconde et jalouse de tant de braves endormis que n’ai je été frappé que n’a sur la poussière roulé mon vert turban avec ma tête altière hier j’étais puissant hier trois officiers immobiles et fiers sur leur selle tigrée portaient devant le seuil de ma tente dorée trois panaches ravis aux croupes des coursiers hier j’avais cent tambours tonnant à mon passage j’avais quarante agas contemplant mon visage et d’un sourcil froncé tremblant dans leurs palais au lieu des lourds pierriers qui dorment sur les proues j’avais de beaux canons roulant sur quatre roues avec leurs canonniers anglais hier j’avais des châteaux j’avais de belles villes des grecques par milliers à vendre aux juifs serviles j’avais de grands harems et de grands arsenaux aujourd’hui dépouillé vaincu proscrit funeste je fuis… de mon empire hélas rien ne me reste allah je n’ai plus même une tour à créneaux il faut fuir moi pacha moi vizir à trois queues franchir l’horizon vaste et les collines bleues furtif baissant les yeux presque tendant la main comme un voleur qui fuit troublé dans les ténèbres et croit voir des gibets dressant leurs bras funèbres dans tous les arbres du chemin ainsi parlait reschid le soir de sa défaite nous eûmes mille grecs tués à cette fête mais le vizir fuyait seul ces champs meurtriers rêveur il essuyait son rouge cimeterre deux chevaux près de lui du pied battaient la terre et vides sur leurs flancs sonnaient les étriers 7 8 mai 1828 xvii le ravin …alte fosse che vallan quella terra sconsolata dante un ravin de ces monts coupe la noire crête comme si voyageant du caucase au cédar quelqu’un de ces titans que nul rempart n’arrête avait fait passer sur leur tête la roue immense de son char hélas combien de fois dans nos temps de discorde des flots de sang chrétien et de sang mécréant baignant le cimeterre et la miséricorde ont changé tout à coup en torrent qui déborde cette ornière d’un char géant avril 1828 xviii l’enfant o horror horror horror shakespeare macbeth les turcs ont passé là tout est ruine et deuil chio l’île des vins n’est plus qu’un sombre écueil chio qu’ombrageaient les charmilles chio qui dans les flots reflétait ses grands bois ses coteaux ses palais et le soir quelquefois un chœur dansant de jeunes filles tout est désert mais non seul près des murs noircis un enfant aux yeux bleus un enfant grec assis courbait sa tête humiliée il avait pour asile il avait pour appui une blanche aubépine une fleur comme lui dans le grand ravage oubliée ah pauvre enfant pieds nus sur les rocs anguleux hélas pour essuyer les pleurs de tes yeux bleus comme le ciel et comme l’onde pour que dans leur azur de larmes orageux passe le vif éclair de la joie et des jeux pour relever ta tête blonde que veux tu bel enfant que te faut il donner pour rattacher gaîment et gaîment ramener en boucles sur ta blanche épaule ces cheveux qui du fer n’ont pas subi l’affront et qui pleurent épars autour de ton beau front comme les feuilles sur le saule qui pourrait dissiper tes chagrins nébuleux est ce d’avoir ce lys bleu comme tes yeux bleus qui d’iran borde le puits sombre ou le fruit du tuba de cet arbre si grand qu’un cheval au galop met toujours en courant cent ans à sortir de son ombre veux tu pour me sourire un bel oiseau des bois qui chante avec un chant plus doux que le hautbois plus éclatant que les cymbales que veux tu fleur beau fruit ou l’oiseau merveilleux — ami dit l’enfant grec dit l’enfant aux yeux bleus je veux de la poudre et des balles 8 10 juin 1828 xix sara la baigneuse le soleil et les vents dans ces bocages sombres des feuilles sur son front faisaient flotter les ombres alfred de vigny sara belle d’indolence se balance dans un hamac au dessus du bassin d’une fontaine toute pleine d’eau puisée à l’ilyssus et la frêle escarpolette se reflète dans le transparent miroir avec la baigneuse blanche qui se penche qui se penche pour se voir chaque fois que la nacelle qui chancelle passe à fleur d’eau dans son vol on voit sur l’eau qui s’agite sortir vite son beau pied et son beau col elle bat d’un pied timide l’onde humide où tremble un mouvant tableau fait rougir son pied d’albâtre et folâtre rit de la fraîcheur de l’eau reste ici caché demeure dans une heure d’un œil ardent tu verras sortir du bain l’ingénue toute nue croisant ses mains sur ses bras car c’est un astre qui brille qu’une fille qui sort d’un bain au flot clair cherche s’il ne vient personne et frissonne toute mouillée au grand air elle est là sous la feuillée éveillée au moindre bruit de malheur et rouge pour une mouche qui la touche comme une grenade en fleur on voit tout ce que dérobe voile ou robe dans ses yeux d’azur en feu son regard que rien ne voile est l’étoile qui brille au fond d’un ciel bleu l’eau sur son corps qu’elle essuie roule en pluie comme sur un peuplier comme si gouttes à gouttes tombaient toutes les perles de son collier mais sara la nonchalante est bien lente à finir ses doux ébats toujours elle se balance en silence et va murmurant tout bas oh si j’étais capitane ou sultane je prendrais des bains ambrés dans un bain de marbre jaune près d’un trône entre deux griffons dorés j’aurais le hamac de soie qui se ploie sous le corps prêt à pâmer j’aurais la molle ottomane dont émane un parfum qui fait aimer je pourrais folâtrer nue sous la nue dans le ruisseau du jardin sans craindre de voir dans l’ombre du bois sombre deux yeux s’allumer soudain il faudrait risquer sa tête inquiète et tout braver pour me voir le sabre nu de l’heiduque et l’eunuque aux dents blanches au front noir puis je pourrais sans qu’on presse ma paresse laisser avec mes habits traîner sur les larges dalles mes sandales de drap brodé de rubis ainsi se parle en princesse et sans cesse se balance avec amour la jeune fille rieuse oublieuse des promptes ailes du jour l’eau du pied de la baigneuse peu soigneuse rejaillit sur le gazon sur sa chemise plissée balancée aux branches d’un vert buisson et cependant des campagnes ses compagnes prennent toutes le chemin voici leur troupe frivole qui s’envole en se tenant par la main chacune en chantant comme elle passe et mêle ce reproche à sa chanson — oh la paresseuse fille qui s’habille si tard un jour de moisson juillet 1828 xx attente esperaba desperada monte écureuil monte au grand chêne sur la branche des cieux prochaine qui plie et tremble comme un jonc cigogne aux vieilles tours fidèle oh vole et monte à tire d’aile de l’église à la citadelle du haut clocher au grand donjon vieux aigle monte de ton aire à la montagne centenaire que blanchit l’hiver éternel et toi qu’en ta couche inquiète jamais l’aube ne vit muette monte monte vive alouette vive alouette monte au ciel et maintenant du haut de l’arbre des flèches de la tour de marbre du grand mont du ciel enflammé à l’horizon parmi la brume voyez vous flotter une plume et courir un cheval qui fume et revenir mon bien aimé 1er juin 1828 xxi lazzara et cette femme était fort belle rois chap xi v 2 comme elle court voyez — par les poudreux sentiers par les gazons tout pleins de touffes d’églantiers par les blés où le pavot brille par les chemins perdus par les chemins frayés par les monts par les bois par les plaines voyez comme elle court la jeune fille elle est grande elle est svelte et quand d’un pas joyeux sa corbeille de fleurs sur la tête à nos yeux elle apparaît vive et folâtre à voir sur son beau front s’arrondir ses bras blancs on croirait voir de loin dans nos temples croulants une amphore aux anses d’albâtre elle est jeune et rieuse et chante sa chanson et pieds nus près du lac de buisson en buisson poursuit les vertes demoiselles elle lève sa robe et passe les ruisseaux elle va court s’arrête et vole et les oiseaux pour ses pieds donneraient leurs ailes quand le soir pour la danse on va se réunir à l’heure où l’on entend lentement revenir les grelots du troupeau qui bêle sans chercher quels atours à ses traits conviendront elle arrive et la fleur qu’elle attache à son front nous semble toujours la plus belle certes le vieux omer pacha de négrepont pour elle eût tout donné vaisseaux à triple pont foudroyantes artilleries harnois de ses chevaux toisons de ses brebis et son rouge turban de soie et ses habits tout ruisselants de pierreries et ses lourds pistolets ses tromblons évasés et leurs pommeaux d’argent par sa main rude usés et ses sonores espingoles et son courbe damas et don plus riche encor la grande peau de tigre où pend son carquois d’or hérissé de flèches mogoles il eût donné sa housse et son large étrier donné tous ses trésors avec le trésorier donné ses trois cents concubines donné ses chiens de chasse aux colliers de vermeil donné ses albanais brûlés par le soleil avec leurs longues carabines il eût donné les francs les juifs et leur rabbin son kiosque rouge et vert et ses salles de bain aux grands pavés de mosaïque sa haute citadelle aux créneaux anguleux et sa maison d’été qui se mire aux flots bleus d’un golfe de cyrénaïque tout jusqu’au cheval blanc qu’il élève au sérail dont la sueur à flots argente le poitrail jusqu’au frein que l’or damasquine jusqu’à cette espagnole envoi du dey d’alger qui soulève en dansant son fandango léger les plis brodés de sa basquine ce n’est point un pacha c’est un klephte à l’œil noir qui l’a prise et qui n’a rien donné pour l’avoir car la pauvreté l’accompagne un klephte a pour tous biens l’air du ciel l’eau des puits un bon fusil bronzé par la fumée et puis la liberté sur la montagne 14 mai 1828 xxii vœu ainsi qu’on choisit une rose dans les guirlandes de sarons choisissez une vierge éclose dans les lis de vos vallons lamartine si j’étais la feuille que roule l’aile tournoyante du vent qui flotte sur l’eau qui s’écoule et qu’on suit de l’œil en rêvant je me livrerais verte encore de la branche me détachant au zéphyr qui souffle à l’aurore au ruisseau qui vient du couchant plus loin que le fleuve qui gronde plus loin que les vastes forêts plus loin que la gorge profonde je fuirais je courrais j’irais plus loin que l’antre de la louve plus loin que le bois des ramiers plus loin que la plaine où l’on trouve une fontaine et trois palmiers par delà ces rocs qui répandent l’orage en torrent dans les blés par delà ce lac morne pendent tant de buissons échevelés plus loin que les terres arides du chef maure au large ataghan dont le front pâle a plus de rides que la mer un jour d’ouragan je franchirais comme la flèche l’étang d’arta mouvant miroir et le mont dont la cime empêche corinthe et mykos de se voir comme par un charme attirée je m’arrêterais au matin sur mykos la ville carrée la ville aux coupoles d’étain j’irais chez la fille du prêtre chez la blanche fille à l’œil noir qui le jour chante à sa fenêtre et joue à sa porte le soir enfin pauvre feuille envolée je viendrais au gré de mes vœux me poser sur son front mêlée aux boucles de ses blonds cheveux comme une perruche au pied leste dans le blé jaune ou bien encor comme dans un jardin céleste un fruit vert sur un arbre d’or et là sur sa tête qui penche je serais fût ce peu d’instants plus fière que l’aigrette blanche au front étoilé des sultans 12 21 septembre 1828 xxiii la ville prise feu feu sang sang et ruine corte real le siège de din la flamme par ton ordre ô roi luit et dévore de ton peuple en grondant elle étouffe les cris et rougissant les toits comme une sombre aurore semble en son vol joyeux danser sur leurs débris le meurtre aux mille bras comme un géant se lève les palais embrasés se changent en tombeaux pères femmes époux tout tombe sous le glaive autour de la cité s’appellent les corbeaux les mères ont frémi les vierges palpitantes ô calife ont pleuré leurs jeunes ans flétris et les coursiers fougueux ont traîné hors des tentes leurs corps vivants de coups et de baisers meurtris vois d’un vaste linceul la ville enveloppée vois quand ton bras puissant passe il fait tout plier les prêtres qui priaient ont péri par l’épée jetant leur livre saint comme un vain bouclier les tout petits enfants écrasés sous les dalles ont vécu de leur sang le fer s’abreuve encor… — ton peuple baise ô roi la poudre des sandales qu’à ton pied glorieux attache un cercle d’or le 30 avril 1825 blois xxiv adieux de l’hôtesse arabe 10 habitez avec nous la terre est en votre puissance cultivez la trafiquez y et la possédez genèse chap xxiv puisque rien ne t’arrête en cet heureux pays ni l’ombre du palmier ni le jaune maïs ni le repos ni l’abondance ni de voir à ta voix battre le jeune sein de nos sœurs dont les soirs le tournoyant essaim couronne un coteau de sa danse adieu voyageur blanc j’ai sellé de ma main de peur qu’il ne te jette aux pierres du chemin ton cheval à l’œil intrépide ses pieds fouillent le sol sa croupe est belle à voir ferme ronde et luisante ainsi qu’un rocher noir que polit une onde rapide tu marches donc sans cesse oh que n’es tu de ceux qui donnent pour limite à leurs pieds paresseux leur toit de branches ou de toiles qui rêveurs sans en faire écoutent les récits et souhaitent le soir devant leur porte assis de s’en aller dans les étoiles si tu l’avais voulu peut être une de nous ô jeune homme eût aimé te servir à genoux dans nos huttes toujours ouvertes elle eût fait en berçant ton sommeil de ses chants pour chasser de ton front les moucherons méchants un éventail de feuilles vertes mais tu pars nuit et jour tu vas seul et jaloux le fer de ton cheval arrache aux durs cailloux une poussière d’étincelles à ta lance qui passe et dans l’ombre reluit les aveugles démons qui volent dans la nuit souvent ont déchiré leurs ailes si tu reviens gravis pour trouver ce hameau ce mont noir qui de loin semble un dos de chameau pour trouver ma hutte fidèle songe à son toit aigu comme une ruche à miel qu’elle n’a qu’une porte et qu’elle s’ouvre au ciel du côté d’où vient l’hirondelle si tu ne reviens pas songe un peu quelquefois aux filles du désert sœurs à la douce voix qui dansent pieds nus sur la dune ô beau jeune homme blanc bel oiseau passager souviens toi car peut être ô rapide étranger ton souvenir reste à plus d’une adieu donc — va tout droit garde toi du soleil qui dore nos fronts bruns mais brûle un teint vermeil de l’arabie infranchissable de la vieille qui va seule et d’un pas tremblant et de ceux qui le soir avec un bâton blanc tracent des cercles sur le sable 24 novembre 1828 xxv malédiction ed altro disse ma non l’ho a mente dante et d’autres choses encore mais je ne les ai plus dans l’esprit qu’il erre sans repos courbé dès sa jeunesse en des sables sans borne où le soleil renaisse sitôt qu’il aura lui comme un noir meurtrier qui fuit dans la nuit sombre s’il marche que sans cesse il entende dans l’ombre un pas derrière lui en des glaciers polis comme un tranchant de hache qu’il glisse et roule et tombe et tombe et se rattache de l’ongle à leurs parois qu’il soit pris pour un autre et râlant sur la roue dise je n’ai rien fait et qu’alors on le cloue sur un gibet en croix qu’il pende échevelé la bouche violette que visible à lui seul la mort chauve squelette rie en le regardant que son cadavre souffre et vive assez encore pour sentir quand la mort le ronge et le dévore chaque coup de sa dent qu’il ne soit plus vivant et ne soit pas une âme que sur ses membres nus tombe un soleil de flamme ou la pluie à ruisseaux qu’il s’éveille en sursaut chaque nuit dans la brume et lutte et se secoue et vainement écume sous des griffes d’oiseaux 25 août 1828 xxvi les tronçons du serpent d’ailleurs les sages ont dit il ne faut point attacher son cœur aux choses passagères sadi gulistan je veille et nuit et jour mon front rêve enflammé ma joue en pleurs ruisselle depuis qu’albaydé dans la tombe a fermé ses beaux yeux de gazelle car elle avait quinze ans un sourire ingénu et m’aimait sans mélange et quand elle croisait ses bras sur son sein nu on croyait voir un ange un jour pensif j’errais au bord d’un golfe ouvert entre deux promontoires et je vis sur le sable un serpent jaune et vert jaspé de taches noires la hache en vingt tronçons avait coupé vivant son corps que l’onde arrose et l’écume des mers que lui jetait le vent sur son sang flottait rose tous ses anneaux vermeils rampaient en se tordant sur la grève isolée et le sang empourprait d’un rouge plus ardent sa crête dentelée ces tronçons déchirés épars près d’épuiser leurs forces languissantes se cherchaient se cherchaient comme pour un baiser deux bouches frémissantes et comme je rêvais triste et suppliant dieu dans ma pitié muette la tête aux mille dents rouvrit son œil de feu et me dit ô poëte ne plains que toi ton mal est plus envenimé ta plaie est plus cruelle car ton albaydé dans la tombe a fermé ses beaux yeux de gazelle ce coup de hache aussi brise ton jeune essor ta vie et tes pensées autour d’un souvenir chaste et dernier trésor se traînent dispersées ton génie au vol large éclatant gracieux qui mieux que l’hirondelle tantôt rasait la terre et tantôt dans les cieux donnait de grands coups d’aile comme moi maintenant meurt près des flots troublés et ses forces s’éteignent sans pouvoir réunir ses tronçons mutilés qui rampent et qui saignent 10 novembre 1828 xxvii nourmahal la rousse no es bestia que non fus hy trobada joan lorenzo segura de astorga pas de bête fauve qui ne s’y trouvât entre deux rocs d’un noir d’ébène voyez vous ce sombre hallier qui se hérisse dans la plaine ainsi qu’une touffe de laine entre les cornes du bélier là dans une ombre non frayée grondent le tigre ensanglanté la lionne mère effrayée le chacal l’hyène rayée et le léopard tacheté là des monstres de toute forme rampent — le basilic rêvant l’hippopotame au ventre énorme et le boa vaste et difforme qui semble un tronc d’arbre vivant l’orfraie aux paupières vermeilles le serpent le singe méchant sifflent comme un essaim d’abeilles l’éléphant aux larges oreilles casse les bambous en marchant là vit la sauvage famille qui glapit bourdonne et mugit le bois entier hurle et fourmille sous chaque buisson un œil brille dans chaque antre une voix rugit eh bien seul et nu sur la mousse dans ce bois là je serais mieux que devant nourmahal la rousse qui parle avec une voix douce et regarde avec de doux yeux 25 novembre 1828 xxviii les djinns e come i gru van cantando lor lai facendo in aer di se lunga riga cosi vid’ io venir traendo guai ombre portate dalla detta briga dante et comme les grues qui font dans l’air de longues files vont chantant leur plainte ainsi je vis venir traînant des gémissements les ombres emportées par cette tempête murs ville et port asile de mort mer grise où brise la brise tout dort dans la plaine naît un bruit c’est l’haleine de la nuit elle brame comme une âme qu’une flamme toujours suit la voix plus haute semble un grelot d’un nain qui saute c’est le galop il fuit s’élance puis en cadence sur un pied danse au bout d’un flot la rumeur approche l’écho la redit c’est comme la cloche d’un couvent maudit comme un bruit de foule qui tonne et qui roule et tantôt s’écroule et tantôt grandit dieu la voix sépulcrale des djinns … quel bruit ils font fuyons sous la spirale de l’escalier profond déjà s’éteint ma lampe et l’ombre de la rampe qui le long du mur rampe monte jusqu’au plafond c’est l’essaim des djinns qui passe et tourbillonne en sifflant les ifs que leur vol fracasse craquent comme un pin brûlant leur troupeau lourd et rapide volant dans l’espace vide semble un nuage livide qui porte un éclair au flanc ils sont tout près — tenons fermée cette salle où nous les narguons quel bruit dehors hideuse armée de vampires et de dragons la poutre du toit descellée ploie ainsi qu’une herbe mouillée et la vieille porte rouillée tremble à déraciner ses gonds cris de l’enfer voix qui hurle et qui pleure l’horrible essaim poussé par l’aquilon sans doute ô ciel s’abat sur ma demeure le mur fléchit sous le noir bataillon la maison crie et chancelle penchée et l’on dirait que du sol arrachée ainsi qu’il chasse une feuille séchée le vent la roule avec leur tourbillon prophète si ta main me sauve de ces impurs démons des soirs j’irai prosterner mon front chauve devant tes sacrés encensoirs fais que sur ces portes fidèles meure leur souffle d’étincelles et qu’en vain l’ongle de leurs ailes grince et crie à ces vitraux noirs ils sont passés — leur cohorte s’envole et fuit et leurs pieds cessent de battre ma porte de leurs coups multipliés l’air est plein d’un bruit de chaînes et dans les forêts prochaines frissonnent tous les grands chênes sous leur vol de feu pliés de leurs ailes lointaines le battement décroît si confus dans les plaines si faible que l’on croit ouïr la sauterelle crier d’une voix grêle ou pétiller la grêle sur le plomb d’un vieux toit d’étranges syllabes nous viennent encor ainsi des arabes quand sonne le cor un chant sur la grève par instants s’élève et l’enfant qui rêve fait des rêves d’or les djinns funèbres fils du trépas dans les ténèbres pressent leurs pas leur essaim gronde ainsi profonde murmure une onde qu’on ne voit pas ce bruit vague qui s’endort c’est la vague sur le bord c’est la plainte presque éteinte d’une sainte pour un mort on doute la nuit… j’écoute — tout fuit tout passe l’espace efface le bruit 28 août 1828 xxix sultan achmet oh permets charmante fille que j’enveloppe mon cou avec tes bras hafiz à juana la grenadine qui toujours chante et badine sultan achmet dit un jour — je donnerais sans retour mon royaume pour médine médine pour ton amour — fais toi chrétien roi sublime car il est illégitime le plaisir qu’on a cherché aux bras d’un turc débauché j’aurais peur de faire un crime c’est bien assez du péché — par ces perles dont la chaîne rehausse ô ma souveraine ton cou blanc comme le lait je ferai ce qui te plaît si tu veux bien que je prenne ton collier pour chapelet 20 octobre 1828 xxx romance mauresque dixóle — dime buen hombre lo que preguntarte queria romancero general don rodrigue est à la chasse sans épée et sans cuirasse un jour d’été vers midi sous la feuillée et sur l’herbe il s’assied l’homme superbe don rodrigue le hardi la haine en feu le dévore sombre il pense au bâtard maure à son neveu mudarra dont ses complots sanguinaires jadis ont tué les frères les sept infants de lara pour le trouver en campagne il traverserait l’espagne de figuère à setuval l’un des deux mourrait sans doute en ce moment sur la route il passe un homme à cheval — chevalier chrétien ou maure qui dors sous le sycomore dieu te guide par la main — que dieu répande ses grâces sur toi l’écuyer qui passes qui passes par le chemin — chevalier chrétien ou maure qui dors sous le sycomore parmi l’herbe du vallon dis ton nom afin qu’on sache si tu portes le panache d’un vaillant ou d’un félon — si c’est là ce qui t’intrigue on m’appelle don rodrigue don rodrigue de lara doña sanche est ma sœur même du moins c’est à mon baptême ce qu’un prêtre déclara j’attends sous ce sycomore j’ai cherché d’albe à zamore ce mudarra le bâtard le fils de la renégate qui commande une frégate du roi maure aliatar certe à moins qu’il ne m’évite je le reconnaîtrais vite toujours il porte avec lui notre dague de famille une agate au pommeau brille et la lame est sans étui oui par mon âme chrétienne d’une autre main que la mienne ce mécréant ne mourra c’est le bonheur que je brigue… — on t’appelle don rodrigue don rodrigue de lara et bien seigneur le jeune homme qui te parle et qui te nomme c’est mudarra le bâtard c’est le vengeur et le juge cherche à présent un refuge — l’autre dit — tu viens bien tard — moi fils de la renégate qui commande une frégate du roi maure aliatar moi ma dague et ma vengeance tous les trois d’intelligence nous voici — tu viens bien tard — trop tôt pour toi don rodrigue à moins qu’il ne te fatigue de vivre… ah la peur t’émeut ton front pâlit rends infâme à moi ta vie et ton âme à ton ange s’il en veut si mon poignard de tolède et mon dieu me sont en aide regarde mes yeux ardents je suis ton seigneur ton maître et je t’arracherai traître le souffle d’entre les dents le neveu de doña sanche dans ton sang enfin étanche la soif qui le dévora mon oncle il faut que tu meures pour toi plus de jours ni d’heures … — mon bon neveu mudarra un moment attends que j’aille chercher mon fer de bataille — tu n’auras d’autres délais que celui qu’ont eu mes frères dans les caveaux funéraires où tu les as mis suis les si jusqu’à l’heure venue j’ai gardé ma lame nue c’est que je voulais bourreau que vengeant la renégate ma dague au pommeau d’agate eût ta gorge pour fourreau 1er mai 1828 xxxi grenade quien no ha visto a sevilla no ha visto a maravilla soit lointaine soit voisine espagnole ou sarrasine il n’est pas une cité qui dispute sans folie à grenade la jolie la pomme de la beauté et qui gracieuse étale plus de pompe orientale sous un ciel plus enchanté cadix a les palmiers murcie a les oranges jaën son palais goth aux tourelles étranges agreda son couvent bâti par saint edmond ségovie a l’autel dont on baise les marches et l’aqueduc aux trois rangs d’arches qui lui porte un torrent pris au sommet d’un mont llers a des tours barcelone au faîte d’une colonne lève un phare sur la mer aux rois d’aragon fidèle dans leurs vieux tombeaux tudèle garde leur sceptre de fer tolose a des forges sombres qui semblent au sein des ombres des soupiraux de l’enfer le poisson qui rouvrit l’œil mort du vieux tobie se joue au fond du golfe où dort fontarabie alicante aux clochers mêle les minarets compostelle a son saint cordoue aux maisons vieilles a sa mosquée où l’œil se perd dans les merveilles madrid a le manzanarès bilbao des flots couverte jette une pelouse verte sur ses murs noirs et caducs medina la chevalière cachant sa pauvreté fière sous le manteau de ses ducs n’a rien que ses sycomores car ses beaux ponts sont aux maures aux romains ses aqueducs valence a les clochers de ses trois cents églises l’austère alcantara livre au souffle des brises les drapeaux turcs pendus en foule à ses piliers salamanque en riant s’assied sur trois collines s’endort au son des mandolines et s’éveille en sursaut aux cris des écoliers tortose est chère à saint pierre le marbre est comme la pierre dans la riche puycerda de sa bastille octogone tuy se vante et tarragone de ses murs qu’un roi fonda le douro coule à zamore tolède a l’alcazar maure séville a la giralda burgos de son chapitre étale la richesse peñaflor est marquise et girone est duchesse bivar est une nonne aux sévères atours toujours prête au combat la sombre pampelune avant de s’endormir aux rayons de la lune ferme sa ceinture de tours toutes ces villes d’espagne s’épandent dans la campagne ou hérissent la sierra toutes ont des citadelles dont sous des mains infidèles aucun beffroi ne vibra toutes sur leurs cathédrales ont des clochers en spirales mais grenade a l’alhambra l’alhambra l’alhambra palais que les génies ont doré comme un rêve et rempli d’harmonies forteresse aux créneaux festonnés et croulants où l’on entend la nuit de magiques syllabes quand la lune à travers les mille arceaux arabes sème les murs de trèfles blancs grenade a plus de merveilles que n’a de graines vermeilles le beau fruit de ses vallons grenade la bien nommée lorsque la guerre enflammée déroule ses pavillons cent fois plus terrible éclate que la grenade écarlate sur le front des bataillons il n’est rien de plus beau ni de plus grand au monde soit qu’à vivataubin vivaconlud réponde avec son clair tambour de clochettes orné soit que se couronnant de feux comme un calife l’éblouissant généralife élève dans la nuit son faîte illuminé les clairons des tours vermeilles sonnent comme des abeilles dont le vent chasse l’essaim alcacava pour les fêtes a des cloches toujours prêtes à bourdonner dans son sein qui dans leurs tours africaines vont éveiller les dulcaynes du sonore albaycin grenade efface en tout ses rivales grenade chante plus mollement la molle sérénade elle peint ses maisons de plus riches couleurs et l’on dit que les vents suspendent leurs haleines quand par un soir d’été grenade dans ses plaines répand ses femmes et ses fleurs l’arabie est son aïeule les maures pour elle seule aventuriers hasardeux joueraient l’asie et l’afrique mais grenade est catholique grenade se raille d’eux grenade la belle ville serait une autre séville s’il en pouvait être deux 3 5 avril 1828 xxxii les bleuets si es verdad ó non yo no lo he hy de ver pero non lo quiero en olvido poner juan lorenzo segura de astorga si cela est vrai ou non je n’ai pas à le voir ici mais je ne le veux pas mettre en oubli tandis que l’étoile inodore que l’été mêle aux blonds épis émaille de son bleu lapis les sillons que la moisson dore avant que de fleurs dépeuplés les champs aient subi les faucilles allez allez ô jeunes filles cueillir des bleuets dans les blés entre les villes andalouses il n’en est pas qui sous le ciel s’étende mieux que peñafiel sur les gerbes et les pelouses pas qui dans ses murs crénelés lève de plus fières bastilles… allez allez ô jeunes filles cueillir des bleuets dans les blés il n’est pas de cité chrétienne pas de monastère à beffroi chez le saint père et chez le roi où vers la saint ambroise il vienne plus de bons pèlerins hâlés portant bourdon gourde et coquilles… allez allez ô jeunes filles cueillir des bleuets dans les blés dans nul pays les jeunes femmes les soirs lorsque l’on danse en rond n’ont plus de roses sur le front et n’ont dans le cœur plus de flammes jamais plus vifs et plus voilés regards n’ont lui sous les mantilles… allez allez ô jeunes filles cueillir des bleuets dans les blés la perle de l’andalousie alice était de peñafiel alice qu’en faisant son miel pour fleur une abeille eût choisie ces jours hélas sont envolés on la citait dans les familles… allez allez ô jeunes filles cueillir des bleuets dans les blés un étranger vint dans la ville jeune et parlant avec dédain était ce un maure grenadin un de murcie ou de séville venait il des bords désolés où tunis a ses escadrilles … allez allez ô jeunes filles cueillir des bleuets dans les blés on ne savait — la pauvre alice en fut aimée et puis l’aima le doux vallon du xarama de leur doux péché fut complice le soir sous les cieux étoilés tous deux erraient par les charmilles… allez allez ô jeunes filles cueillir des bleuets dans les blés la ville était lointaine et sombre et la lune douce aux amours se levant derrière les tours et les clochers perdus dans l’ombre des édifices dentelés découpait en noir les aiguilles… allez allez ô jeunes filles cueillir des bleuets dans les blés cependant d’alice jalouses en rêvant au bel étranger sous l’arbre à soie et l’oranger dansaient les brunes andalouses les cors aux guitares mêlés animaient les joyeux quadrilles… allez allez ô jeunes filles cueillir des bleuets dans les blés l’oiseau dort dans le lit de mousse que déjà menace l’autour ainsi dormait dans son amour alice confiante et douce le jeune homme aux cheveux bouclés c’était don juan roi des castilles… allez allez ô jeunes filles cueillir des bleuets dans les blés or c’est péril qu’aimer un prince un jour sur un noir palefroi on la jeta de par le roi on l’arracha de la province un cloître sur ses jours troublés de par le roi ferma ses grilles… allez allez ô jeunes filles cueillir des bleuets dans les blés 13 avril 1828 xxxiii fantômes luenga es su noche y cerrados estan sus ojos pesados idos idos en paz vientos alados longue est sa nuit et fermés sont ses yeux lourds allez allez en paix vents ailés i hélas que j’en ai vu mourir de jeunes filles c’est le destin il faut une proie au trépas il faut que l’herbe tombe au tranchant des faucilles il faut que dans le bal les folâtres quadrilles foulent des roses sous leurs pas il faut que l’eau s’épuise à courir les vallées il faut que l’éclair brille et brille peu d’instants il faut qu’avril jaloux brûle de ses gelées le beau pommier trop fier de ses fleurs étoilées neige odorante du printemps oui c’est la vie après le jour la nuit livide après tout le réveil infernal ou divin autour du grand banquet siège une foule avide mais bien des conviés laissent leur place vide et se lèvent avant la fin ii que j’en ai vu mourir — l’une était rose et blanche l’autre semblait ouïr de célestes accords l’autre faible appuyait d’un bras son front qui penche et comme en s’envolant l’oiseau courbe la branche son âme avait brisé son corps une pâle égarée en proie au noir délire disait tout bas un nom dont nul ne se souvient une s’évanouit comme un chant sur la lyre une autre en expirant avait le doux sourire d’un jeune ange qui s’en revient toutes fragiles fleurs sitôt mortes que nées alcyons engloutis avec leurs nids flottants colombes que le ciel au monde avait données qui de grâce et d’enfance et d’amour couronnées comptaient leurs ans par les printemps quoi mortes quoi déjà sous la pierre couchées quoi tant d’êtres charmants sans regard et sans voix tant de flambeaux éteints tant de fleurs arrachées … oh laissez moi fouler les feuilles desséchées et m’égarer au fond des bois doux fantômes c’est là quand je rêve dans l’ombre qu’ils viennent tour à tour m’entendre et me parler un jour douteux me montre et me cache leur nombre à travers les rameaux et le feuillage sombre je vois leurs yeux étinceler mon âme est une sœur pour ces ombres si belles la vie et le tombeau pour nous n’ont plus de loi tantôt j’aide leurs pas tantôt je prends leurs ailes vision ineffable où je suis mort comme elles elles vivantes comme moi elles prêtent leur forme à toutes mes pensées je les vois je les vois elles me disent viens puis autour d’un tombeau dansent entrelacées puis s’en vont lentement par degrés éclipsées alors je songe et me souviens… iii une surtout — un ange une jeune espagnole blanches mains sein gonflé de soupirs innocents un œil noir où luisaient des regards de créole et ce charme inconnu cette fraîche auréole qui couronne un front de quinze ans non ce n’est point d’amour qu’elle est morte pour elle l’amour n’avait encor ni plaisirs ni combats rien ne faisait encor battre son cœur rebelle quand tous en la voyant s’écriaient qu’elle est belle nul ne le lui disait tout bas elle aimait trop le bal c’est ce qui l’a tuée le bal éblouissant le bal délicieux sa cendre encor frémit doucement remuée quand dans la nuit sereine une blanche nuée danse autour du croissant des cieux elle aimait trop le bal — quand venait une fête elle y pensait trois jours trois nuits elle en rêvait et femmes musiciens danseurs que rien n’arrête venaient dans son sommeil troublant sa jeune tête rire et bruire à son chevet puis c’étaient des bijoux des colliers des merveilles des ceintures de moire aux ondoyants reflets des tissus plus légers que des ailes d’abeilles des festons des rubans à remplir des corbeilles des fleurs à payer un palais la fête commencée avec ses sœurs rieuses elle accourait froissant l’éventail sous ses doigts puis s’asseyait parmi les écharpes soyeuses et son cœur éclatait en fanfares joyeuses avec l’orchestre aux mille voix c’était plaisir de voir danser la jeune fille sa basquine agitait ses paillettes d’azur ses grands yeux noirs brillaient sous la noire mantille telle une double étoile au front des nuits scintille sous les plis d’un nuage obscur tout en elle était danse et rire et folle joie enfant — nous l’admirions dans nos tristes loisirs car ce n’est point au bal que le cœur se déploie la cendre y vole autour des tuniques de soie l’ennui sombre autour des plaisirs mais elle par la valse ou la ronde emportée volait et revenait et ne respirait pas et s’enivrait des sons de la flûte vantée des fleurs des lustres d’or de la fête enchantée du bruit des voix du bruit des pas quel bonheur de bondir éperdue en la foule de sentir par le bal ses sens multipliés et de ne pas savoir si dans la nue on roule si l’on chasse en fuyant la terre ou si l’on foule un flot tournoyant sous ses pieds mais hélas il fallait quand l’aube était venue partir attendre au seuil le manteau de satin c’est alors que souvent la danseuse ingénue sentit en frissonnant sur son épaule nue glisser le souffle du matin quels tristes lendemains laisse le bal folâtre adieu parure et danse et rires enfantins aux chansons succédait la toux opiniâtre au plaisir rose et frais la fièvre au teint bleuâtre aux yeux brillants les yeux éteints iv elle est morte — à quinze ans belle heureuse adorée morte au sortir d’un bal qui nous mit tous en deuil morte hélas et des bras d’une mère égarée la mort aux froides mains la prit toute parée pour l’endormir dans le cercueil pour danser d’autres bals elle était encor prête tant la mort fut pressée à prendre un corps si beau et ces roses d’un jour qui couronnaient sa tête qui s’épanouissaient la veille en une fête se fanèrent dans un tombeau v sa pauvre mère — hélas de son sort ignorante avoir mis tant d’amour sur ce frêle roseau et si longtemps veillé son enfance souffrante et passé tant de nuits à l’endormir pleurante toute petite en son berceau à quoi bon — maintenant la jeune trépassée sous le plomb du cercueil livide en proie au ver dort et si dans la tombe où nous l’avons laissée quelque fête des morts la réveille glacée par une belle nuit d’hiver un spectre au rire affreux à sa morne toilette préside au lieu de mère et lui dit il est temps et glaçant d’un baiser sa lèvre violette passe les doigts noueux de sa main de squelette sous ses cheveux longs et flottants puis tremblante il la mène à la danse fatale au chœur aérien dans l’ombre voltigeant et sur l’horizon gris la lune est large et pâle et l’arc en ciel des nuits teint d’un reflet d’opale le nuage aux franges d’argent vi vous toutes qu’à ses jeux le bal riant convie pensez à l’espagnole éteinte sans retour jeunes filles joyeuse et d’une main ravie elle allait moissonnant les roses de la vie beauté plaisir jeunesse amour la pauvre enfant de fête en fête promenée de ce bouquet charmant arrangeait les couleurs mais qu’elle a passé vite hélas l’infortunée ainsi qu’ophélia par le fleuve entraînée elle est morte en cueillant des fleurs avril 1828 à m louis boulanger xxxiv mazeppa away — away — byron mazeppa en avant en avant i ainsi quand mazeppa qui rugit et qui pleure a vu ses bras ses pieds ses flancs qu’un sabre effleure tous ses membres liés sur un fougueux cheval nourri d’herbes marines qui fume et fait jaillir le feu de ses narines et le feu de ses pieds quand il s’est dans ses nœuds roulé comme un reptile qu’il a bien réjoui de sa rage inutile ses bourreaux tout joyeux et qu’il retombe enfin sur la croupe farouche la sueur sur le front l’écume dans la bouche et du sang dans les yeux un cri part et soudain voilà que par la plaine et l’homme et le cheval emportés hors d’haleine sur les sables mouvants seuls emplissant de bruit un tourbillon de poudre pareil au noir nuage où serpente la foudre volent avec les vents ils vont dans les vallons comme un orage ils passent comme ces ouragans qui dans les monts s’entassent comme un globe de feu puis déjà ne sont plus qu’un point noir dans la brume puis s’effacent dans l’air comme un flocon d’écume au vaste océan bleu ils vont l’espace est grand dans le désert immense dans l’horizon sans fin qui toujours recommence ils se plongent tous deux leur course comme un vol les emporte et grands chênes villes et tours monts noirs liés en longues chaînes tout chancelle autour d’eux et si l’infortuné dont la tête se brise se débat le cheval qui devance la brise d’un bond plus effrayé s’enfonce au désert vaste aride infranchissable qui devant eux s’étend avec ses plis de sable comme un manteau rayé tout vacille et se peint de couleurs inconnues il voit courir les bois courir les larges nues le vieux donjon détruit les monts dont un rayon baigne les intervalles il voit et des troupeaux de fumantes cavales le suivent à grand bruit et le ciel où déjà les pas du soir s’allongent avec ses océans de nuages où plongent des nuages encor et son soleil qui fend leurs vagues de sa proue sur son front ébloui tourne comme une roue de marbre aux veines d’or son œil s’égare et luit sa chevelure traîne sa tête pend son sang rougit la jaune arène les buissons épineux sur ses membres gonflés la corde se replie et comme un long serpent resserre et multiplie sa morsure et ses nœuds le cheval qui ne sent ni le mors ni la selle toujours fuit et toujours son sang coule et ruisselle sa chair tombe en lambeaux hélas voici déjà qu’aux cavales ardentes qui le suivaient dressant leurs crinières pendantes succèdent les corbeaux les corbeaux le grand duc à l’œil rond qui s’effraie l’aigle effaré des champs de bataille et l’orfraie monstre au jour inconnu les obliques hiboux et le grand vautour fauve qui fouille au flanc des morts où son col rouge et chauve plonge comme un bras nu tous viennent élargir la funèbre volée tous quittent pour le suivre et l’yeuse isolée et les nids du manoir lui sanglant éperdu sourd à leurs cris de joie demande en les voyant qui donc là haut déploie ce grand éventail noir la nuit descend lugubre et sans robe étoilée l’essaim s’acharne et suit tel qu’une meute ailée le voyageur fumant entre le ciel et lui comme un tourbillon sombre il les voit puis les perd et les entend dans l’ombre voler confusément enfin après trois jours d’une course insensée après avoir franchi fleuves à l’eau glacée steppes forêts déserts le cheval tombe aux cris de mille oiseaux de proie et son ongle de fer sur la pierre qu’il broie éteint ses quatre éclairs voilà l’infortuné gisant nu misérable tout tacheté de sang plus rouge que l’érable dans la saison des fleurs le nuage d’oiseaux sur lui tourne et s’arrête maint bec ardent aspire à ronger dans sa tête ses yeux brûlés de pleurs eh bien ce condamné qui hurle et qui se traîne ce cadavre vivant les tribus de l’ukraine le feront prince un jour un jour semant les champs de morts sans sépultures il dédommagera par de larges pâtures l’orfraie et le vautour sa sauvage grandeur naîtra de son supplice un jour des vieux hetmans il ceindra la pelisse grand à l’œil ébloui et quand il passera ces peuples de la tente prosternés enverront la fanfare éclatante bondir autour de lui ii ainsi lorsqu’un mortel sur qui son dieu s’étale s’est vu lier vivant sur ta croupe fatale génie ardent coursier en vain il lutte hélas tu bondis tu l’emportes hors du monde réel dont tu brises les portes avec tes pieds d’acier tu franchis avec lui déserts cimes chenues des vieux monts et les mers et par delà les nues de sombres régions et mille impurs esprits que ta course réveille autour du voyageur insolente merveille pressent leurs légions il traverse d’un vol sur tes ailes de flamme tous les champs du possible et les mondes de l’âme boit au fleuve éternel dans la nuit orageuse ou la nuit étoilée sa chevelure aux crins des comètes mêlée flamboie au front du ciel les six lunes d’herschel l’anneau du vieux saturne le pôle arrondissant une aurore nocturne sur son front boréal il voit tout et pour lui ton vol que rien ne lasse de ce monde sans borne à chaque instant déplace l’horizon idéal qui peut savoir hormis les démons et les anges ce qu’il souffre à te suivre et quels éclairs étranges à ses yeux reluiront comme il sera brûlé d’ardentes étincelles hélas et dans la nuit combien de froides ailes viendront battre son front il crie épouvanté tu poursuis implacable pâle épuisé béant sous ton vol qui l’accable il ploie avec effroi chaque pas que tu fais semble creuser sa tombe enfin le terme arrive… il court il vole il tombe et se relève roi mai 1828 xxxv le danube en colère admonet et magna testatur voce per umbras virgile belgrade et semlin sont en guerre dans son lit paisible naguère le vieillard danube leur père s’éveille au bruit de leur canon il doute s’il rêve il trésaille puis entend gronder la bataille et frappe dans ses mains d’écaille et les appelle par leur nom allons la turque et la chrétienne semlin belgrade qu’avez vous on ne peut le ciel me soutienne dormir un siècle sans que vienne vous éveiller d’un bruit jaloux belgrade ou semlin en courroux hiver été printemps automne toujours votre canon qui tonne bercé du courant monotone je sommeillais dans mes roseaux et comme des louves marines jettent l’onde de leurs narines voilà vos longues couleuvrines qui soufflent du feu sur mes eaux ce sont des sorcières oisives qui vous mirent pour rire un jour face à face sur mes deux rives comme au même plat deux convives comme au front de la même tour une aire d’aigle un nid d’autour quoi ne pouvez vous vivre ensemble mes filles faut il que je tremble du destin qui ne vous rassemble que pour vous haïr de plus près quand vous pourriez sœurs pacifiques mirer dans mes eaux magnifiques semlin tes noirs clochers gothiques belgrade tes blancs minarets mon flot qui dans l’océan tombe vous sépare en vain large et clair du haut du château qui surplombe vous vous unissez et la bombe entre vous courbant son éclair vous trace un pont de feu dans l’air trêve taisez vous les deux villes je m’ennuie aux guerres civiles nous sommes vieux soyons tranquilles dormons à l’ombre des bouleaux trêve à ces débats de familles hé sans le bruit de vos bastilles n’ai je donc point assez mes filles de l’assourdissement des flots une croix un croissant fragile changent en enfer ce beau lieu vous échangez la bombe agile pour le koran et l’évangile c’est perdre le bruit et le feu je le sais moi qui fus un dieu vos dieux m’ont chassé de leur sphère et dégradé c’est leur affaire l’ombre est le bien que je préfère pourvu qu’ils gardent leurs palais et ne viennent pas sur mes plages déraciner mes verts feuillages et m’écraser mes coquillages sous leurs bombes et leurs boulets de leurs abominables cultes ces inventions sont le fruit de mon temps point de ces tumultes si la pierre des catapultes battait les cités jour et nuit c’était sans fumée et sans bruit voyez ulm votre sœur jumelle tenez vous en repos comme elle que le fil des rois se démêle tournez vos fuseaux et riez voyez bude votre voisine voyez dristra la sarrasine que dirait l’etna si messine faisait tout ce bruit à ses pieds semlin est la plus querelleuse elle a toujours les premiers torts croyez vous que mon eau houleuse suivant sa pente rocailleuse n’ait rien à faire entre ses bords qu’à porter à l’euxin vos morts vos mortiers ont tant de fumée qu’il fait nuit dans ma grotte aimée d’éclats d’obus toujours semée du jour j’ai perdu le tableau le soir la vapeur de leur bouche me couvre d’une ombre farouche quand je cherche à voir de ma couche les étoiles à travers l’eau sœurs à vous cribler de blessures espérez vous un grand renom vos palais deviendront masures ah qu’en vos noires embrasures la guerre se taise ou sinon j’éteindrai moi votre canon car je suis le danube immense malheur à vous si je commence je vous souffre ici par clémence si je voulais de leur prison mes flots lâchés dans les campagnes emportant vous et vos compagnes comme une chaîne de montagnes se lèveraient à l’horizon certe on peut parler de la sorte quand c’est au canon qu’on répond quand des rois on baigne la porte lorsqu’on est danube et qu’on porte comme l’euxin et l’hellespont de grands vaisseaux au triple pont lorsqu’on ronge cent ponts de pierres qu’on traverse les huit bavières qu’on reçoit soixante rivières et qu’on les dévore en fuyant qu’on a comme une mer sa houle quand sur le globe on se déroule comme un serpent et quand on coule de l’occident à l’orient juin 1828 xxxvi rêverie lo giorno se n’andava e l’aer bruno toglieva gli animai che sono’n terra dalle fatiche loro dante oh laissez moi c’est l’heure où l’horizon qui fume cache un front inégal sous un cercle de brume l’heure où l’astre géant rougit et disparaît le grand bois jaunissant dore seul la colline on dirait qu’en ces jours où l’automne décline le soleil et la pluie ont rouillé la forêt oh qui fera surgir soudain qui fera naître là bas — tandis que seul je rêve à la fenêtre et que l’ombre s’amasse au fond du corridor — quelque ville mauresque éclatante inouïe qui comme la fusée en gerbe épanouie déchire ce brouillard avec ses flèches d’or qu’elle vienne inspirer ranimer ô génies mes chansons comme un ciel d’automne rembrunies et jeter dans mes yeux son magique reflet et longtemps s’éteignant en rumeurs étouffées avec les mille tours de ses palais de fées brumeuse denteler l’horizon violet 5 septembre 1828 xxxvii extase et j’entendis une grande voix apocalypse j’étais seul près des flots par une nuit d’étoiles pas un nuage aux cieux sur les mers pas de voiles mes yeux plongeaient plus loin que le monde réel et les bois et les monts et toute la nature semblaient interroger dans un confus murmure les flots des mers les feux du ciel et les étoiles d’or légions infinies à voix haute à voix basse avec mille harmonies disaient en inclinant leurs couronnes de feu et les flots bleus que rien ne gouverne et n’arrête disaient en recourbant l’écume de leur crête ― c’est le seigneur le seigneur dieu 25 novembre 1828 xxxviii le poëte au calife tous les habitants de la terre sont devant lui comme un néant il fait tout ce qui lui plaît et nul ne peut résister à sa main puissante ni lui dire pourquoi avez vous fait ainsi daniel ô sultan noureddin calife aimé de dieu tu gouvernes seigneur l’empire du milieu de la mer rouge au fleuve jaune les rois des nations vers ta face tournés pavent silencieux de leurs fronts prosternés le chemin qui mène à ton trône ton sérail est très grand tes jardins sont très beaux tes femmes ont des yeux vifs comme des flambeaux qui pour toi seul percent leurs voiles lorsque astre impérial aux peuples pleins d’effroi tu luis tes trois cents fils brillent autour de toi comme ton cortège d’étoiles ton front porte une aigrette et ceint le turban vert tu peux voir folâtrer dans leur bain entr’ouvert sous la fenêtre où tu te penches les femmes de madras plus douces qu’un parfum et les filles d’alep qui sur leur beau sein brun ont des colliers de perles blanches ton sabre large et nu semble en ta main grandir toujours dans la bataille on le voit resplendir sans trouver turban qui le rompe au point où la mêlée a de plus noirs détours où les grands éléphants entre choquant leurs tours prennent des chevaux dans leur trompe une fée est cachée en tout ce que tu vois quand tu parles calife on dirait que ta voix descend d’un autre monde au nôtre dieu lui même t’admire et de félicités emplit la coupe d’or que tes jours enchantés joyeux se passent l’un à l’autre mais souvent dans ton cœur radieux noureddin une triste pensée apparaît et soudain glace ta grandeur taciturne telle en plein jour parfois sous un soleil de feu la lune astre des morts blanche au fond d’un ciel bleu montre à demi son front nocturne octobre 1828 xxxix bounaberdi grand comme le monde souvent bounaberdi sultan des francs d’europe que comme un noir manteau le semoun enveloppe monte géant lui même au front d’un mont géant d’où son regard errant sur le sable et sur l’onde embrasse d’un coup d’œil les deux moitiés du monde gisantes à ses pieds dans l’abîme béant il est seul et debout sur ce sublime faîte à sa droite couché le désert qui le fête d’un nuage de poudre importune ses yeux à sa gauche la mer dont jadis il fut l’hôte élève jusqu’à lui sa voix profonde et haute comme aux pieds de son maître aboie un chien joyeux et le vieil empereur que tour à tour réveille ce nuage à ses yeux ce bruit à son oreille rêve et comme à l’amante on voit songer l’amant croit que c’est une armée invisible et sans nombre qui fait cette poussière et ce bruit pour son ombre et sous l’horizon gris passe éternellement prière oh quand tu reviendras rêver sur la montagne bounaberdi regarde un peu dans la campagne ma tente qui blanchit dans les sables grondants car je suis libre et pauvre un arabe du caire et quand j’ai dit allah mon bon cheval de guerre vole et sous sa paupière a deux charbons ardents novembre 1828 xl lui j’étais géant alors et haut de cent coudées bonaparte i toujours lui lui partout — ou brûlante ou glacée son image sans cesse ébranle ma pensée il verse à mon esprit le souffle créateur je tremble et dans ma bouche abondent les paroles quand son nom gigantesque entouré d’auréoles se dresse dans mon vers de toute sa hauteur là je le vois guidant l’obus aux bonds rapides là massacrant le peuple au nom des régicides là soldat aux tribuns arrachant leurs pouvoirs là consul jeune et fier amaigri par des veilles que des rêves d’empire emplissaient de merveilles pâle sous ses longs cheveux noirs puis empereur puissant dont la tête s’incline gouvernant un combat du haut de la colline promettant une étoile à ses soldats joyeux faisant signe aux canons qui vomissent les flammes de son âme à la guerre armant six cent mille âmes grave et serein avec un éclair dans les yeux puis pauvre prisonnier qu’on raille et qu’on tourmente croisant ses bras oisifs sur son sein qui fermente en proie aux geôliers vils comme un vil criminel vaincu chauve courbant son front noir de nuages promenant sur un roc où passent les orages sa pensée orage éternel qu’il est grand là surtout quand puissance brisée des porte clefs anglais misérable risée au sacre du malheur il retrempe ses droits tient au bruit de ses pas deux mondes en haleine et mourant de l’exil gêné dans sainte hélène manque d’air dans la cage où l’exposent les rois qu’il est grand à cette heure où prêt à voir dieu même son œil qui s’éteint roule une larme suprême il évoque à sa mort sa vieille armée en deuil se plaint à ses guerriers d’expirer solitaire et prenant pour linceul son manteau militaire du lit de camp passe au cercueil ii à rome où du sénat hérite le conclave à l’elbe aux monts blanchis de neige ou noirs de lave au menaçant kremlin à l’alhambra riant il est partout — au nil je le rencontre encore l’égypte resplendit des feux de son aurore son astre impérial se lève à l’orient vainqueur enthousiaste éclatant de prestiges prodige il étonna la terre des prodiges les vieux scheiks vénéraient l’émir jeune et prudent le peuple redoutait ses armes inouïes sublime il apparut aux tribus éblouies comme un mahomet d’occident leur féerie a déjà réclamé son histoire la tente de l’arabe est pleine de sa gloire tout bédouin libre était son hardi compagnon les petits enfants l’œil tourné vers nos rivages sur un tambour français règlent leurs pas sauvages et les ardents chevaux hennissent à son nom parfois il vient porté sur l’ouragan numide prenant pour piédestal la grande pyramide contempler les déserts sablonneux océans là son ombre éveillant le sépulcre sonore comme pour la bataille y ressuscite encore les quarante siècles géants il dit debout soudain chaque siècle se lève ceux ci portant le sceptre et ceux là ceints du glaive satrapes pharaons mages peuple glacé immobiles poudreux muets sa voix les compte tous semblent adorant son front qui les surmonte faire à ce roi des temps une cour du passé ainsi tout sous les pas de l’homme ineffaçable tout devient monument il passe sur le sable mais qu’importe qu’assur de ses flots soit couvert que l’aquilon sans cesse y fatigue son aile son pied colossal laisse une trace éternelle sur le front mouvant du désert iii histoire poésie il joint du pied vos cimes éperdu je ne puis dans ces mondes sublimes remuer rien de grand sans toucher à son nom oui quand tu m’apparais pour le culte ou le blâme les chants volent pressés sur mes lèvres de flamme napoléon soleil dont je suis le memnon tu domines notre âge ange ou démon qu’importe ton aigle dans son vol haletants nous emporte l’œil même qui te fuit te retrouve partout toujours dans nos tableaux tu jettes ta grande ombre toujours napoléon éblouissant et sombre sur le seuil du siècle est debout ainsi quand du vésuve explorant le domaine de naple à portici l’étranger se promène lorsqu’il trouble rêveur de ses pas importuns ischia de ses fleurs embaumant l’onde heureuse dont le bruit comme un chant de sultane amoureuse semble une voix qui vole au milieu des parfums qu’il hante de pæstum l’auguste colonnade qu’il écoute à pouzzol la vive sérénade chantant la tarentelle au pied d’un mur toscan qu’il éveille en passant cette cité momie pompéi corps gisant d’une ville endormie saisie un jour par le volcan qu’il erre au pausilippe avec la barque agile d’où le brun marinier chante tasse à virgile toujours sous l’arbre vert sur les lits de gazon toujours il voit du sein des mers et des prairies du haut des caps du bord des presqu’îles fleuries toujours le noir géant qui fume à l’horizon décembre 1828 xli novembre je lui dis la rose du jardin comme tu sais dure peu et la saison des roses est bien vite écoulée sadi quand l’automne abrégeant les jours qu’elle dévore éteint leurs soirs de flamme et glace leur aurore quand novembre de brume inonde le ciel bleu que le bois tourbillonne et qu’il neige des feuilles ô ma muse en mon âme alors tu te recueilles comme un enfant transi qui s’approche du feu devant le sombre hiver de paris qui bourdonne ton soleil d’orient s’éclipse et t’abandonne ton beau rêve d’asie avorte et tu ne vois sous tes yeux que la rue au bruit accoutumée brouillard à ta fenêtre et longs flots de fumée qui baignent en fuyant l’angle noirci des toits alors s’en vont en foule et sultans et sultanes pyramides palmiers galères capitanes et le tigre vorace et le chameau frugal djinns au vol furieux danses des bayadères l’arabe qui se penche au cou des dromadaires et la fauve girafe au galop inégal alors éléphants blancs chargés de femmes brunes cités aux dômes d’or où les mois sont des lunes imans de mahomet mages prêtres de bel tout fuit tout disparaît plus de minaret maure plus de sérail fleuri plus d’ardente gomorrhe qui jette un reflet rouge au front noir de babel c’est paris c’est l’hiver ― à ta chanson confuse odalisques émirs pachas tout se refuse dans ce vaste paris le klephte est à l’étroit le nil déborderait les roses du bengale frissonnent dans ces champs où se tait la cigale à ce soleil brumeux les péris auraient froid pleurant ton orient alors muse ingénue tu viens à moi honteuse et seule et presque nue — n’as tu pas me dis tu dans ton cœur jeune encor quelque chose à chanter ami car je m’ennuie à voir ta blanche vitre où ruisselle la pluie moi qui dans mes vitraux avais un soleil d’or ― puis tu prends mes deux mains dans tes mains diaphanes et nous nous asseyons et loin des yeux profanes entre mes souvenirs je t’offre les plus doux mon jeune âge et ses jeux et l’école mutine et les serments sans fin de la vierge enfantine aujourd’hui mère heureuse aux bras d’un autre époux je te raconte aussi comment aux feuillantines jadis tintaient pour moi les cloches argentines comment jeune et sauvage errait ma liberté et qu’à dix ans parfois resté seule à la brume rêveur mes yeux cherchaient les deux yeux de la lune comme la fleur qui s’ouvre aux tièdes nuits d’été puis tu me vois du pied pressant l’escarpolette qui d’un vieux marronnier fait crier le squelette et vole de ma mère éternelle terreur puis je te dis les noms de mes amis d’espagne madrid et son collège où l’ennui t’accompagne et nos combats d’enfants pour le grand empereur puis encor mon bon père ou quelque jeune fille morte à quinze ans à l’âge où l’œil s’allume et brille mais surtout tu te plais aux premières amours frais papillons dont l’aile en fuyant rajeunie sous le doigt qui la fixe est si vite ternie essaim doré qui n’a qu’un jour dans tous nos jours